Les troubles de lʼhumeur étaient associés à une élévation des marqueurs de lʼinflammation.
Des données de plus en plus convaincantes montrent que la dépression est associée à un processus inflammatoire modéré chronique, une activation des cellules immunitaires et du système reflexe de compensation anti-inflammatoire (CIRS) – un ensemble de phénomènes indiquant un processus de régulation immunitaire négative. Ainsi des résultats récents montrent quʼune dépression clinique est accompagnée dʼune augmentation du stress oxydatif et nitrique (O&NS) et des réponses auto-immunes dirigées contre les néo-peptides. De plus, des phénomènes dʼinflammation chronique sʼavèrent être responsables de survenue de dépression.
En effet, les cytokines peuvent induire des comportements qui ressemblent à la dépression ; Dans les études où des participants en bonne santé reçoivent des endotoxines pour stimuler la libération des cytokines, des symptômes typiques de la dépression apparaissent. Une administration de cytokines exogènes est capable dʼinduire des symptômes cognitifs et comportementaux de nature dépressive. Pour un exemple, un quart des personnes traitées avec lʼinterféron pour lʼhépatite C développent une dépression majeure. Les antidépresseurs comme les ISRSs (sérotoninergiques) exercent un effet immuno-modulateur négatif en réduisant la production de cytokines pro-inflammatoires (TNF, IL-1, IFN…) et une augmentation des cytokines anti-inflammatoire (IL-10). Lʼexpression génétique du mARN de ces cytokines semble altérée dans les dépressions récurrentes et les traitements antidépresseurs sont également capables dʼagir sur lʼexpression mARN des substances impliquées dans les processus inflammatoires. Ainsi, une rémission clinique de la dépression est associée à une normalisation des marqueurs inflammatoires alors quʼune absence dʼamélioration est liée à la persistance dʼun état inflammatoire élevé. Cette résistance aux effets immunosuppresseurs des antidépresseurs peut être expliquée par la chronicité des processus inflammatoires et le début des réactions auto-immunes.
Cela nous conduit à se poser la question sur lʼorigine de cette inflammation chronique et la cause de la résistance aux effets des antidépresseurs ? On sait que tout facteur activateur de lʼinflammation sans activation concomitante du CIRS est capable dʼaggraver les effets délétères des voies immuno-inflammatoires. Pour exemple, lʼassociation fréquente de la dépression au sein des maladies auto-immunes et inflammatoires chroniques (sclérose en plaques, parkinson, hémodialyse, thyroïdites…). A côté de ces troubles, cʼest le rôle des facteurs dʼenvironnement qui semblent contribuer comme le stress, les traumatismes, la qualité du sommeil, la qualité diététique, lʼobésité, le syndrome métabolique, les exercices physiques, le tabagisme, la perméabilité du colon, la vitamine D, les soins dentaires, certaines allergies…) ; Des facteurs à risque de dépression et de dérèglement immunitaire, qui ouvrent des pistes intéressantes pour le traitement et la prévention de la dépression. Parmi ces facteurs, ce sont le stress et les traumatismes psychiques qui ont été les plus explorés en montrant leur rôle dans le développement des troubles de lʼhumeur et le dérèglement des circuits immunitaires et inflammatoires. Les travaux sur lʼanimal ont confirmé les effets délétères des ces facteurs via une activation des processus inflammatoires. Chez lʼhomme, des stress psychosociaux sont susceptibles de stimuler les processus pro-inflammatoire des cytokines (IL-6 et TNF). Maes et al. étaient les premiers à montrer que cette activation inflammatoire est la plus dominante quand les stress induisent un état psychologique excessif (détresse, anxiété, dépression). Dʼautres études confirment le rôle des stress chez les personnes ayant une vulnérabilité psychopathologique, surtout lʼimportance des traumas subis dans lʼenfance. Lʼétude en Nouvelle Zélande a suivi 1000 participants de la naissance à lʼâge de 32 ans. Elle a mis en évidence que les individus ayant vécu des stress précoces (maltraitance, abus, isolement social…) ont un risque multiplié par deux pour développer des inflammations chroniques. Miller et al., ont montré chez les femmes avec une histoire dʼadversité dans lʼenfance, une plus forte tendance à la dépression et des taux plus élevés de marqueurs inflammatoires (Protéine C Réactive et IL-6). Dʼautres études explorant lʼinfluence du stress sur dʼautres maladies comme le syndrome métabolique et cardiaques, aboutissent aux mêmes résultats.
