14 : Chauffarde de la vie
31/12/2007
Témoignages > Bipolarité > La vie bipolaire de Melle M
Dernièrement j’avais décidé de passer mon permis de conduire quand je réalisai que ça ne serait pas difficile après avoir passé, haut la main, mon permis de chauffarde de la vie. Qu’est-ce â dire ?
Pour ce faire il faut oublier tous les comportements si durement acquis et commencer par la partie •conduite• qui sera déterminante lors de votre passage au •code•.
Nous allons vous familiariser avec les principes basiques qui régissent l’allure d’un chauffard de la vie, non pas pour vous inciter â rivaliser avec nos champions rallye toutes catégories, mais plutôt pour vous avertir que le danger est peut-être déjâ garé derrière vous !
Oh, je sais ce que vous allez me dire : le permis basique n’y suffit-il pas ? Point du tout car ce dernier s’acquiert avec l’âge or le mien remonte au moins â la naissance.
Les premières leçons sont assez rudimentaires : ou bien vous êtes un enfant incontrôlable, ou bien vous êtes l’image incarnée d’un saint, ou bien encore vous n’êtes pas encore prêt â prendre la route ce qui ne va pas faciliter le passage â la conduite variable. Si vous avez répondu oui aux deux premières propositions, vous êtes sur la bonne voie.
Mais bientôt l’age bête rentre en lisse et sert de parfait alibi pour tous les excès sous peine de quelques amendes pour trouble â l’ordre du sens unique. Ainsi, vous avez toute latitude pour vous essayer au volant.
Nous commencerons par apprendre â doubler â droite puis en tête â queue. Nous poursuivrons avec l’ignorance des priorités et des panneaux d’avertissement puisque, de toute façon, ce n’est valable que pour prévenir les autres que nous sommes des dangers publics. Il n’est pas non plus nécessaire de faire usage des fréquentes recommandations comme celle du port de la ceinture étant donné que vous allez descendre et remonter sans cesse. Vous éviterez autant que possible les contrôles techniques, ils ne vous serons d’aucune utilité étant donné qu’ils ne sont adaptés qu’aux symptômes physiques.
Vous vous essaierez â la montée avec le frein â main, vous prendrez des paris sur des descentes, le pied au plancher. Préférez les petites routes montagnardes bien sinueuses sans pneus neige car le bord d’un ravin vaut bien une autoroute aussi ennuyeuse que rectiligne. La prise du sens interdit est un incontournable autant qu’un stationnement qui fait jouer les pare chocs. Amusez vos congénères â rouler pleins feux en égratignant de pauvres innocents sur les passages cloutés.
Après avoir passé votre conduite, viendra le temps où le moteur s’essoufflera, les joins de culas rendront l’âme un par un, la direction aura trop de jeu, les phares seront faibles, les plaquettes seront â bout, l’essuie glace couinera la complainte du salut.
Un accident ? Etait-ce lâ tout le but de toute cette formation ? J’entends vaguement les sirènes et je me laisser bercer dans le monde de coton de quelques soins mal appropriés. Ainsi s’avance l’heure des cours théoriques.
A chaque diagnostic, on se jette sur les explications laissées en pâturage, on se gave des expériences des autres jusqu’â s’identifier â leur mal tandis que le mécanicien, toujours aussi dérouté, vous relâche en pleine nature pour bonne conduite et bons honoraires. Alors que vous pensiez avoir été reçu â l’examen, voici que vient l’heure de vérité et votre carrosse, jusqu’ici â la fourrière, va être recyclé selon la réglementation en vigueur. Après nombre d’efforts, quelques épreuves vous incombent encore : les test de QCM et de vocabulaire. Il vous faudra retenir des concepts comme cyclothymie, manie, dépression, dysphorie, inhibiteur des monoamine oxydases, Inhibiteur de la recapture de la sérotonine-noradrénaline, benzodiazépine, thymorégulateur? autant de noms que d’armes pour vous défendre contre les abus du volant.
Et vous voilâ en route pour le paradis terrestre où il fait bon conduire par beau temps, les cheveux au vent, une brise légère et le paysage éclatant ! Non, n’exagérons rien. Disons que vous ne tournerez plus en sens inverse sur les ronds point mais ce n’est pas pour autant que l’on peut renier tant d’années de slalom entre ligne jaunes.
Depuis quelques jours, je suis entrée dans l’administration, le chemin typique pour qui recherche la stabilité. Je sens l’effet positif de me lever tôt, de renouer avec les relations sociales, de mieux supporter la fatigue, et d’autres bonnes choses. Pourtant, j’ai l’impression que m’engager dans cette voie revient â perdre mon identité de bipolaire. Je me suis lassée d’être une toupie et, en même temps, il flotte un air de nostalgie â se fondre dans la masse en bon pôle position.