Introduction à la thérapie des schémas
15/09/2014
Auteur : M Trybou
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Traitements
Dans cette lettre, réelle, Franz Kafka explique à son père que son autorité de père, sa domination, son incapacité à soutenir, écouter, conseiller, faire confiance, ses attentes impossibles à satisfaire à lʼâge que Franz avait, ont fait de son fils un individu sans aucune estime personnelle, sans volonté de se surpasser, sans esprit dʼinitiative, car le père a annihilé tout cela chez son fils. Et comme le dit Kafka, comme tout essai sera voué à lʼéchec selon le père avant même de commencer, comme toute victoire sera nécessairement une banalité, et toute opinion formulée une idiotie, Kafka se sent condamné à la soumission ultime (devenir un perfectionniste avec tout ce que le perfectionnisme a de pathologique et de stérile, perdant un temps infini sur des détails pour tenter dʼimpressionner un père jamais satisfait), lʼévitement (ne rien faire pour ne jamais se mettre dans le risque dʼêtre jugé), ou la révolte (faire tout lʼinverse de ce que le père propose ou impose).
Franz Kafka explique ainsi comment il est devenu inconsistant, faible, indécis, peu sûr de lui, inapte aux relations amoureuses et aux responsabilités, devant ce regard autoritaire et cette carrure proche dʼun dieu. Mais autant il lui en veut de ne pas avoir tenté de faire différemment, autant il lui pardonne car dʼun côté il pense que son père est comme beaucoup dʼautres hommes de cette époque étaient sans sʼen rendre compte, et de lʼautre que son père faisait cela en pensant bien faire.
La Lettre au père, écrite en 1919, est en 99 pages lʼune des plus belles mise en forme de la théorie des schémas développée par Young en 1990.
Plus récemment, en 2014, Pascal Bruckner dans son autobiographie Un Bon Fils décrit comment son père violent, raciste et antisémite a fait de lui, par comportement de révolte, un intellectuel ouvert aux autres cultures, en couple avec une femme dʼun autre pays, et proche des intellectuels juifs jusquʼà être lui même étiqueté juif, poussant son père, fou de rage, jusquʼà écrire à des journaux pour dire que Bruckner nʼest pas un nom juif mais allemand. Mais malgré son comportement de révolte (Bruckner sʼest construit dans lʼexact opposé de son père), il retrouve quand même chez lui quelques traits de son père qui lui font peur : il les a donc assimilés et sʼy est soumis bien malgré lui.
Utilité de la thérapie des schémas
La TDS (thérapie des schémas), qui est le modèle le plus complet de la thérapie émotionnelle, a aujourdʼhui des applications pour la dépression, les traumatismes infantiles, les troubles de la personnalité, la violence, les troubles alimentaires, les soucis de couple, et les addictions. Elle permet de comprendre les origines et le fonctionnement de certaines modalités du caractère, des comportements, des émotions, et propose des techniques émotionnelles pour revenir à un comportement et une gestion émotionnelle sains. Pour Young, elle est la croisée entre les thérapies comportementales et cognitives, la psychanalyse (dans le rapport aux parents), et les théories des biologistes sur les animaux (Bowlby). On y retrouve déjà des idées proches de Piaget (1926) et Bartlett (1932). Adler, un proche de Freud, décrivait aussi des schémas en 1929. Kelly, en 1955, a créé une thérapie des rôles fixés qui préfiguraient déjà lʼœuvre de Young. Cʼest ce que Beck, le fondateur de la thérapie cognitive et maitre de Young appelle « pensée automatique ».
Définition dʼun schéma de vie
Les schémas sont la façon dont nous comprenons le monde autour de nous, comment nous nous lʼexpliquons, ce sont nos grilles de lecture. Ils ont été façonnés au contact de notre environnement précoce : relations avec les parents, les pairs, lʼécole. Ces schémas sont notre vision du monde et en fonction dʼeux nous développons des stratégies pour tenter de nous adapter et avancer, survivre au mieux. Ces stratégies sont appelées des « styles dʼadaptation ». Avec les années, cette vision du monde et les stratégies utilisées deviennent automatiques, inconscientes, et modèlent nos émotions, pensées, sensations corporelles et comportements, deviennent une partie de notre personnalité. Les schémas absorbent tous les évènements qui leur donnent raison, et rejettent comme faux toute information qui est contraire ou différente, puisque ce nʼest pas la réalité de ce quʼon a vécu dans nos premières années. Bien évidemment, le problème est que ce qui était adapté dans tel environnement quand nous étions enfant, nʼest plus du tout adapté dans un autre environnement quand nous devenons adulte : tout ce qui ressemble de près ou de loin à quelque chose de connu sera traité de la même façon, afin de ne pas souffrir à nouveau, tenter dʼavancer, glaner protection et affection coute que coute, … Et comme nous utilisons la même clé pour tenter dʼouvrir toutes les portes, nous ne sommes donc plus capables de nous adapter à chaque situation spécifiquement mais ressortons de vieilles habitudes. Cʼest en cela que ces schémas, adaptés à lʼépoque où ils ont été créés, deviennent dysfonctionnels à lʼâge adulte. Les schémas vont se matérialiser dans nos choix, prises de décisions, et expliquent pourquoi on peut répéter sans cesse les mêmes scénarios dans notre vie. Le souci, comme le souligne Young, cʼest que nous sommes irrésistiblement attirés par les gens qui titillent nos schémas, non pas car nous aimons souffrir mais parce quʼau moins nous connaissons ces repères là. Et aussi horribles soient ces repères, ils sont moins effrayants que lʼinconnu.
