Témoignage d’un patient cyclothymique : entre vécus et symptômes
10/09/2010
Témoignages > Cyclothymie
Tout ceci s’opère paradoxalement, avec une recherche de perfectionnisme, d’esthétique, une sensibilité forte à la nouveauté, l’originalité l’innovation, la rupture (créatrice), une attirance pour une certaine forme de marginalité ou du moins de liberté de ton et de parole.
Vu d’un "il" externe, çà attire invariablement des commentaires au mieux du type, c’est un idéaliste, un rêveur, ou, au pire, c’est un instable, un éternel insatisfait (qui commence tout et ne finit rien).
Mon problème majeur, aujourd’hui c’est une alternance de plus en plus marquée entre des élans enthousiastes, un engagement volontariste une tendance optimiste, enjouée et des voltefaces aussi rapides dans un climat de morosité de déprime, de perte de sens (A quoi bon ? Perdu pour perdu, j’ai beau m’agiter en tous sens, je ne trouverai pas ma place etc.)
Les corollaires : une hypersensibilité, une émotivité à fleur de peau, qui m’ont toujours tenues éloigné presque malgré moi des devants de la scène, me diluant dans la peur du jugement de la critique du regard des autres et, du plus cruel : le mien.
Voici quelques jalons de mon histoire personnelle.
Enfance
A priori plutôt sympa. Né en 1961 dans une petite ville du fin fond de la Normandie. De parents tous deux professeurs dans le lycée local.
Ma mère, littéraire, très attirée par l’art et la littérature, débordante d’énergie, extravertie, en permanente demande affective, mais de nature très anxieuse (hantée par la peur de la maladie et de la mort) s’entourant en permanence, d’amis, de membres de la famille, de voisins, de collègues d’association (Amnesty, du comité local de soutien à ?). En bref toujours affairée à faire les courses préparer le repas pour les 18 personnes qui viennent déjeuner, préparer la maison pour ceux qui restent coucher le weekend end etc.
Mon père à l’autre pôle, scientifique, cartésien, mais sympa, amoureux de la nature, qui préfère arpenter les allées de son bois que les soirées mondaines, passionné par les randonnées en montagne et la pêche en mer mais globalement plutôt introverti, qui crèverait sur place plutôt que d’exprimer ses émotions. On se tait, si on a rien à dire qui représente une avancée significative et démontrable sur le sujet, on préfère l’action, les grands travaux, l’art (classique). Dans tous les cas tout ce qui touche au Psy est du dernier ridicule, au mieux un aveu de faiblesse, de l’auto complaisance, au pire du nombrilisme mettant en danger les équilibres du groupe (la belle stabilité du non dit !).
Pas simple d’arriver au milieu de tout çà ! D’ailleurs il paraît que ma mère ne voulait tellement pas me laisser sortir, que j’ai failli y laisser ma peau, l’histoire à peine commencée ! Superbe bébé qui arrive la tête en pain de sucre et couvert d’eczéma, çà laisse bien augurer du reste? Heureusement je capte à l’arrivée le regard de ma grand-mère (maternelle), qui sera ma grande complice jusqu’à sa dernière heure. Ce sera d’ailleurs le haut lieu de mon enfance, celui de la maison de mes grands parents, d’où émanent encore les puissantes senteurs de mes souvenirs d’enfance
Je ne m’étendrai pas outre mesure sur cette période dont je ne me souviens que fort peu sauf à en souligner quelques jalons importants : l’année 1965, qui m’offre un petit frère. L’école où mes mains violettes (un médecin génial avait prescrit des bains de permanganate de sodium pour soigner mon eczéma, mon entrée dans les coulisses de la vie sociale n’a pas été un long fleuve tranquille? Enfant rêveur, qui aimait jouer avec les mots, qui a reçu comme seul premier prix de l’école primaire, le prix de l’esprit bohème ! Rêveur et turbulent, agité et affectif, j’étais autant attiré par le devant de la scène que tétanisé à l’idée d’y monter, averti par les sentences paternelles, (si tu veux te faire remarquer et te rendre ridicule, c’est ton problème, le hic c’est de porter le même nom de famille?).
