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La phobie sociale

Même seul au monde sur une île déserte, je trouverais moyen de m'inquiéter et me faire des films sur ce qui va ou pourrait arriver ...

Généralités : définitions et fréquence de la "peur des autres"

En France, on connaît que 2 à 4 % de la population générale serait atteint de phobie sociale, ce chiffre pouvant aller jusqu’à 10 % selon les critères. Il s’écoule en moyenne quinze ans entre le début des troubles et celui de la première prise en charge. Des auteurs canadiens trouvent des statistiques de 5 à 8% pour leur pays, c’est dire que ces troubles sont particulièrement répandus.

La phobie sociale toucherait plus les femmes que les hommes, bien que l’écart soit minime, mais il n’y aurait aucune différence de sexe dans les dimensions de co-morbidité, durée ou sous types (généralisée, eurotophobie, avec attaques de panique). Les premiers symptômes de phobie sociale apparaîtraient le plus souvent pendant l’adolescence. Aussi allons-nous décrire tout d’abord les mécanismes de cette pathologie et les différentes théories explicatives avant de vous proposer quelques conseils pour lutter contre.

La phobie sociale est le plus souvent définie comme la peur intense que l’on peut ressentir dans des situations où l’on est observé, où l’on doit faire quelque chose sous le regard d’autrui, parler, défendre ses droits, donner son avis, participer, … En fait, c’est la peur de tous les contacts sociaux, quels qu’ils soient. La personne a peur que ses actes ou ses paroles soient jugés nuls, mauvais, qu’elle ne soit critiquée ou humiliée et, pire encore, que l’on se rende compte qu’elle est mal à l’aise, qu’elle transpire, qu’elle rougit, qu’elle ne sait pas donner le change. Le phobique social croit qu’il ne sait pas faire, qu’il ne sait pas dire, et qu’à cause de cela on va le tourner en ridicule puis rire de son malaise. Le fond du problème, c’est la peur d’avoir honte.

Les personnes souffrant de Phobie Sociale ressentent donc une très forte anxiété dans les situations de performance (passer un examen, être évalué, exposer un travail, …), d’interaction (parler avec autrui de manière superficielle ou approfondie, parler de soi, …), d’affirmation (défendre ses droits, donner son point de vue, exprimer ses besoins), et d’observation (être regardé pendant que l’on fait quelque chose). Cette anxiété peut aller de l’inconfort à l’attaque de panique. Même la situation la plus anodine, comme demander son chemin, dire bonjour, être debout dans le métro, devient angoissant.

Les situations sociales sont évitées puisqu’elles provoquent une grande souffrance, évitées massivement ou par de discrètes stratégies comme baisser le regard, être silencieux, éviter les blancs en mettant un fond sonore, regarder ses mains, feindre de lire, … L’angoisse et l’évitement sont donc les deux grands symptômes de la Phobie Sociale. Avec les années qui passent et à force de fuite, les phobiques sociaux perdent les techniques de communication et leur estime d’eux-mêmes est fortement attaquée. Beaucoup de phobiques sociaux vont avoir recours à l’alcool avant de se lancer dans une confrontation, afin de se désinhiber.

Le problème de la Phobie Sociale, c’est que l’on redoute le contact des autres mais qu’on déprime de ne pouvoir les fréquenter, être libre de ses mouvements, de ses opinions, et de ses paroles.

Cas : un exemple de phobie sociale et l'explication des mécanismes de la maladie

Franck a 34 ans et vit dans le sud de Paris. Il travaille dans une administration, est célibataire. Il se présente souvent à ses entretiens, ses rendez-vous, avec du retard et une haleine sentant l’alcool. Généralement, assez fuyant du regard, répondant toujours de façon très brève aux questions qu’on lui pose, il donne l’impression d’un homme qui ne sait quoi faire de ses mains, comment se tenir, où regarder.

Pour lui, parler en public, dire quelque chose en réunion, s’affirmer dans les discussions avec son père (qui est décrit comme un dictateur décidant à sa place), et engager une conversation avec une femme, sont des challenges impossibles.

Ses relations familiales sont ponctuées de claquements de porte ou de regards baissés, de choses qu’il souhaiterait dire mais ne peut pas, de décisions prises à sa place. Il a suivi la voie que son père a décidée pour lui, et évite au maximum de voir ses parents ou de commencer une quelconque discussion avec son père.

Sa vie professionnelle ne lui donne aucun épanouissement. Son travail lui semble répétitif, et l’obligation de devoir présenter des synthèses ou des projets en groupe, devant ses collègues ou son supérieur, lui sont extrêmement difficiles.

Au point de vue privé, ses difficultés à rencontrer une femme le minent. Il se rend compte de son incapacité à entamer une discussion avec une femme, que cela soit dans un bar, dans une salle de sport, ou dans un magasin. Il relate par exemple le fait qu’il voit la même femme à la même heure toutes les semaines dans la salle de sport qu’il fréquente, que cette femme lui dit souvent bonjour mais qu’il ne se sent pas capable de donner le change. Cela semble l’embarrasser depuis de nombreuses années et son statut de célibataire forcé le déprime.