Certains experts pensent que le stress précoce nʼest pas à lui seul suffisant pour influencer la vulnérabilité à lʼâge adulte. Il est probable que le style de personnalité et les schémas de mal-adaptation appris dans la vie exercent leurs effets négatifs sur le déclenchement des troubles et la régulation immunitaires et inflammatoires. Cette explication est importante pour mettre en évidence les facteurs de risque sur lesquels on peut intervenir pour limiter les effets du stress (ex. stress professionnel).
Pistes thérapeutiques
Une observation originale : Des patients bipolaires traités avec le lithium et ayant reçu de faibles doses journalières dʼaspirine avaient moins souvent besoin dʼaugmenter la dose de lithium. On sait que lʼaspirine est lʼanti-inflammatoire de référence. Est-ce quʼune action sur lʼinflammation serait-elle bénéfique chez les patients dépressifs et bipolaires ? La réponse est probablement positive, car on a montré que les troubles de lʼhumeur étaient associés à une élévation des marqueurs de lʼinflammation. Lʼaspirine agit contre les cytokines qui sont à la base de lʼinflammation. Même si lʼinflammation nʼexplique guère les troubles de lʼhumeur, elle contribue à la survenue de certains symptômes ou à la modulation de la réponse aux traitements antidépresseurs ou régulateurs de lʼhumeur. Les cytokines agissent sur le cerveau en modifiant les neurotransmetteurs et influant la mort des neurones et des cellules gliales.
Même si on ne connaît pas les mécanismes intimes liant la dépression et les processus inflammatoires, il serait toujours bénéfique de réduire autant que possible les effets de lʼinflammation chronique. A côté de lʼaspirine, dʼautres anti-inflammatoires ont été testés, comme le célécoxib. Par exemple, une combinaison célécoxib + antidépresseurs est plus efficace sur la dépression que les antidépresseurs utilisés seuls. Une étude récente a testé les effets de lʼinfliximab, molécule qui inhibe le TNF, chez des patients dépressifs. On sʼest aperçu que ce traitement est seulement efficace chez les patients ayant des taux élevés de la protéine C réactive (marqueur dʼinflammation) ! Cʼest une preuve en faveur de la présence de sous-groupes de patients dépressifs chez qui le recours aux anti-inflammatoires serait prometteur et susceptible dʼaméliorer la réponse au traitement.
Références
Maes M: Evidence for an immune response in major depression: a review and hypothesis. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 1995, 19:11–38
Maes M, Berk M, Goehler L, Song C, Anderson G, Galecki P, Leonard B: Depression and sickness behavior are Janus-faced responses to shared inflammatory pathways. BMC Med 2012, 10:66.
Moylan S, Maes M, Wray NR, Berk M: The neuroprogressive nature of major depressive disorder: pathways to disease evolution and resistance, and therapeutic implications. Mol Psychiatry 2012, 18:595–606.
Leonard B, Maes M: Mechanistic explanations how cell-mediated immune activation, inflammation and oxidative and nitrosative stress pathways and their sequels and concomitants play a role in the pathophysiology of unipolar depression. Neurosci Biobehav Rev 2012, 36:764–785.
Dowlati Y, Herrmann N, Swardfager W, Liu H, Sham L, Reim EK, Lanctot KL: A meta-analysis of cytokines in major depression. Biol Psychiatry 2010, 67:446–457.
