Antidépresseurs dans les troubles bipolaires : que disent les études ?
30/09/2012
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Traitements
Que sait-on sur l’efficacité des AD dans la Dépression Bipolaire
Parmi les essais cliniques évaluant l’efficacité en monothérapie par rapport au placebo, l’étude EMBOLDEN-II est pour l’instant la plus large (McElroy et al, 2010). Elle a comparé la paroxétine (Deroxat®, 20 mg/jour) à deux dosages de la quétiapine (Xeroquel®) : 300 et 600 mg/jour, sur une période de 8 semaines. Dans cet essai, la paroxétine n’était pas plus efficace que le placebo. De plus, le taux de virage maniaque était équivalent dans les groupes paroxétine et placebo. Deux autres études ont trouvé une efficacité de la fluoxétine en monothérapie à court terme dans la dépression bipolaire type II et au long cours sur 50 semaines (Amsterdam et Shults, 2010a,b).
Quand on évalue les antidépresseurs en combinaison, les résultats semblent mitigés.
Vieta et al, (2002) ont rapporté que les patients bipolaires dépressifs et traités pat thymorégulateurs s’améliorent avec l’ajout d’un AD (paroxétine ou venlafaxine) – sur une période de 6 semaines. Une autre étude importante (Tohen et al, 2003) a démontré l’efficacité de la combinaison d’olanzapine (Zyprexa®) avec fluoxétine (Prozac®), qui s’est révélé nettement supérieure à olanzapine seule.
En revanche, l’étude STEP-BD (Sachs et al, 2007) a montré un résultat clairement négatif ; l’ajout de bupropion (Zyban® ou Wellbutrin®, qui est disponible en France pour l’arrêt du tabagisme) ou paroxetine (Deroxat®) au traitement thymorégulateur n’apporte pas plus d’effet que l’ajout du placebo : seulement 25% sont améliorés après 26 semaines dans les groupes placebo et AD !
Ce constat d’inefficacité des AD dans la dépression bipolaire a été documenté dans deux méta-analyses (Sidor et MacQueen, 2011 ; Vázquez et al, 2011).
On peut retenir pour l’instant que les AD, à part la fluoxétine (Prozac®) dans le trouble BP-II, ne sont pas efficaces en monothérapie dans la dépression bipolaire. Même en combinaison avec des thymorégulateurs, l’efficacité n’est pas évidente, à part la combinaison « olanzapine + fluoxétine » (OF). Ce qui revient à penser que certaines combinaisons soient nécessaires pour soigner la dépression bipolaire. En fait, la quétiapine est une combinaison de deux psychotropes (métabolisme actif comme un AD).
voir : Insérer lien efficacité du Xeroquel
A l’heure actuelle, on peut retenir que la combinaison OF et la quétiapine sont les seules à prouver leur efficacité en aigu dans la dépression bipolaire (BP type I et II). Toutefois, même si les preuves sont là, l’application dans la pratique de ces deux traitements se heurte avec des problèmes d’intolérance, notamment chez les dépressifs cyclothymiques.
Est-ce que les antidépresseurs apportent un bénéfice au long cours ?
Personne ne peut affirmer si le maintien des AD au long cours soit bénéfique. On a tendance à penser que les AD sont peu efficaces contre les rechutes dépressives par rapport aux thymorégulateurs. En comparant la venlafaxine (Effexor®), le bupropion (Zyban®) et la sertraline (Zoloft®), en ajout au traitement thymorégulateur standard, sur une durée d’un an, on observe une amélioration dans la phase aiguë dans les 3 groupes (50–60% de bonne réponse au terme des 2 premiers mois) mais dans la phase de maintien, le taux de prévention de nouveaux épisodes est assez faible (15–25%).
Une autre étude a sélectionné les patients bipolaires ayant bien réagi à la combinaison d’un AD au traitement thymorégulateur, puis randomisés pour continuer ou arrêter l’AD, après 2 mois de rémission (avec maintien du thymorégulateur). Le constat est clair : la continuation de l’AD ne protège pas contre la récurrence dépressive – et en cas de récurrence, l’AD ne réduit pas l’intensité de l’épisode.
Dans les cas d’une amélioration initiale avec un AD et sans induction de virage thymique, la prolongation de l’AD semble assurer un maintien d’amélioration (Altshuler et al 2009). De même, le maintien de la fluoxétine (Prozac®) sur une période de 50 semaines procure plus de prévention des rechutes dépressives par rapport au lithium chez des patients avec un trouble bipolaire type II.
