Humer la vie
1/01/2009
Témoignages > Scènettes de vécu bipolaire
Quand on pense parfum, le talent du héros inquiétant du roman "le parfum" jean baptiste Grenouille véritable génie olfactif revient en mémoire, ce que je ne suis pas. Pas de nez exceptionnel chez moi, ni une mémoire olfactive supérieure, je dirais pour traduire ma manie de m’imprégner du monde par le parfum qu’il dégage qu’elle est enracinée dans l’expérience émotionnelle comme Proust savourant sa madeleine.
Je me souviens de mes sensations d’enfant déjâ en chemin vers l’adolescence, avec autant force que dans le récit de Proust. Il y a des circonstances particulières où les ingrédients sont tous au rendez vous créant alors une délicieuse alchimie de joie et de plaisir.
C’étaient les samedi matin, et pour rien au monde je n’aurai manqué ces sorties-lâ , celles du marché de la médina dans la ville de Casablanca. j’avais 12 ans, gourmande et curieuse de goûter â tout. Je déambulais dans ce musée des sens véritable festival impressionniste, fascinée devant ces tableaux animés déployant de merveilleux fruits emmêlés exhalant des parfums polychromes.
Les vendeurs dans une cacophonie de voix viriles pleine d’humour et de complicité nous les fourraient dans nos mains pour que nous assistions nos parents dans leurs achats, oranges gonflées de pulpe juteuse, melons sucrés et pleins de promesses, pastèques fraîches et désaltérantes, tout se mêlait aux senteurs entêtantes des épices et des herbes. Imposante et séductrice, la menthe embaumait avant même que nous arrivions devant les étalages, nous précédant ainsi dans les dédales de l’immense marché rempli d’épices aux pigments chatoyants, fidèlement représentés par le cumin, la coriandre et la cannelle éternels rivaux d’un royaume invisible â la flamboyante architecture odoriférante.
Ces années bienheureuses furent des périodes intenses de bien être, joyeuses et légères, j’en ai même gardé une habitude prégnante de respirer profondément les gens et les lieux pour les conserver en mémoire. Et pour moi cultiver les rituels des fêtes puise aussi sa source dans la mémoire sensorielle, comme pour les rythmes des saisons qui se suivent et revêtent chacune leur identité propre.
Quelle est par ailleurs cette idée absurde qu’il faille avoir une saison préférée ? pourquoi choisir une saison préférée alors qu’elles éveillent toutes de délicieux frissons, dont je savoure le souffle généreux et intense ? Prenons le printemps qui pointe ces jours-ci ses premiers bourgeons, il est une farandole de sensations qui me donne le tournis. Devant la magique et provocante combinaison de lumière , de chaleur, de parfums et de couleurs, ma tête pétille, et je ris seule, le corps qui frissonne chatouillée dans la nuque par une main invisible. Et sans hésitation, je pourrais défendre chacune des saisons comme étant l’unique, l’indispensable â mon territoire intérieur en quête de sens et d’arômes.
Et quand ma réalité vire aux couleurs ternes , je me réconforte auprès d’invisibles discours raffinés qui rehaussent mon quotidien, banal me semble t’il, et m’offre un séjour fugace dans des sphères qui m’enivre d’une liqueur innocente. Seule au monde, Je me délecte en compagnie des essences rares et précieuses des parfums. Réfugiée dans un de ces temples où s’alignent les élégants flacons d’élixirs, je les respire avec révérence et je sais que quelques minutes suffisent pour que l’ivresse me saisisse , puis la sensation de vertige viendra, me rappelant que le corps aime la modération.
l’odeur indispose, source d’agression elle envahit alors mon espace personnel et intime, au point que je ne puisse plus supporter une seule odeur sauf la mienne, j’en viens alors â condamner tout ce qui peut me déranger et me tyrannise. C’est pourquoi, je ne dirai pas que j’ai une sensibilité particulière aux odeurs, mais plutôt une susceptibilité.
Un jour, j’ai senti mon odeur corporelle changer, devenir étrangère et désagréable. Un phénomène qui a cessé dès l’arrêt du traitement « oligosol » de Lithium, un concentré de sels qui visiblement surchargeait l’activité rénale et transformait mon odeur.
Un parfum trop lourd me donnera la migraine, et m’empêchera de me concentrer surtout si je le porte sur moi. Imaginez alors ce que ça fait que de ne plus reconnaître sa propre odeur, surtout si elle est âpre et déplaisante. J’ai dû affronter le sourire incrédule du Docteur H. quand je lui dit mes réticences pour prendre du Lithium avec l’appréhension de devoir supporter cette mutation de ce qui compose mon moi intime. Et ravi, il a saisi l’occasion de m’inviter â écrire la place que prend l’odorat dans mon vécu, ce que je fais â l’instant….