Addiction, quand tu me tiens
1/01/2008
Témoignages > Comorbidité
Bébé, jétais mince. Enfant, jétais mince. Ado, je commence â varier avec plus ou moins huit kilos par rapport â mon poids idéal (en fonction de ma taille). Mais je fais des régimes, je maintiens la barre. A 18 ans, je suis mince. Pour me décrire en quelques mots, je suis sûre de moi, volontaire, têtue même, et jaime plaire. Je suis quelquun â double facette(!). Ceux que je rencontre via lécole me connaissent généralement comme quelquun de timide et de terne. A lextérieur, on me voit comme étant extravertie, dynamique, toujours partante.
A 18 ans, je rentre en prépa HEC. Pourquoi ne pas faire ça plutôt quautre chose puisque jen suis capable et que je ne sais pas ce que je veux faire dans la vie. Faire une prépa est connu pour être quelque chose de stressant. Les élèves sont sous pression. Etais-je stressée ? Non, je ne me sentais pas stressée, mais pour la première fois de ma vie je me suis mise â penser en cours â ce que jallais bien pouvoir courir aller macheter â la boulangerie pendant la pause ! Courir est bien le terme : 10 minutes de pause avec 5 étages â descendre (et donc â remonter) pour une boulangerie â au moins 500 mètres, en tenant compte du temps nécessaire pour manger, je vous assure quune pause de 10 minutes est très courte. Mais après tout où était le mal, la gourmandise a toujours été mon péché mignon ! Tant est si bien que je me suis mise â macheter mes ? goûter ? le matin, copieux les goûters, â manger le midi, normal, qui ne mange pas le midi, puis â la sortie vers 18 ou 20h, â macheter un ou deux sandwich avant de remanger le soir. Mais encore une fois qui ne dîne pas le soir. Et puis, il y a la nuit. Une nuit cest long. Un frigo seul, ça sennuie. Alors â lui aussi, je me suis mise â lui rendre visite.
Au début ce nétait pas systématique. Mais jy pensais pendant tellement longtemps avant de le faire quil métait difficile de ne pas passer â laction. Il marrivait même de faire de longs détours pour macheter ces aliments. Voilâ lengrenage est lancé, la bouffe est partie prenante de ma vie! Je ne mavoue pas que cest un comportement anormal, mais je fais tout de même tout ça en cachette de tous (mes parents, mes amis, mon mec) : ah, mauvaise fois quand tu me tiens !
Evolution (environs deux ans plus tard)
? Bonjour. Je voudrais deux Menus Best of Big Mac avec frites et jus dorange, deux Sunday au chocolat et un Deluxe. Merci. ? Quelques minutes plus tard : ? Bonjour. Je voudrais un Menu Quickn Toast avec frite et un Longchicken. Ah, attendez, mon ami (au téléphone) me dit quil veut un autre Quickn Toast, vous men mettrez donc deux. Merci. Au-revoir. ? Il ny a bien sur pas dami au téléphone, mais comment assumer devant dautres ce que je nassume déjâ pas moi-même. Je viens de commander trois hamburgers (menus) chez Quick en ayant déjâ des menus MC Do pleins les mains. Jimagine ce que sont en train de penser les vendeurs. Me voilâ prête â rentrer chez moi, VITE, maintenant, ça URGE! Je mange, je dois marrêter, mon ventre ne le supporte plus, jai mal, ma respiration en est même lourde tellement je suis pleine, mais après une courte pause, je continue : je dois terminer !
A cette époque, je ne sais rien. Je ne sais pas que je suis boulimique ! Je ne sais pas que je suis bipolaire ! Bref, je ne sais pas qui je suis. Et pourtant, jen ai vue des émissions sur la boulimie, jen ai entendue des personnes qui attestaient sêtre reconnue après avoir vu ou lu des témoignages. Moi, NON ! Jai mis 5 ans â le découvrir. A enfin comprendre que jétais addict, que ma drogue â moi cétait la bouffe. Je navais pas besoin de seringue, pas besoin de dealers, etc. Non, ma drogue, elle était lâ partout, étalée et disponible.