Adolescence
Le problème ne fera que se poursuivre et s’amplifier rythmées par le Collège puis le Lycée véritable trame de fond, et oui deux parents profs dans ces vénérables établissements c’est lourd à porter ! Pas un écart, une aventure sentimentale qui passe au travers des mailles des cette nasse, le regard ou les avertissements affables des collègues, votre fils ceci votre fils cela. Il faut dire que la directrice du Lycée avait commencé par convoquer ma mère pour savoir si elle savait ce qui m’avait pris de distribuer les tracts du Dr Carpentier prônant la liberté sexuelle et la masturbation en classe, au rang de vertus républicaines.
A la fois montré du doigt comme fils de prof (et donc bête à concours et collabo dans les représentations assez manichéennes de mes camarades), paralysé par le regard glaçant des profs sévères et bafouillant dans mes récitations de leçons et exposés?Inutile de préciser que mes parents m’avaient très fortement sollicité pour suivre la prétendue voie royale "le bac C", alors que mes goûts me portaient plus vers la littérature, l’histoire et la philo, mais j’avais acheté ma tranquillité (çà n’avait pas de prix dussé-je transpirer des heures sur ces fichus espaces vectoriels)
Premier grand choc, et dépression associée, la mort de ma grand-mère, en convalescence chez nous qui meurt dans mes bras?Sentiment d’absurdité, de trahison, perte de foi en plus c’était la veille de Noel... Une fête à qui il va falloir désormais tourner le dos !
Comportements à hauts risques
Illuminé par les poètes maudits, de Rimbaud à Henri Michaux, en passant par Lowry, Artaud, Breton ; Gracq et consorts, je trouvais dans la fréquentation de la fratrie de nos voisins mi voyous mi marginaux (musiciens, bagarreurs, voleurs de voitures, grands consommateurs d’alcool, de cannabis et autres psychotropes) un terreau idéal pour mes expériences déjantées (conduire en moto avec un mélange Alcool + LSD, accompagner un copain sur un pari de Tranxéne 50 et whisky. Je mesure à peine la chance que j’ai eue de m’en tirer seulement par un léger accident de moto
Le déménagement familial (à 5Km de ce foyer de perversion) en pleine campagne, n’aura pas raison de ces comportements auxquels je participais tout en ayant l’impression d’en être le spectateur (fasciné par l’idée de la mort, Boris Vian). Je me suis surpris un jour ou j’étais assis sur le coté d’un tracteur â mettre mon pied sur la roue crantée dont le mouvement m’attirait, un heureux réflexe du conducteur m’a évité d’avoir la jambe broyée.
Mes plus proches amis se droguaient Cannabis, LSD, Ether, mélanges Alcool+Neuroleptiques, Morphine, Héroïne, j’étais le seul à refuser de me shooter, conscient de la rapidité de la dépendance et ayant en plus une phobie des piqures)
Evidemment j’ai du me bagarrer, malgré mon aversion pour la violence primaire et me suis retrouvé dans des situations limites, accusé de complicité de vol parce qu’un de mes amis avait transporté dans mon casque un sac contenant la recette d’un commerçant négligemment oublié sur le babyfoot d’un bar visite des gendarmes à la maison, début d’une série d’interrogatoires, et inévitable sermons des représentants de l’ordre "vous rendez-vous compte des fréquentations et agissements de votre fils ?" virulente diatribe en réponse de mon père qui prend quasiment ma défense, à ma grande surprise.
C’est curieux de revoir avec un peu de recul, comment ils ont pu faire pour ne pas s’en rendre compte. Je continuais donc mon parcours d’un vol d’une voiture un soir pour aller en boite avec la bande. Mes amours adolescentes étaient à l’unisson, je goutais l’amour spleen alors que j’aspirais à l’idéal. Je me rendais compte en même temps que je les commettais que mes actions étaient en contradiction avec mes valeurs personnelles !
