La cyclothymie : l’épreuve des concepts de la maladie mentale
31/12/2008
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Concepts / Classification
Cyclothymie : au-delà du doute
Si la Cyclothymie ne comporte pas quelque chose d’essentiel (débat qui concerne toutes les maladies mentales), alors vaudrait-il mieux la jeter une fois pour toute et passer à autre chose ; d’accord, mais quel diagnostic serait-il capable de remplacer la cyclothymie et décrire de manière fiable et correcte les centaines de patients que je soigne actuellement au CTAH ?
ˮComment sait-il que je suis cyclothymique ?ˮ, ˮje doute encore de mon diagnostic de bipolaireˮ, ˮon m’a dit que j’étais Borderlineˮ, ˮje crois que suis simplement dépressiveˮ, des interrogations ˮlégitimesˮ des patients, que je comprends bien aux quelles on passe parfois des séances entières pour expliquer ce qu’on entend par ˮCyclothymieˮ et comment on porte ce diagnostic et surtout à quoi ça sert de le définir !
Il n’y a pas que les patients qui doutent, mais également les psychiatres et auteurs. Durant ces dernières années, les troubles de l’humeur ont pris une extension croissante dans la nosographie psychiatrique, au point d’occuper près de deux fois plus de pages du DSM IV que la schizophrénie et les autres troubles psychotiques, parmi lesquels les délires dits autrefois chroniques. Longtemps sous-évalués au profit des troubles dépressifs (unipolaires), les troubles bipolaires se taillent maintenant la part du lion. Leur prévalence sur la vie entière serait ainsi passée en deux ou trois décennies d’1 % à 6 ou 7 % de la population générale.
Élargissement du Spectre Bipolaire
La notion de "spectre" bipolaire
(Prestige des travaux de Jules Angst et d’Hagop Akiskal)
Ce spectre englobe un bon nombre de manifestations allant des troubles de la personnalité aux bouffées délirantes, en passant par les états limites, les troubles schizo-affectifs (ex-schizophrénies dysthymiques), certains cas de psychopathie, de troubles du contrôle des impulsions, de troubles du comportement alimentaire, d’alcoolisme, de toxicomanies (bipolarité complexe), de troubles anxieux et de troubles obsessionnels compulsifs (TOC bipolaire). Sur ce point, je suis bien placé pour discuter.
C’est mon travail depuis plus de vingt ans avec des études ayant englobé plus de 1500 patients présentant un TOC. Je sais donc de quoi je parle et je peux donner des nouvelles des patients soignés depuis des années. C’est presque ˮlamentableˮ que des cliniciens critiquent ces données ˮréellesˮ juste parce qu’ils sont dépassés par elles. C’est une réalité qui contredit leurs croyances ou leurs paradigmes. Les patients sont là pour contester les limites et l’inefficacité des paradigmes qui les ont conduits à être catalogué et traité comme des hystériques, schizo-affectifs, obsessionnels, boulimiques, kleptomanes, alcooliques.
Falret et Circularité : critère fondamental
J.-P. Falret avait justement décrit, entre 1851 et 1854, la folie circulaire en se basant, non plus sur la perturbation d’une fonction psychique, mais sur l’ensemble de la symptomatologie et sur l’évolution au long cours. N’écrivait-il déjà pas cette phrase prophétique, il y a maintenant 150 ans : "pour constituer la folie circulaire, la dépression et l’excitation doivent se succéder pendant un long temps et se succèdent le plus souvent pendant toute la vie, d’une manière presque régulière, dans un ordre toujours le même, et avec un intervalle de raison ordinairement assez court relativement à la durée des accès" (1854). Nos contemporains seraient bien inspirés d’en revenir à la conception et aux limites tracées par cet illustre pionnier de la psychiatrie (T. Haustgen).
Revenir à Falret, pourquoi pas !
Mais Falret n’est point défendu par les experts français ; C’est plutôt Akiskal est actuellement l’avocat le plus chevronné de Falret : il n’y a pas de psychiatres français qui n’en parlent autant qu’Akiskal ! Est-ce que Falret avait raison dans son travail sur la Folie Circulaire ; toutefois, le modèle de la folie circulaire est plus adapté à la cyclothymie qu’aux autres formes de bipolarité. On est là à définir ce qui est "essentiel" dans le trouble bipolaire : donc pourquoi le désigner par "bipolaire" au lieu de "circulaire"! Dans ce cas, il faut convaincre les décideurs des systèmes de classification. Pr Goodwin est partant pour rétablir la notion de "récurrence" au sein des troubles de l’humeur.
