Stress et charge allostatique
14/07/2014
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Traitements
Définitions de lʼAllostasie et de la Charge Allostatique
Lʼallostasie est le processus par lequel le cerveau, qui interprète les événements de la vie quotidienne et produit des réponses physiologiques et « comportementales », tente de promouvoir lʼadaptation à court terme. Elle peut se définir comme la capacité à maintenir la stabilité à travers le changement de variables biologiques au sein de systèmes adaptatifs complexes. Par lʼallostasie, le système nerveux autonome, lʼaxe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA) et les systèmes cardiovasculaire, métabolique et immunitaire protègent lʼorganisme des effets du stress, interne ou externe.
La charge allostatique, en revanche, résulte dʼun excès ou dʼun déficit chronique dʼactivité de ces systèmes adaptatifs ou encore dʼun défaut de régulation de ces systèmes. La répétition dʼétats allostatiques (états prolongés dʼactivité stimulée des médiateurs de stress tels que glucocorticoïdes, catécholamines, neurotransmetteurs et cytokines), quelle quʼen soit la cause, conduit au développement de la « charge allostatique », qui peut encore se définir comme le prix payé par lʼorganisme (cerveau et autres organes et tissus) pour tenter de maintenir lʼallostasie.En dʼautres termes, lʼallostasie peut aussi se concevoir comme le processus adaptatif dʼaide au maintien de lʼhoméostasie et dʼaccommodation au changement (par exemple : sécrétion de catécholamines et de glucocorticoïdes pour renforcer la mémorisation de situations de danger), tandis que la charge allostatique représenterait le « coût » infligé à lʼorganisme si le recours aux fonctions allostatiques est excessif ou si leur régulation est déficiente.
Stress, activation cognitive et système dʼalarme
Si lʼon se réfère à des théories spécifiques du stress, telles la théorie de lʼactivation cognitive, la charge allostatique résulte de lʼactivation prolongée du « système dʼalarme » qui met en perspective lʼissue attendue dʼune situation et les ressources disponibles pour faire face à cette situation. Le système nerveux central nʼest pas seulement le déclencheur de lʼactivation du système des hormones de stress : il en est aussi lʼune des principales cibles. En tant que tel, le cerveau se trouve au centre dʼune dynamique qui permet dʼexpliquer la toxicité neurologique du stress, le développement de syndromes psychopathologiques et les conséquences à long terme du stress pour la santé « physique ».
Les médiateurs de stress exercent leurs effets protecteurs et adaptatifs, notamment par leur rôle dans les processus dʼacquisition de réponses conditionnées et de mémoire contextuelle respectivement au niveau de lʼamygdale et de lʼhippocampe. Selon une perspective évolutionniste, ils agissent dʼune manière comparable au système immunitaire, qui y est dʼailleurs associé. Dans les deux cas, la constitution dʼun répertoire mnésique permet à lʼorganisme de répondre plus rapidement et plus efficacement lors de la présentation ultérieure dʼune menace. En revanche, en situation de stress chronique, ces mêmes médiateurs ont des effets extrêmement délétères sur la fonction et la structure cérébrales. Ils influencent en effet la plasticité neuronale (suppression de la neurogenèse, réduction de la survie de cellules neuronales, remodelage, cʼest-à-dire réduction du branchement et de la longueur de dendrites). Des modèles animaux de stress répété et prolongé ont montré lʼeffet bénéfique de certains antidépresseurs et antiépileptiques sur la neuro-genèse et la structure dendritique, soulignant le rôle de ces molécules non seulement dans le contrôle des symptômes mais aussi dans le traitement à visée curative et la prophylaxie des troubles psychopathologiques associés au stress. Ces données représentent potentiellement une évolution fondamentale dans nos conceptions des états de stress, de leur traitement et des effets bénéfiques à long terme de thérapeutiques antidépressives, dans le cadre de découvertes surprenantes sur les propriétés de plasticité du cerveau adulte. Il est probable, selon nous, quʼune dérégulation impliquant lʼhippocampe – structure importante pour la mémoire contextuelle, épisodique et spatiale – et lʼamygdale – centre de modulation de la peur et des émotions intenses – soit en œuvre dans les troubles anxieux, avec difficulté pour lʼindividu de « savoir » dans certains contextes si la peur est appropriée ou non, mais cette hypothèse reste spéculative à ce jour.
