01 : le plus dur est de sortir le premier mot
31/12/2007
Témoignages > Cyclothymie > Dear Siobhan
Ce texte est rédigé par un patient souffrant de Cyclothymie - Enfin un patient de sexe masculin qui témoigne ! Il a accepté de le faire publier pour que cette "longue lettre" puisse faire son chemin en parallèle du propre chemin de lauteur.
"Cette lettre est inhérente â cette même identité, ce nest ni plus ni moins que moi, dans ses grands et petits moments, un reflet de ses réfections biliaires et guerrières. Elle est longue et tortueuse comme le fut le chemin qui ma emmené jusquaux portes de votre cabinet, jusquâ ce sentiment de soulagement que je ressens enfin. Elle a, en y réflechissant bien, arrêté dêtre mienne des le moment ou jai écris la première console. Elle na par la suite cessée de méchapper car inévitablement pour ma santé mentale, elle devait se libérer de mon esprit malade. Alors oui je veux bien lui laisser suivre son chemin et son existance puisque maintenant je dois â mon tour poursuivre la mienne."
Je sais que déçue et blessée par ma trahison, tu mavais demandé de ne plus te contacter ou si cela devait se faire pas avant six mois. Cest une chose que je nai pas su faire. En regardant derrière moi je vois lampleur du gâchis, la somme de souffrances pour lesquels je suis responsable. Je doute quil nexiste de mots ni dexplication suffisamment cohérents. Il ny a aucune excuse valable ni pardon â attendre, la froide réalité est bien lâ ? et je le sais, maintenant que mes idées et mon esprit sont légèrement plus clairs. Bien quelles naient pas encore tout â fait disparue, cette colère intérieure et la rage que jéprouve envers moi-même se sont quelques peu atténuées. Suffisamment pour pouvoir tirer le constat des dégâts, sans avoir lenvie hic et nunc de me fracasser la tête contre les murs. Mais avant dy parvenir il maura néanmoins fallu plonger plus bas encore, me noyer davantage dans lalcool jusquâ la dissolution, nêtre ni mort ni vivant quinconscient cherchant labsolution dans des substances toujours plus proches du divin éther. Jaurais assisté impuissant â la destruction de la maison familiale par les flammes et de notre passé réduit en cendre faire mentir le Phénix en me complaisant dans la poussière.
Au-delâ des pertes matérielles, celle de la raison, en mimétisme avec Pandore jai bravé les interdits et de ma boite crânienne jai plongé les yeux grands ouverts dans lentrebâillement, me laissant happer dans la démence et les fléaux de mon esprit. Jai poussé lapnée jusquâ lasphyxie, je suis successivement passé de laliénation â la catatonie et voir pire encore avant de progressivement détourner mon regard du néant et mextirper des abysses. Je ressens maintenant avec une aveuglante lucidité la brûlure de la culpabilité. Cest une toute autre souffrance que de pouvoir émerger de nouveau comme au sortir dun cauchemar avec la gueule de bois en plus et privé de cette première bouffée de soulagement qui te desserre les poumons lorsque tu réalise que tout nétait quun mauvais rêve. Je navais pas trouvé la force nécessaire pour me battre dans les premiers temps qui ont suivi mon retour. Un jeune psychologue de la Police nationale vers qui on mavait orienté mi juillet lors de la déclaration dincendie de lappartement de ma mère, aura su trouver les mots justes pour me tirer partiellement du mutisme dans lequel je métais terré depuis des jours, des semaines.
? Le plus dur dans votre cas cest de sortir le premier mot. Une fois ce barrage passé le reste suivra ?. En effet javais par dépit jugulé tous les canaux de mon corps, de mes affects et de mon intellect, minterdisant par lâ même toute nourritures, émotions, paroles, toute démarche dabréaction. Comme si je voulais anémier, bâillonner et étouffer tous les jours un peu plus la bête exsangue que me renvoyaient les miroirs. F.C., cétait son nom, se contentait découter les flots dinepties que je débitais sans dire mots ou si peu séances après séances dans son bureau exigu coincé entre le comptoir daccueil et les salles de garde â vue du commissariat. Je me revois encore prostré sur cette chaise face â lui, le regard dans le vide. La tête penchée et le corps arc-bouté aux repose mains, les lèvres ouvertes en rictus de renvoi je me déversais sur le sol tel une bouche dégouts laisserait déborder des eaux plus noires et plus grasses encore que le linoléum qui le recouvrait. Je me rends compte maintenant il maura en fait permis de percer labcès laissant ainsi se libérer le pus visqueux et jaunâtre dans lequel baignait mon âme. Il est parti en vacances au début du mois daoût, je me suis alors agrippé â mon bloc notes pour ne pas sombrer et de lencre noire de mes pensées je souillais au quotidien les pages vierges. Elles mauront essentiellement servit de buvard car des pustules perlaient encore des sanies damertumes â éponger pour permettre une éventuelle cicatrisation. Javais ainsi commencé une sorte de catharsis en étant â la fois acteur et spectateur, narrateur et lecteur, mexposant tout en restant simultanément â labri dans lencadrement de mes feuilles. De fait, je devais me décharger un peu pour dune part libérer ma conscience avilie par une trop grande émulsion émotionnelle et dautre part tenter de comprendre.
Au fil des jours cétait devenu une chose importante de pouvoir coucher sur le papier mes sentiments.
Quils soient orientés par des émotions oscillantes entre colère, tristesse, amertume, exaspération, ceux furent tant de tensions internes quil me fallait délester. Lécriture était une passerelle beaucoup plus saine, qui me permettait de garder un lien avec la réalité. Elle soulageait peut-être mais â la relecture témoignait surtout dun état dans lequel la raison par ce mal, me faisait parfois défaut. Je ne cherchais pas dans son processus ni justesse ni dignité, non, les mots qui me venaient pour exprimer la souffrance â ces moments précis, dans ces dialogues solitaires que je tadressais en silence, ne répondaient pas â des logiques compassées. A peine pouvaient-ils apaiser mon esprit déchiré entre ma volonté de vivre et ces forces incompressibles qui me tiraient vers labîme.