Cyclothymie : une vraie maladie
1- L’hypothèse de la cyclothymie tient sa validité, non par les symptômes, mais par 2 points essentiels : la notion de tempérament et celle de la "marche" spécifique du trouble où l’on retrouve la notion de circularité (instabilité permanente) et de cyclicité (récurrence des épisodes dépressifs et hypomaniaques) ; Donc une double spécificité du processus phénoménologique partant de la prédisposition de base et respectant le mode évolutif au long cours (ce qui va contre la démarche des DSM, fondée essentiellement sur la description des épisodes et sur la polarité des épisodes).
2- La cyclothymie est de loin plus riche et complexe qu’une simple alternance d’épisodes dépressifs et (hypo)manies. De plus, selon notre hypothèse, elle est à part ; Mais l’obstacle majeur tient du fait que les experts US et autres ne tiennent jamais compte des tempéraments et se focalisent sur la description des épisodes "c’est pratique" mais ça reste confiné aux épisodes (aux morceaux de la mosaïque mais pas la mosaïque) ; même si on se limite aux épisodes, quels sont les critères à retenir ? Où faut-il mettre la dépression récurrente ? Comment la définir (2 épisodes sont-ils suffisants pour dire récurrence ?)
3- Je suis contre la prolifération des syndromes comme les TOC, la phobie sociale, le Trouble Panique, la Boulimie, Les Troubles de Contrôle des Impulsions, les personnalités Borderline qui peuvent être, dans la moitié des cas, notamment en cas de co-morbidité, intégrés dans une seule entité : la cyclothymie. Au CTAH, on rencontre un nombre important de patients qui présentent, selon les critères du DSM-IV, plus de 5 troubles caractérisés. Pour moi, ça c’est artificiel et non acceptable. Donc, la critique à faire doit s’adresser aux troubles désignés par des syndromes et non par une description globale et complète d’une maladie.
4- La cyclothymie n’est pas le fruit d’une machine qui fabrique des entités, comme les DSM (d’ailleurs ces machines ne connaissent pas encore la valeur des tempéraments et utilisent des critères assez rigides et empiriques). Au contraire, c’est un retour aux sources, aux observations des vrais maîtres de la psychiatrie des troubles de l’humeur, comme Baillarger, Khalbaum, Hecker, Kahn et surtout Kraepelin. Il n’y a pas que Falret (avec la suspicion d’avoir trafiquer des passages de sa conférence et réclamer la primauté de définition de la bipolarité)
Le pire est de contester et critiquer sans avoir en main la totalité de l’histoire ou du problème ni l’expertise du domaine de la bipolarité. Un observateur profane a toutes les raisons de constater que ˮla bipolarité est aujourd’hui exagérée : on voit des bipolaires partoutˮ. Si c’est vrai, cette approche ne devrait pas survivre avec l’épreuve du temps, avec l’opinion des patients concernés et surtout nous verrons les limites de ses implications pratiques.
La question essentielle à poser : Est-ce que cette hypothèse est-elle utile pour mieux comprendre la bipolarité et surtout capable d’améliorer la santé de nos patients ?
Voici un exemple récent reçu au CTAH
"homme de 36 ans, ayant consulté 7 psychiatres et souffert plus de 10 ans d’un trouble panique sévère, résistant à plus de 8 antidépresseurs et des fortes doses d’anxiolytiques et de sédatifs. Son bilan au CTAH révèle une Cyclothymie assez manifeste selon les questionnaires. Le simple fait de réduire la dose de l’antidépresseur existant (de 40 mg à 10 mg de paroxétine) et d’ajouter 500 mg de valproate a induit une disparition en 24 heures de l’état de tension. Le 2ème bilan fait après 2 mois, confirme la rémission complète (absence d’attaques de panique et de l’état de tension intérieur).
C’est un exemple parmi des dizaines rencontrés au CTAH.
Cyclothymie face aux concepts
Si je reprends les points défendus par Nassir Ghaemi au sujet des conceptions de la ˮCatania : maladie mentaleˮ et je les applique sur la Cyclothymie, voilà ce que je peux dire :
Je suis convaincu qu’apprendre c’est savoir éliminer !
La cyclothymie mérite bien d’être mieux connue, probablement en éliminant les fausses idées et les conceptions classiques de la ’maladie mentale’.
Retrouver notre définition de la cyclothymie
Catania : la maladie mentale ?