Pendant cinq ans, jai cru que toutes ces souffrances qui ont été dû â la BOUFFE, nétaient que ma faute ! Je ne devais men prendre quâ moi car je navais pas la volonté de résister. Toutes mes amies sont minces, toutes mes amies surveillent leurs poids â 2 ou 3 kilos près et moi, même avec plusieurs dizaines de kilos en trop, je continue. Je vous laisse imaginer mes conclusions : je suis une nullité totale! Et puis â force de discuter avec ces amies, je maperçois que je suis différente. Je suis la seule â penser â la nourriture de manière obsessionnelle : chaque minute de chaque jour qui passe, jy pense. Je ne dois donc pas seulement résister â la faim mais contre une envie quasi permanente de me ruer sur la nourriture. Lorsque je suis en voiture, chaque boulangerie, sandwicherie, MC Do, Quick, magasin alimentaire, etc., accroche mon regard et me pose la question : ? Je marrête ou je ne marrête pas ? ?. Mais si je marrête, cest razzia. Et, ce qui est acheté DOIT être terminé. Heureusement pour moi, dans ces moments, je nachète que de la nourriture saine : carottes, chou-fleur, concombres, soupes?Vous mavez crue ? Bien sûr que non ! Ce serait trop beau. Cest tout linverse, il me faut de la malbouffe : lidéal pour mes hanches, mes cuisses, etc., parce que, bien sûr, je ne vomie pas ! Certains diront tant mieux, cest déjâ ça de gagné sur la santé ; moi jaurais beaucoup donné pour réussir â vomir parce que vous nimaginez pas le nombre de kilos que jai pris et le nombre dimpacts que cela â eu sur ma vie et mon psychique : une catastrophe !
Aujourdhui encore, je ne sais pas ce qui est pire : être addict â la bouffe ou â une autre drogue. Je me dis que les autres drogues, il faut passer le cap, mais quune fois quon a arrêté, on ne doit faire face quâ leur souvenir. Moi, tous les jours, je dois toucher et jouer avec ma drogue. Je dois la consommer sans retomber dans le cycle infernal. Toutefois, jadmets donner cette opinion sans avoir jamais été soumise aux difficultés dune autre addiction, alors toutes mes excuses par avance si je me trompe.
Rétrospectivement, cela me paraît incroyable davoir pu être ? moi ? et de ne pas avoir su que jétais boulimique. La bouffe et ses conséquences ont été le problème central de ma vie pendant cinq ans et je nai pas su nommer le problème. Je nai pas compris que cétait une obsession : je me réveillais en y pensant, je mendormais en y pensant, la journée jy pensais. Bref, je vivais bouffe.
Vomir
Je ne vomie pas. Comme je lai dit plus haut, certains doivent dire ? Alléluia. ?: une partie de ma santé est préservée : FOUTAISE !!
Depuis gamine, je déteste vomir. Même patraque, je trouve toutes les astuces inimaginables pour léviter. Alors, jétais boulimique sans vomir. Jai grossi, grossi, grossi. Mais je suis bipo, et jaime plaire, plaire, plaire. Jen ai bavé. Je nai pas été tendre avec moi-même, mais la société lest encore moins. Les gens aiment la norme. La différence fait peur ou intrigue. Ce nest pas pour rien que les attractions des monstres de foire ont si bien marché pendant des dizaines dannées. Vous marchez dans la rue et vous voyez, ou bien vous sentez, les regards des gens sur vous. Ces mêmes regards que beaucoup lancent vers les handicapés, les clochards, etc. Ces regards font mal. Les propos qui les accompagnent souvent, encore plus.