Pasco JA, et al: Association of high-sensitivity C-reactive protein with de novo major depression. Br J Psychiatry 2010, 197:372–377.
Reichenberg A, Yirmiya R, Schuld A, Kraus T, Haack M, Morag A, Pollmacher T:Cytokine-associated emotional and cognitive disturbances in humans.Arch Gen Psychiatry 2001, 58:445–452. 8.
Udina M, Castellvi P, Moreno-Espana J, Navines R, Valdes M, Forns X, Langohr K, Sola R, Vieta E, Martin-Santos R: Interferon-induced depression in chronic hepatitis C: a systematic review and meta-analysis. J Clin Psychiatry 2012, 73:1128–1138.
Connor TJ, Leonard BE: Depression, stress and immunological activation: the role of cytokines in depressive disorders. Life Sci 1998, 62:583–606.
Xia Z, DePierre JW, Nassberger L: Tricyclic antidepressants inhibit IL-6, IL-1 beta and TNF-alpha release in human blood monocytes and IL-2 and interferon-gamma in T cells. Immunopharmacology 1996, 34:27–37.
Maes M, Song C, Lin AH, Bonaccorso S, Kenis G, De Jongh R, Bosmans E, Scharpe S: Negative immunoregulatory effects of antidepressants: inhibition of interferon-gamma and stimulation of interleukin-10 secretion. Neuropsychopharmacology 1999, 20:370–379.
Galecki P, et al: The expression of genes encoding for COX-2, MPO, iNOS, and sPLA2-IIA in patients with recurrent depressive disorder. J Affect Disord 2012, 138:360–366.
Cattaneo A, et al: Candidate genes expression profile associated with antidepressants response in the GENDEP study: differentiating between baseline ‘predictorsʼ and longitudinal ‘targetsʼ. Neuropsychopharmacology 2013, 38:377–385.
Maes M, et al: New drug targets in depression: inflammatory, cell-mediated immune, oxidative and nitrosative stress, mitochondrial, antioxidant, and neuroprogressive pathways. And new drug candidates--Nrf2 activators and GSK-3 inhibitors. Inflammopharmacology 2012, 20:127–150.
Hannestad J, DellaGioia N, Bloch M: The effect of antidepressant medication treatment on serum levels of inflammatory cytokines: a meta-analysis. Neuropsychopharmacology 2011, 36:2452–2459.
Eller T, Vasar V, Shlik J, Maron E: Pro-inflammatory cytokines and treatment response to escitalopram in major depressive disorder. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2008, 32:445–450.
Maes M, Ombelet W, De Jongh R, Kenis G, Bosmans E: The inflammatory response following delivery is amplified in women who previously suffered from major depression, suggesting that major depression is accompanied by a sensitization of the inflammatory response system. J Affect Disord 2001, 63:85–92.
Moller M, Du Preez JL, Viljoen F, Berk M, Emsley R, Harvey BH: Social isolation rearing induces immunological, neurochemical, mitochondrial and behavioural deficits in rats, and is reversed by clozapine or N-acetyl cysteine. Brain Behav Immun 2012, 18:156–167.
Persoons JH, Schornagel K, Breve J, Berkenbosch F, Kraal G: Acute stress affects cytokines and nitric oxide production by alveolar macrophages differently. Am J Respir Crit Care Med 1995, 152:619–624.
Nguyen KT, Deak T, Owens SM, Kohno T, Fleshner M, Watkins LR, Maier SF: Exposure to acute stress induces brain interleukin-1beta protein in the rat. J Neurosci 1998, 18:2239–2246.
Maier SF, Watkins LR: Intracerebroventricular interleukin-1 receptor antagonist blocks the enhancement of fear conditioning and interference with escape produced by inescapable shock. Brain Res 1995, 695:279–282.
