20 : Je suis stable, mais...
31/12/2007
Témoignages > Bipolarité > La vie bipolaire de Melle M
Lundi 11 avril 2005
09h30
Je suis stable depuis une semaine.
Je devrais me réjouir car c’est le but recherché et les bipolaires donneraient n’importe quoi pour en arriver lâ . Moi-même, il m’est arrivé plus d’une fois de souhaiter ardemment atteindre cet état.
Pourtant, ça me déprime et ça m’attriste beaucoup.
Je rentre dans le rang des moutons. Les pensées sont banales et plates, l’énergie et la bonne humeur ne sont pas au rendez-vous. Je n’arrive plus â pousser mes réflexions ou même écrire ne serait-ce qu’un quatrain. Tout est plat et sans relief, c’est si linéaire que c’en est ennuyeux.
Après avoir trouvé de quoi construire de parades efficaces contre la dépression et les états mixtes en hypomanie, j’éprouve la sensation de préférer faire les montagnes russes bien armée plutôt que d’être ainsi, sans arriver â vivre une grande aventure.
Lorsqu’on s’est exercé comme Y. â entraîner sa pensée depuis tout petit, il est naturel d’être stable tout en étant productif. Il est sain sans être un mouton et continue sans cesse â s’entraîner vers ses aventures intérieures en ayant une humeur toujours partante pour toute.
Etant donné que je n’ai jamais eu besoin de faire des efforts pour propulser mes pensées, que j’ai été patiente lors des déprimes grâce â mes amies les rêveries, qui me manquent toujours autant, et que j’ai profité pleinement des humeurs â effet catalyseur, il est très difficile d’envisager qu’â 30 ans, il me faut complètement me rééduquer et faire des efforts incommensurables pour ne pas tomber dans la monotonie des gens ? normaux ?. Je commence â comprendre pourquoi ils mènent une telle vie, â la recherche du moindre pic d’adrénaline en sortant, en attendant une bonne nouvelle, tout ce qui dépend de l’extérieur en somme, sans quoi ils sont apathiques, automates, ne voient pas loin qu’eux même ou seulement la partie du quotidien qui les fait souffrir sans qu’ils s’en rendent compte alors que ça se voit d’une façon criarde.
Et je suis en train de devenir l’une de leur semblable, petit â petit, je me meurs, je suis forcée de faire le deuil de moi-même et par-dessus tout ça me semble impossible de commencer â entamer le processus de pousser la pensée sans l’aide de la maladie. C’est un travail dur et long pour aboutir aux premiers pas visibles et intéressants.
Je crois que tous les bipolaires stabilisés ont â un moment donné éprouvé cette déception d’être ? normaux ?. Je ne vois pas comment un bipolaire pourrait passer â travers une sorte de regret par rapport â ce que la maladie peut apporter d’agréable. Bien sûr, c’est l’éternelle problématique de vouloir sans cesse ce que l’on a pas, vouloir le beurre et l’argent du beurre, c’est l’éternelle erreur des humains. Encore une fois, c’est ce genre de comportement qui pousse aux sentiments négatifs et qu’il faut corriger pour se faire une vie belle et riche. Mais je n’en suis pas encore lâ , tout du moins j’y réfléchis et essaye de trouver des arrangements entre moi et moi pour passer le cap et non pas me résigner mais plutôt emprunter des voies en dehors de ces sentiers pré-mâchés auxquels on s’accroche toujours et sans cesse malgré la conscience que c’est impossible. Etre stable induit une certaine souffrance au début et elle risque de perdurer si je ne m’efforce pas de regarder au-delâ . Il est un fait que désormais la maladie ne m’aidera plus â devenir et qu’il faudra trouver un ou plusieurs moyens pour continuer de devenir. J’ignore totalement combien de temps et d’énergie ça va prendre de trouver ce ou ces moyens sans la béquille de la maladie. Je me refuse catégoriquement â me ranger du côté des gens ? normaux ?, il n’ont rien â envier bien au contraire, sans handicapes ils n’arrivent pas â se propulser, â se dépasser, â élargir leur horizon, â ouvrir la voix du coeur, â vivre pleinement sans regrets, ils mettent des freins partout où il ne faudrait pas, ce n’a rien d’enviable, c’est aussi triste pour eux que ça l’est pour moi de savoir que je suis en train de courir ce risque si je ne suis pas très vigilante.
Je pense que les bipolaires stabilisés doivent éprouver l’envie de cesser les traitements afin de redevenir â des états passionnants quitte â payer le prix fort dans un sens ou dans un autre.