Dans un groupe, en société, javais lhabitude que les gens viennent autant vers moi que jallais vers eux. Dorénavant, il me faut tout faire. On ne maccorde plus aucune attention. Je dois me faire remarquer, faire rire, devenir presque exubérante, pour qualors jai droit â la même place que les autres (je ne parle pas de mes amis). Je suis le bout en train. Les mauvais jours, je me qualifierais presque de ? bouffon du roi ? : mais attention, je nai JAMAIS fait rire â mes dépends !
Pour résumer, instinctivement la société donne plus de qualités â une personne mince quâ une personne qui ne lest pas. Mon propos est objectif. Jai eu â peu près cinq ans pour vérifier mes affirmations et les vivre. En faire lexpérience est extrêmement douloureux. Avoir vu ma place dans la société changer, mes rapports avec les gens évoluer sans que je ne parvienne â enrayer la situation me rendait malade ! Jai perdu mes repères. Jaurais tout donné. Jétais prête â tout, sauf â la seule chose qui était nécessaire : arrêter de manger. Je ne pouvais pas ou seulement sporadiquement.
La boulimie en mode contrôle
Personne ne le sait. Je fais bonne figure, mais je me déteste. Je me regarde dans un miroir et je ne me reconnais pas. Je suis prisonnière de mon corps. Il marrive de me frapper, de me griffer par haine. Plus vicieux, parfois je mange â outrance pour me punir : je crée mon propre enfer.
Je refuse de macheter des vêtements, de fréquenter des hommes (pas de SEXE), de partir en vacances, de pratiquer des activités de loisirs, etc. Je minterdis LA vie. Tout est reporté â après. ? Après ? signifie quand je serais â nouveau moi : mince et belle. En attendant, je nexiste pas. Et malgré toute cette souffrance, aucun résultat. Parce que la source du problème na pas encore été identifiée : je suis bipo. Je mange en réaction au stress. Un stress présent, un stress passé, presque un stress â venir. Je mange parce que je suis hypersensible. Je mange parce que je nai pas le moral. Bref, je mange pour les mêmes raisons que beaucoup de gens, mais de manière exponentielle.
Aujourdhui, depuis un an, je vois la fin du tunnel. Je sais que je suis bipo depuis deux ans. Je suis prise en main. Je suis un traitement. Familièrement, je dis que je ? gobe ?. Et peu importe que je doive ? gober ? trois ou huit cachets, cest bien le cadet de mes soucis. La seule chose qui compte est quaujourdhui, mon état se régule. Bien sur, je pense que toute ma vie, il faudra que je fasse attention â mon comportement alimentaire en cas de coup dur car cest mon refuge. Il y un an, jai enfin réussi â perdre plusieurs dizaines de kilos. Je ne vous dirai pas combien, aucunes personnes de mon entourage na jamais su quel poids jai atteint et je nai jamais donné aucune indication pouvant y contribuer. La seule chose qui compte cest quenfin JE MIDENTIFIE A NOUVEAU A MOI-MEME ! Je SUIS moi au sens plein du terme et enfin je revis ! Trois mots pour définir ce moment : QUE DU BONHEUR !
Tout ça pour ça
Il marrive souvent de me demander si javais eu la possibilité de choisir mon destin, si je me serais infligée cette épreuve : la bipo, la boulimie qui en découle, les traumatismes qui y sont liés ? Jimagine quaprès la lecture de mon témoignage, vous répondrez immédiatement : ? NON. ?. Ca était, moi aussi, ma première réaction. Aujourdhui, je ne sais pas. Jai vraiment souffert, le mot est faible, mais en même temps ces épreuves mont enrichie. Elles mont amenée â minterroger plus tôt que dautres sur ce que jattends de ma vie, ce que je veux en faire. Certains attendent la quarantaine ou la cinquantaine pour faire leur ? crise existentielle ?. Jai peut-être eu la chance de me poser les bonnes questions plus tôt que dautres, et davoir conscience plus tôt de la valeur de la vie : La vie est un jeu, chaque chose â prendre est bonne, le reste nest que foutaises