Kubera M, Symbirtsev A, Basta-Kaim A, Borycz J, Roman A, Papp M, Claesson M: Effect of chronic treatment with imipramine on interleukin 1 and interleukin 2 production by splenocytes obtained from rats subjected to a chronic mild stress model of depression. Pol J Pharmacol 1996, 48:503–506.
Zhou D, Kusnecov AW, Shurin MR, DePaoli M, Rabin BS: Exposure to physical and psychological stressors elevates plasma interleukin 6: relationship to the activation of hypothalamic-pituitary-adrenal axis. Endocrinology 1993, 133:2523–2530.
Kubera M,et al: In animal models, psychosocial stress-induced (neuro)inflammation, apoptosis and reduced neurogenesis are associated to the onset of depression. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2011, 35:744–759.
Dobbin JP, Harth M, McCain GA, Martin RA, Cousin K: Cytokine production and lymphocyte transformation during stress. Brain Behav Immun 1991, 5:339–348.
Mittwoch-Jaffe T, Shalit F, Srendi B, Yehuda S: Modification of cytokine secretion following mild emotional stimuli. Neuroreport 1995, 6:789–792.
Deinzer R, Forster P, Fuck L, Herforth A, Stiller-Winkler R, Idel H: Increase of crevicular interleukin 1beta under academic stress at experimental gingivitis sites and at sites of perfect oral hygiene. J Clin Periodontol 1999, 26:1–8.
Maes M, et al: The effects of psychological stress on humans: increased production of pro-inflammatory cytokines and a Th1-like response in stress-induced anxiety. Cytokine 1998, 10:313–318.
Maes M, et al: Immune and Clinical Correlates of Psychological Stress-Induced Production of Interferon-γ and IL-10 in Humans. In Edited by Plotnikoff NP, Faith RE, Murgo AJ, Good RA. Boca Raton, FL: Raven Press; 1998. chapter 3.
Song C, et al: Influence of psychological stress on immune-inflammatory variables in normal humans. Part II. Altered serum concentrations of natural anti-inflammatory agents and soluble membrane antigens of monocytes and T lymphocytes. Psychiatry Res 1999, 85:293–303.
Maes M, Kubera M, Obuchowiczwa E, Goehler L, Brzeszcz J: Depressionʼs multiple comorbidities explained by (neuro)inflammatory and oxidative & nitrosative stress pathways. Neuro Endocrinol Lett 2011, 32:7–24.
Danese A, Pariante CM, Caspi A, Taylor A, Poulton R: Childhood maltreatment predicts adult inflammation in a life-course study. Proc Natl Acad Sci USA 2007, 104:1319–1324.
Kiecolt-Glaser J, et al: Childhood adversity heightens the impact of later-life caregiving stress on telomere length and inflammation. Psychosom Med 2011, 73:16–22.
Miller GE, Cole SW: Clustering of depression and inflammation in adolescents previously exposed to childhood adversity. Biol Psychiatry 2012, 72:34–40.
Korkeila J, et al: Childhood adversities as predictors of incident coronary heart disease and cerebrovascular disease. Heart 2010, 96:298–303.
McIntyre RS, et al. The association between childhood adversity and components of metabolic syndrome in adults with mood disorders: results from the international mood disorders collaborative project. Int J Psychiatry Med 2012, 43:165–177.
Wadee AA, Kuschke RH, Kometz S, Berk M: Personality factors, stress and immunity. Stress Heal 2001, 17:25–40.
Stolk P,et al. Is aspirin useful in patients on lithium? A pharmacoepidemiological study related to bipolar disorder. Prostaglandins Leukot Essent Fatty Acids. 2010 Jan;82(1):9-14.
Raison CL, et al. A randomized controlled trial of the tumor necrosis factor antagonist infliximab for treatment-resistant depression: the role of baseline inflammatory biomarkers. JAMA Psychiatry. 2013 Jan;70(1):31-41.