Au jour le jour, Franck évite le plus possible les dîners de famille, filtre les appels téléphoniques, donner le moins possible d’informations sur l’état actuel de sa vie et de ses projets. Il clôt rapidement les discussions avec son père en disant qu’il a raison. Il a pris l’habitude de mettre la télévision pendant les repas familiaux et entraîne les discussions sur ce qui intéresse son père. Au travail, il s’arrange toujours pour faire laisser ses collègues exposer les dossiers, fait des présentations au rétroprojecteur pour ne pas avoir à regarder les autres intervenants, enlève ses lentilles de contact afin de rendre son regard flou et ne plus distinguer le nombre de ceux qui l’écoutent. Il regarde ses notes sans relever la tête, parle rapidement pour terminer au plus vite, prévoit toutes les questions possibles pour éviter de ne pas savoir répondre. Il a aussi trouvé la technique de ne pas éteindre son portable en espérant qu’il sonne. Il fait du sport en salle à des horaires peu fréquentés, va dans des endroits bruyants et bondés pour être sûr d’être couvert par le bruit (le but est d’éviter les blancs ou éviter qu’il n’ait rien à dire ou ne sache quoi dire.)

Il se sent très coupable de boire de l’alcool avant ou pendant les soirées dans des bars ou des discothèques. C’est la seule façon qu’il a trouvée afin de prendre confiance en lui et tenter d’engager une conversation avec une femme qui lui plait. Cette technique ne fonctionne pas puisque de nombreuses femmes qui auraient pu le trouver intéressant à jeun fuient assez rapidement en le voyant en état d’ébriété. Il fait parfois la même chose quand il doit présenter un dossier au travail, ou quand il a un rendez-vous important. Les consommations étant extrêmement chères dans les bars et discothèques, il en sent la répercussion financière. N’ayant pas de la force de séduire des femmes, il a mis en doute sa capacité à pourvoir (encore) avoir des rapports sexuels et a été voir une prostituée. S’il a été rassuré sur ses capacités sexuelles, il a néanmoins honte d’avoir eu recours à ce moyen.

Pour l’instant, psychiatres et psychologues se contentent d’hypothèses. Et une hypothèse probable de la cause de la pathologie serait que le cerveau commence à être anxieux à cause d’un déséquilibre entre les substances qui circulent à l’intérieur (sérotonine, dopamine, noradrénaline, …). Il est chimiquement anxieux. Comme sa mission première est de protéger l’homme dans lequel il est logé, il estime que cette anxiété n’est pas là pour rien, et va utiliser celle-ci en cherchant autour de lui ce qui peut être risqué, ou ce qui a déjà été risqué, afin que cela n’ait pas à nouveau lieu et ne mette pas son propriétaire en danger.

La meilleure façon de limiter les risques, vous la connaissez, c’est la fuite. Si dans le TOC, les personnes ont peur de la mort, de la maladie, de la déchéance, de la responsabilité, la Phobie Sociale, elle, se base sur le danger d’avoir honte. En quoi est ce dangereux d’avoir honte ? Nous y reviendrons. Le cerveau cherche et se met à repérer tout ce qui peut potentiellement entraîner la honte. Dés qu’il trouve une situation, il exige que son propriétaire s’enfuie, et pour cela il lui envoie de l’angoisse, qui est encore la meilleure façon de faire bouger quelqu’un. Si notre cerveau nous envoyait un délicat parfum de rose dans les situations dangereuses, il n’est pas sûr que nous nous dépêcherions de prendre nos jambes à notre cou. L’angoisse est une méthode qui est donc très utile.

On quitte le lieu risque sans avoir vraiment pu savoir ce qui aurait pu se passe. Une fois la situation évitée, le cerveau engrange toutes les caractéristiques de celle-ci en mémoire, et cherchera ce qui ressemble de près ou de loin à cela dans l’avenir. S’il perçoit un élément en rapport, il enverra de l’angoisse avant même que son propriétaire ne soit dans la situation. C’est ce qu’on appelle le mécanisme d’anticipation. A force d’évitement, l’angoisse d’anticipation devient de plus en plus forte, les éléments interdits deviennent de plus en plus nombreux, la peur de la honte devient de plus en plus redoutée. On peut conclure que plus la personne fuit, puis elle se détache de la réalité en se faisant des scénarios catastrophes qui ne sont pas basés sur ce qu’elle a observé mais sur la simple peur. Avec les mois qui passent, le but original qui était d’éviter la catastrophe et la honte se transforme vite en la volonté de ne pas ressentir cette angoisse d’anticipation. Le problème devient donc double et la personne a alors bien plus de difficulté à pouvoir se confronter à la situation pour constater si oui ou non il y aurait un réel danger d’avoir honte.

Etre critiqué, repoussé, moqué, sont des situations que tout le monde à vécu, et surtout pendant l’enfance ou l’adolescence. Une critique qui reste marquée au fer rouge, une phrase assassine concernant quelqu’un d’autre et qui commence à tourner avec l’idée qu’un jour on pourrait aussi l’utiliser contre vous, tout cela est bel et bien palpable, vécu, et universel. La Phobie Sociale gravite donc sur scénarios tangibles. Peut-on dire que c’est parce que les scénarios sont tangibles que la peur est justifiée ? En fait, non, car ses scénarios sont anodins et facilement gérables pour le commun des mortels. Le problème de la Phobie Sociale, ce sont les substances chimiques dont nous parlions au tout début de ce chapitre (sérotonine, dopamine, noradrénaline), qui provoquent de l’angoisse, angoisse qui confère au cerveau l’idée que les catastrophes auraient un impact émotionnel démesuré. Là où une personne sans anxiété ira tester et digèrera le problème si le problème arrive, le phobique social croit, lui, que l’effet sera dévastateur et qu’il ne s’en remettra pas, qu’il va traîner l’émotion de cette catastrophe toute sa vie. C’est cela le fameux « danger de la honte » dont nous parlions précédemment. Son cerveau a exagéré la gravité de situations du quotidien à cause de ces substances et en empêche l’habituation (la « digestion ») à cause des évitements. En comme le fait de ne pas se confronter empêche de se rendre compte que les croyances sont fausses, la pathologie peut vite devenir un vrai calvaire.