10 : Il y a en moi autant de Sisyphe que de Marsyas
1/01/2009
Témoignages > Cyclothymie > Dear Siobhan
Il s’agit bien lâ d’une maladie qui doit se traiter sur 3 fronts.
Le premier : je l’appellerai le parachute biochimique. C’est sur celui-ci que j’interviendrai, nous allons entreprendre ensemble une offensive afin de trouver avec l’aide de différentes combinaisons de médicaments, un équilibre, une certaine stabilité de vos humeurs. J’appelle ça une bataille car nous allons essayer plusieurs stratégies. Il n’y a pas de potion miracle et immédiate. Certains réagissent relativement bien â certaines molécules ou dosages d’autres beaucoup moins, le tout est de savoir qu’il y a toujours des options alternatives, des possibilités de combinaisons différentes et de très bons résultats. Nous nous verrons régulièrement car ça demande un très grand suivi, vous aurez des prises de sang régulières pour tracer et monitorer votre adaptation aux traitements. Tels sera mon rôle majeur dans notre collaboration en plus de l’écoute, de l’information ainsi que des bilans.
Je nommerai le deuxième front le ciment thérapeutique.
La Thérapie Comportementale et Cognitive que je vous ai conseillée est de mon avis de spécialiste, un atout majeur dans le processus d’acceptation de votre condition, de compréhension de ses traductions sur votre psyché, vos affects et vos mécanismes de comportement. Une fois les briques de votre personnalité ré agencé, elle contribuera â renforcer votre stabilisation psychologique en apportant un bénéfice de taille au traitement médicamenteux. Mais dans tout ce scénario, la pièce maîtresse, celle sans qui toute tentative de lutte est vaine, le front sur lequel ni moi ni nos psychologues ne pourrons lutter, sera celui de votre observance.
On pourra appliquer autant de force que l’on veut dans cette lutte pour votre stabilité, il reste une notion cruciale où la physique rejoint le psychique, les souffrances engendrés par la maladie ne se rapprocherons de manière optimale de zéro que si les énergies mises en oeuvre dans notre système d’attaque soient de forces égales. Vous pouvez compter sur le dévouement total de toute mon équipe et moi-même, nous devons pouvoir réciproquement compter sur vous, malade certes mais aussi patient et acteur. L’une de ces variables flanche et l’équilibre est rompu… mais ne vous inquiétez pas tout ira bien vous avez pris la bonne décision, toqué â la bonne porte… ».
Je n’ai pas trouvé grand-chose â dire de plus, je ne savais toujours pas trop quoi penser de tout ça en descendant les trottoirs du boulevard St Michel …
Je ne savais pas trop comment ressentir cette première visite, espoir ? Déjâ -vu ? Scepticisme ? Le grand soulagement que j’aurai pu ressentir n’était pas arrivé… Je sentais toujours autant de rage, de dégoût, même ma petite marche dans le Paris morose, car en grève, cette ville était énervante.
Drôle d’attitude â y resonger alors qu’on venait de m’apprendre que je n’étais pas devenu fou, que je n’étais peut-être pas l’une des personnes les plus immonde, abjecte et perverse sur terre, alors qu’on me proposait de l’aide. Non, j’avais la mâchoire toujours aussi serrée. Elle se serra encore un peu plus lorsque je passais devant le Café prés du Métro St Michel où nous nous étions installé â la terrasse cet après-midi de septembre 2006 et j’espérais secrètement être â la place de ce type que nous avions vu se prendre un sauvage coup de boule, pour que mon cerveau arrête de bouillir, que mes pensées cessent enfin de spinner, pour juste tomber KO.
Je comprends avec le recul que j’avais juste eu peur â enrager, peur de cette phrase qu’il avait dite au sujet de la maladie et que j’avais occulté sur le coup mais qui me revenait en pleine figure telle une gifle :
« C’est pour la vie, ce trouble ne se guérit pas comme on guérit une grippe, on la stabilise, on vous apprend â vivre avec, â la connaître mais les médicaments et traitements c’est pour la vie… ». C’était bien ça le problème, je ne sentais pas en moi la force nécessaire pour de nouveau faire face â mes démons, j’avais et j’ai toujours en moi â travers les souffrances que je t’ai fait endurées les affres de la culpabilité.
« On trouve en vous autant de Sisyphe que de Marsyas* »
avait-il dit également. Quelle symbolique, était-ce vraiment une vie qui vaille la peine d’être vécu ? Celle d’un condamné au supplice d’impiété qui par le sort de sa seule biologie ou de sa cupidité et sa vilenie, se voit perpétuellement recommencer la même pénitence. Une vie vouée â un échec génétiquement programmé ? Psychologiquement aliéné ? Associée â celle d’un écorché vif.
« Cette vie méritait-elle les peines des combats â venir » ce fut la seule phrase j’écrivis ce soir lâ au milieu de ma page blanche.
* Athéna invente la flûte (αυλÏ?ς / aulâ?s, flûte double dotée d’une anche), mais elle la jette dès qu’elle s’aperçoit qu’en jouer déforme son visage (Alcibiade lui fera le même reproche). Marsyas la ramasse et devient rapidement un musicien expert. Il finit par défier Apollon, maître de la lyre. Le concours est présidé par les Muses et le roi Midas. Les Muses déclarent Apollon vainqueur. Pour punir Marsyas de sa démesure (fait d’avoir défié un dieu), l’Archer le fait écorcher, et jette sa dépouille dans une grotte, d’où coule une rivière, qui prendra le nom du satyre. Le Marsyas se jette dans le Méandre. Pour avoir tranché en faveur de Marsyas, le roi Midas reçoit pour sa part une paire d’oreilles d’âne.
Le concours entre Apollon et Marsyas, symbole de la lutte entre les influences apolliniennes et dionysiennes de l’homme, est un sujet favori des artistes antiques