Plus tard je retrouvais les mêmes démons après un divorce un peu compliqué (tentative de suicide de mon ex femme)?Retour aux copains, filles faciles, alcool, joints qui finira par se calmer 1 autre accident de moto ( et 1 séjour marquant d’une nuit en cellule de dégrisement)
Même recherche de sensations dans les sports que j’ai pratiqués le Hand Ball en compétition de 8 à 17 ans, le canoë de descente de rivière ou je suis passé 2 fois prés de la noyade. Puis c’est la période arts martiaux et Karaté pendant 5 ans, avant de passer à la phase Equitation sauts d’obstacles, ou je finis par acheter un camion et 4 chevaux de compétition, activité que j’abandonnerai après ma séparation avec mon ex femme. Une attirance pour tout ce qui est lié au dépassement de mes peurs (plongée sous-marine, parapente, deltaplane)
Vie Affective
Après les tumultes de l’adolescence. Rentrée en classe prépa (Hypokhâgne), c’est la fête qui continue avec l’indépendance en plus. Puis c’est la rencontre avec Sylvie, coup de foudre, on se suit, ne se sépare plus, je prends le rôle du justicier pour la sortir des griffes d’un père semi incestueux. Elle rentre à Sup de Co, je suis en parallèle en train de passer l’agrégation de Lettres et elle m’annonce qu’elle a eu une aventure sans lendemain avec un autre étudiant. Et là, la terre s’effondre, je ne peux assumer la trahison, pétage de plomb massif. Puis retour à un compromis jusqu’à une deuxième, aventure avec son manager, elle me reproche d’être trop "équilibré, sans problème, de ne pas pouvoir la comprendre". Dans l’intervalle j’avais entrepris un 3ème Cycle de Gestion des Ressources Humaines. Elle finit par me dire avoir aimé un poète, pas un manager ! ? Un pan de 6 années de relations amoureuses (avec un grand A) s’écrase.
Après c’est une tectonique de plaques, chaos affectif. C’est Isabelle qui paiera et connaitra, puis une longue quête désordonnée, qui me vaudra une réputation de bon vivant, de fêtard et d’homme à femmes.
Je rentre chez Digital Equipement où je reste 6 ans (dans 4 jobs différents). Ambiance de pionniers conquérants de l’informatique dans un climat assez proche du Club Med, je croise beaucoup de gens de qui je resterai très proche. Je quitte Digital alors que je finissais par prendre la décision de me marier avec la DRH (un peu contraint par elle et sa famille, il faut bien le dire !) A part une certaine emprise qu’elle avait sur moi, 7 ans de compétition (:postes, salaires et concours hippiques) elle aimait bien me rabaisser, mais j’ai fini par gagner les défis et à m’en lasser, ce qui n’avait alors plus d’intérêt, inutile de préciser qu’elle m’a fait payer le divorce au prix fort? ce qui m’a conduit à 35 ans à repartir à zéro.
Après mes aventures m’amènent professionnellement à bouger au gré des fusions et acquisitions. Je commence à avoir l’envie d’avoir une famille et surtout celle d’être père. Rencontre avec Dominique, rebelle, marginale, séduisante, 1an et demi de vie commune qui m’apprend qu’elle est enceinte puis fausse alerte; notre histoire se termine en même temps et sur une note opposée â celle que je vais vivre avec Sabrina. C’est une amie de longue date que j’ai connue chez Digital, avec qui je suis toujours resté en relation, lointaine et proche à la fois. Elle a divorcé, deux enfants, réinvesti au maximum dans la création de son cabinet et dans son rôle de mère avec des relations sentimentales compliquées. Scénario type "quand Harry rencontre Sally", bref ; on se revoit en 97, en Octobre 98 on se marie, puis c’est la naissance d’Alexis en Septembre 99 et de Mattis, je me retrouve père et en même temps à la tête d’une tribu de 5 personnes !