Les systèmes allostatiques ou adaptatifs peuvent évoluer dans des marges beaucoup plus larges. La base de toute réponse de lʼorganisme à un défi ou une menace comprend deux composantes : déclencher les systèmes allostatiques lorsque la menace se présente et assurer lʼextinction de ces mêmes systèmes lorsque la menace est « passée ». Sur le plan physiologique, la réponse allostatique se fonde principalement sur la sécrétion de catécholamines, par les nerfs et la glande médullosurrénale, sur la libération de corticotropine, par lʼhypophyse et sur la production secondaire de cortisol, par la corticosurrénale. Le danger passé, lʼon doit assister à lʼinactivation des systèmes allostatiques, avec retour à des niveaux de base des catécholamines et du cortisol. Un défaut dʼinactivation conduit à la persistance de taux élevés des hormones de stress durant des semaines, des mois ou des années et à lʼinstallation de la charge allostatique avec son cortège de conséquences délétères pour lʼorganisme et le psychisme.
Développement de la charge allostatique
On distingue principalement quatre situations associées au développement de la charge allostatique et à ses conséquences physiopathologiques, psychologiques et psychopathologiques :
Bipolarité, chronicité du stress somatique
Il est hautement probable que diverses combinaisons des quatre mécanismes évoqués plus haut caractérisent lʼétat de stress physiologique et psychologique consécutif au diagnostic, à lʼévolution et au traitement de la bipolarité. En effet, la succession dʼévénements stressants constitue une caractéristique de base de lʼévolution naturelle du trouble bipolaire, depuis les symptômes précoces et lʼannonce de son diagnostic jusquʼaux traitements complexes et répétés, à leurs effets secondaires à court et à long termes, aux symptômes évoquant la possibilité dʼune rechute et aux périodes de bilan, réactivant la peur de la récurrence.
Il est également très probable que de nombreux individus éprouvent des difficultés, biologiques et/ou psychologiques, dʼhabituation à la répétition de facteurs de stress de nature similaire, en particulier lorsque ceux-ci symbolisent une menace existentielle. Ce sont alors, au contraire, des processus de sensibilisation, biologique et comportementale, qui caractérisent lʼaccumulation de la charge allostatique.
En raison dʼun mode évolutif, chronique et récurrent, les patients bipolaires vivent un stress chronique obligeant lʼorganisme à sʼadapter et à lutter, ce qui amène lʼabsence dʼextinction des réponses biologiques – comme si la menace ne disparaît pas. Du fait de lʼévolution naturelle de la maladie, lʼappréciation objective et précise du moment où la menace peut être considérée comme passée sʼavère pour le moins difficile. A moins dʼaider les patients bipolaires à une adaptation psychologique en apprenant à appréhender les différents stress générés par la maladie et ses conséquences et limiter autant que possible les excès « inutiles » de stress. En fait, grand nombre de patients vivent dans la peur de rechuter et dʼautres mènent un style de vie qui, lui-même, génère des stress et une majoration des facteurs de risque.
Résilience et croissance post-traumatique
Vivre avec une maladie chronique et récurrente renvoie aux phénomènes de résilience et de « croissance post-traumatique ». Selon le modèle traditionnel, le trouble représenté par le syndrome de stress post-traumatique constitue un état dʼhyper-vigilance et de reviviscence traduisant le défaut dʼextinction dʼune réponse à une menace passée. En cela, il sʼinscrit dʼailleurs parfaitement dans la perspective de la charge allostatique (CA). Mais quand le danger de récurrence est réel, cela paraît a priori peu compatible avec la phénoménologie post-traumatique. Ainsi, il convient de concilier la persistance de menace objective avec la rupture permanente du « déni dʼimmortalité ». Les facteurs biologiques déterminant cette situation de dépassement des capacités de représentation symbolique restent à identifier, mais il semble probable que puissent être impliquées des interactions entre :