Usage des anti-dépresseurs chez les bipolaires (en dehors de la dépression)
On sait que le trouble bipolaire est caractérisé par une forte comorbidité avec d’autres troubles et que cette comorbidité risque d’altérer le pronostic et la qualité de réponse aux traitements conventionnels. La comorbidité anxieuse pose le plus de défis car elle est associée avec des épisodes plus chroniques, un abus de substance, une psychose et une augmentation du risque suicidaire.
Par exemple, la comorbidité anxieuse (TOC, Panique, Phobie Sociale, Anxiété Généralisée) pourrait également expliquer l’usage des AD dans le trouble bipolaire. En effet, on constate chez les patients bipolaires présentant des comorbidités, un usage plus fréquent d’AD, d’anxiolytiques, de sédatifs et de stimulants.
Mais peu d’essais cliniques se sont focalisés sur la pharmacothérapie de la comorbidité dans les troubles BP (Provencher et al, 2012). Les AD sérotoninergiques sont considérés comme traitement de choix des troubles anxieux. De même, la comorbidité avec un trouble de l’attention peut indiquer le recours aux stimulants. Pour ces raisons, on recommande de différer l’usage des AD ou des stimulants après un traitement initial avec des thymorégulateurs. Pour la comorbidité avec le TDAH, le methyphenidate ou le bupropion (en raison de son effet sur la dopamine) est proposé en combinaison avec un thymorégulateur.
Commentaires et Conclusions
Quand on se réfère aux preuves, il n’y a pas de raison de choisir un AD par rapport à un autre ou même de prescrire n’importe quel AD pour soigner une dépression bipolaire. On sait que l’usage des AD chez les patients BP comporte tout un ensemble de risques (virages, déstabilisation, accélération des cycles, conduites suicidaires…). En plus s’ajoute l’incertitude sur leur réelle efficacité clinique. Les seuls traitements approuvés dans l’indication « dépression bipolaire » sont au nombre de 2 :
En Europe, seule, la quetiapine possède cette indication et le Japon vient d’accorder à l’olanzapine son approbation (en monothérapie) dans le traitement de la dépression bipolaire. Nous pensons que ces traitements sont surtout adaptés aux dépressions au sein du trouble BP-I et de nombreux obstacles liés à la mauvaise tolérance limitent leur applications dans les dépressions bipolaires type II ou cyclothymiques.
Qu’est ce qu’on dire et commenter sur cette revue de la littérature ?
En premier, force est de constater la confusion et l’incertitude au sujet des risques et bénéfices de l’usage des AD dans la bipolarité. Malgré l’absence de preuves, les psychiatres ont toujours prescrit (et continuent de prescrire) les AD comme traitement initial de la dépression bipolaire, même en monothérapie et au long cours. Le maintien des AD au long cours n’apporte aucun bénéfice en terme de protection contre les rechutes ou d’atténuation de l’intensité des rechutes dépressives. Néanmoins, dans les cas ayant présenté une bonne réponse initiale et sans virage, la continuation de l’AD est capable d’assurer une rémission prolongée. Mais dans ces cas, chaque tentative d’arrêt de l’AD est associée avec une rechute rapide de la dépression. Est-ce une preuve d’efficacité ou de dépendance à l’AD ?
Les psychiatres et autres médecins considèrent la dépression bipolaire comme une dépression « tout court », identique à la dépression unipolaire. Ils ont raison seulement si les épisodes dépressifs sont indépendants des autres manifestations de la bipolarité. Ainsi une vision clinique basée sur les symptômes actuels est source de « mauvaises » décisions thérapeutiques. La vision clinique soit être basée sur le long cours en tenant compte de l’aspect évolutif des épisodes et de la nature des tempéraments de base.
Certaines enquêtes ont montré qu’un tiers des patients bipolaires en phase maniaque continuent de recevoir des AD, surtout les patients présentant un état mixte (55%) contre 27% des cas avec manie pure (Azorin et al, 2009). Il est possible que la « mixité » de l’épisode soit une explication ; une autre explication serait l’anticipation d’un virage dépressif avec les traitements anti-maniaques.