Addictions
Alcool j’ai arrêté toute consommation sans efforts vraiment intenses, idem pour toutes drogues. Ce qui a été plus dur avec la cigarette avec laquelle j’ai eu des liaisons plus épisodiques, arrêt 5 ans reprise 2 puis arrêt 7 ans à nouveau etc. Aujourd’hui abstinent sur ces deux fronts.
J’ai également repris le contrôle d’une situation boulimique, allergie au gluten et avec risque hépatiques élevés du fait d’une hémochromatose léguée par mes ancêtres ! Cela dit pas facile de vivre dans des invitations et/ou familles de bons vivants sans boire ni manger comme les autres ! L’abstinence et l’austérité ne sont pas non plus parmi mes valeurs favorites dans l’existence.
Les grandes descentes
Une véritable hécatombe mes amis d’enfance Manuel et Mathias tous deux frères et fils des plus proches amis de mes parents avec qui j’ai été "élevé" disparaissent à leur tour Mathias du sida et Manuel d’un suicide overdose presque un an après. C’est la remise en cause de toute vison métaphysique et la remise en cause de la foi que j’avais su garder jusque là. Puis mon ami Hubert à 37 ans crise cardiaque?Le coup de grâce arrive en Juillet 2005 ou mon frère Manou s’effondre en pleine table victime d’une rupture de la carotide Après un épisode dépressif majeur, j’avais décidé de quitter ma femme et ma famille, repris alcool, tabac, quelques joints? suivirent quelques querelles et scènes d’une rare violence (verbale). Après avoir frôlé le naufrage un psychiatre spécialise en Hypnose ériksonnienne et en thérapies systémiques familiales m’avait mis sous anti dépresseurs pour la énième fois malgré mon témoignage sur les effets secondaires que j’avais ressenti dans les traitements précédents. On a donc augmenté la les doses, d’où des crises délirantes, une instabilité et irrationalité continue etc. De plus la thérapie de couple a bien failli accélérer le naufrage car, ce thérapeute avait employé beaucoup d’énergie pour démontrer que le problème se situait principalement en Sabrina?Ce qui m’a soulagé le plus a été d’arrêter les consultations ! Mes enfants ont été aussi clé dans le rattrapage in extremis â la bouée de sauvetage
Je vis depuis presque 30 ans avec bétabloquants, benzodiazépines (détours catastrophiques par les AD) et je ne peux que constater la résurgence de mes troubles (que je sais mieux lire) mais que je n’arrive pas à éliminer, je constate que je sabote ma vie jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autre issue que de couper les ponts ou murmurer dans des vagues délires le soulagement d’une mort choisie (tout en sachant que je ne franchirai pas le Rubicon !)
Je suis fatigué de ses troubles, de ses colères, sautes d’humeur, faits d’abattement, coups de blues, agressivité, aigreur, méchanceté, voire d’abattement de quasi prostration. J’ai remarqué que les cycles s’accélèrent, que la seule pause du weekend induisait des comportements problématiques.
En bref je n’en peux plus, j’ai vraiment besoin de trouver une solution arrêter de nuire aux autres (j’arrive très grossièrement à masquer les choses) mais aussi à moi-même.
Aujourd’hui
Je suis une thérapie comportementale (notamment sur le rôle programmant de l’amygdale limbique dans les troubles apparentés â ceux que je décris).
Je commence à ressentir une amplification des effets paniques par ce qu’on me demande de jouer un rôle de premier plan (conférences, présentation, direction de projets, conseil)
Je me refuse à pratiquer le coaching aujourd’hui (malgré 3 ans de formation) et j’ai à plusieurs reprises demandé à quitter mes fonctions ne m’estimant pas légitime pour les remplir. L’ambiguïté est à la fois dans le désir d’occuper un rôle de premier plan et dans les interdits qui y sont rattachés (et se rappelant à mon bon souvenir cruellement au besoin hyperémotivité, suées, voix), dans le fait de ne pas m’en sentir capable ni légitime, même si je n’y adhère pas "objectivement" ?