Le cochon tirelire

1/01/2009

Témoignages > Scènettes de vécu bipolaire

Ma mère m’a fait les gros yeux lorsque je suis rentrée â la maison les mains chargées de berlingots de lait concentré sucré emplissant mes yeux gourmands et la bouche régalée de ce nectar prodigieux. J’ai alors eu droit â un cours de gestion et de suivi budgétaire dont la mission était de me responsabiliser â la valeur des choses et de me conscientiser au coût de la vie.

Comprenant la leçon, je glisse fièrement une pièce pour nourrir le cochon rebondi, qui tinte â peine me laissant imaginer avec suffisance que l’espace déborde enfin. Je le prends, le soupèse, le retourne puis je me ravive en le reposant â sa place, authentifiant â la manière d’un commissaire priseur l’envergure du sujet pesant tout son poids, et décidant fermement d’éluder l’impérieuse curiosité d’apprécier le clinquant amoncellement de mes économies. Cette pièce est mon argent de poche. Celle qui résiste â mes envies, toutes mes envies. Une friandise, sucrée et colorée, le livre sympa que les copines lisent en ce moment, le petit cadeau qui fera plaisir â l’amie qui m’a invitée â l’heure du goûter dimanche prochain, et pourquoi pas le petit quelque chose au distributeur de boisson, ces vitrines racoleuses et alléchantes sur les quais de gare et de métro.

j’aime faire plaisir, et la période de l’année la plus palpitante â mes yeux est décembre. Noël est une fête â l’enthousiasme enchanteur,  qui travestit les rues taciturnes, sombres et froides en une personnalité étincelante au portait  majestueux et éblouissant. Le caractère palpitant de ces fêtes de fin d’année démultiplie mes envies d’achat. Légitimement je circule les bras chargées de courses, personne ne s’offusque de me voir les bras débordant de paquets innombrables. Jeune femme, je vis au présent. Résolument. Ce n’est pas un choix, mais je ne sais être que ça. Et faire le père Noël est ma spécialité. Je guette les envies de mon entourage et je m’empresse de leur faire la surprise. Je suis avec le temps, devenue une experte en cadeau. Réussir â dénicher le cadeau qui saura plaire contre toute attente est une performance qui me stimule.  Noël est alors devenu mon terrain de jeu favori, avec un défi â relever pour surprendre et séduire celui ou celle qui recevra mon présent de mes mains en digne disciple du Père Noël. C’est une véritable frénésie, le plaisir d’offrir  est si puissant qu’il me gratifie d’une euphorie lyrique.

L’argent n’a aucune valeur en soi, c’est ce que l’on en fait qui lui donne de la valeur. Ma philosophie d’étudiante m’a portée longtemps, trop longtemps.
Mon cochon rose est toujours lâ , je continue de le remplir sans fin. Maintenant, j’ai rangé ma carte bleue. Mon chéquier est au fond du tiroir. je reviens consciencieusement sur mes comptes, prudemment, je note chaque achat. Je n’ai que du liquide dans mon porte monnaie, juste la somme dont j’ai besoin pour la semaine.

Deux mois que je reporte scrupuleusement chaque dépense, et je relis fièrement mon relevé de compte : je n’ai pas été dans le rouge pour la première fois depuis 10 ans. Mon dossier de surendettement a été enfin examiné. Tous les crédits ont été bloqués. J’ai bientôt rendez vous avec la conseillère pour faire un cours de gestion budgétaire….