Un décalage qui reste pour l’instant mystérieux. Les cliniciens continuent de prescrire des AD, parce qu’ils sont convaincus que ça marche ; Possible pour certains cas et à court terme. Mais cela suffit pour qu’ils ne respectent pas les preuves scientifiques. A une époque où on évoque l’inutilité des médicaments et leurs excès d’usage, force d’admettre que l’expérience clinique ne peut guère invalider les preuves scientifiques, mais l’inverse est vrai. Les preuves sont capables d’invalider la pratique clinique de certains traitements. Cela a été flagrant pour les saignées et récemment pour les traitements de remplacement hormonal – pourquoi pas pour les AD dans les dépressions bipolaires (Ghaemi, 2012). Il est normal de dire que les résultats des études cliniques concernent des moyennes de réponse et des moyennes de groupes de patients. Elles ne révèlent pas les effets des traitements dans les sous-groupes spécifiques de patients ; mais les résultats peuvent concerner une majorité de patients. Ainsi, l’usage des AD chez les bipolaires doit impliquer un choix sélectif et prudent (chez les dépressifs BP-II, présentant des épisodes purs – à proscrire dans les dépressions mixtes et à cycles rapides) et une vigilance particulière systématique (traquer les complications à court et long terme).
En second, peut-on soigner les dépressions cyclothymiques avec les traitements actuellement approuvés ?
Concernant les dépressions au sein de la cyclothymie, notre expérience clinique révèle la difficulté d’appliquer dans la pratique les traitements approuvés dans la dépression bipolaire « classique » (trouble BP-I et –II). En effet, les patients cyclothymiques tolèrent très mal les antipsychotiques atypiques, notamment la quetiapine et l’olanzapine (trop de sédation, prise excessive de poids…). Nos meilleurs résultats sont obtenus avec les combinaisons « lamotrigine + petites doses de lithium » ou « valproate + antidépresseurs à doses modérées ». De bons résultats sont observés avec l’aripiprazole à des doses faibles (2,5 à 5 mg).
Ainsi le rapport bénéfice/risque (effets indésirables) est à respecter quand on décide de soigner une dépression bipolaire.
En troisième lieu, l’incapacité de faire les liens entre les causes et les effets des AD dans le trouble bipolaire ?
Nous constatons à travers les publications la difficulté de faire la distinction entre un virage thymique naturel et un virage induit par les AD ; ou entre une accélération des cycles qui est induite par les AD et une forme instable de bipolarité… Une autre difficulté est de distinguer entre un virage (comme un effet adverse) et une réponse antidépressive. Pour rappel, la découverte des AD a été liée à l’observation des virages thymiques induits par le premier IMAO (Marsilid®) et le premier tricyclique (Imipramine, Tofranil®) !
Malgré ces difficultés, nous pensons que le débat concernant ces distinctions est artificiel. Que ces phénomènes soient naturels ou induits par les AD, ils doivent être observés et considérés comme un marqueur de bipolarité et le plus important, est de stopper les antidépresseurs et introduire des thymorégulateurs. Notre étude (Akiskal, Hantouche, 2003) sur les dépressions avec des hypomanies pharmacologiques (hypomanies survenant uniquement au cours d’un traitement AD) a validé leur appartenance au spectre bipolaire (BP-III). De plus, le DSM-V va inclure les cas de virages thymiques avec AD dans le spectre BP.
Un dernier point concernant le constat dans certaines études que le taux de virages avec les AD est identique à celui du placebo (comme dans l’étude STEP-BD). Ce constat ne permet pas de conclure à l’absence de virage induit par les AD, mais plutôt de penser à l’effet protecteur ou masquant des thymorégulateurs qui sont combinés aux AD ou au placebo.
En quatrième lieu, les liens entre bipolarité et résistance aux AD
La majorité des patients vus au CTAH présentent une résistance aux AD – on sait que c’est un facteur de sélection (la résistance au traitement conduit à consulter des centres experts). Cela dit, cette résistance n’est pas une fatalité – c’est une résistance liée à la prise des AD, car la plupart de ces patients vont réagir positivement aux thymorégulateurs avec l’arrêt progressif des AD. Dans certains cas qui ont été exposé lourdement aux AD, le délai d’amélioration semble retardé, mais pas impossible (cf le document « AD dans la dépression avec hypomanie sub-syndromique)
Enfin, les résultats au sujet de la prédiction de la réponse au traitement demeurent pour l’instant assez limités à part certains facteurs comme le nombre d’épisodes antérieurs, la fréquence d’exposition antérieure aux AD, la présence d’épisodes mixtes (symptômes hypomaniaques au sein des épisodes dépressifs)…