La thérapie des schémas peut ainsi expliquer pourquoi certains patients, voulant guérir, se mettent des bâtons dans les roues pendant leur thérapie : pourquoi ils évitent, cherchent de la réassurance plutôt que la guérison, ont appris à se détacher de leurs émotions (et ressentent du vide), refusent ce qui leur permettrait dʼaller mieux (guérir = se mettre dans une situation impossible à gérer), peuvent être auto-défaitistes. Quand on a vécu des situations infantiles dʼéchec, on a appris que lʼéchec était inscrit en nous. Cʼest leur réalité, et elle est incontestable puisquʼelle a été réellement vécue.
Schémas de vie et éducation
Selon Young, ces schémas sont équilibrés ou dysfonctionnels selon la façon dont nos parents se sont occupés de nous : leur affection était-elle sécurisante ? Etaient-ils attentifs à nos demandes et attentes, compréhensifs ? Nous ont–ils appris à être autonomes ? A être confiants en nous et en nos compétences ? Nous ont-ils permis de sentir que nous étions unique avec un respect de nos gouts, opinions et aspirations ? Nous ont-ils laissés nous exprimer ? Ont-ils respecté en nous le jeu et la spontanéité ? Nous ont-ils donné des limites et le sens du contrôle ? Et pour chacune de ces dimensions, il peut y avoir du manque ou de lʼexcès : manque affectif ou enfant surcouvé, excès de punitions ou manque totale de discipline, etc. Entre les parents peu aimants et les parents hyper inquiets qui font tout à la place de lʼenfant de peur que …
Pour Young, il y a des environnements typiquement destructeurs : un parent violent et lʼautre impuissant, des parents froids, distants, perfectionnistes et critiques, conflictuels devant les enfants, ou demandant à leurs enfants de se positionner dans ce conflit, parent malade, dépressif, alcoolique que lʼenfant doit aider et protéger, parent inquiet qui surprotège lʼenfant, parent seul qui accapare lʼenfant par solitude, parents nʼexigeant aucune discipline, impression de ne pas être comme les autres enfants. Que tout cela ait été vécu ou ait été formulé sous la forme de menace.
Le but de la thérapie des schémas est de reprendre ces points spécifiques et comprendre là où cela a pêché, ce qui pourrait expliquer les émotions, opinions et comportements actuels, et, dans la prise en charge, savoir comment satisfaire ces besoins fondamentaux de manière plus adaptée dans le présent.
Tempéraments et schémas de vie
Young a analysé ces différents manques et excès. Néanmoins il se rend compte que tout le monde ne réagit pas de la même façon à ces manques et excès. Nous revenons alors à la Lettre au Père de Kafka. Kafka dit que devant le même comportement de son père, il a 3 choix différents : révolte, soumission ou évitement. Dans la thérapie des schémas, cʼest la même chose : on peut réagir et sʼadapter différemment à une même chose. Pour Young, cʼest notre tempérament de base qui ferait que lʼon va choisir plutôt pour lʼévitement, la contre attaque ou la soumission, comme le suggérait notamment Kagan (le tempérament est biologique et est plutôt stable toute notre vie). Cʼest cela, aussi, qui va expliquer pourquoi le même traumatisme va impacter différemment les gens (et quʼil ne faut donc pas se laisser aller à se comparer aux autres, minimiser leur souffrance, ou croire que quand X sʼen sort tout le monde doit forcément sʼen sortir). Par exemple, un enfant rejeté par ses parents :
Nous sommes à la croisée du biologique (le tempérament) et lʼenvironnement dans la création des schémas. On peut imaginer lʼeffet dynamite chez des patients cyclothymiques, qui déjà, à la base, sont instables émotionnellement, impulsifs et hypersensibles à lʼabandon.
Bibliographie
Impossibilité de changer le tempérament
Qui a le trouble cyclothymique ? Qui consulte ?
Tempérament
