Le BDD ou l‘obsession de l‘apparence : TOC, cyclothymie ou autre ?
31/12/2007
Auteur : Melle Majdalani
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Frontières / masques trompeurs
Quʼest-ce que le BDD ?
La traduction de Body Dysmorphic disorder dans la version française du DSM IV par "Trouble : peur d’une dysmorphie corporelle", est une catastrophe sémantique (selon Tignol, livre chez O Jacob, 2006). Les patients présentant un BDD ne craignent pas d’avoir un défaut corporel, ils en sont persuadés. La base de ce trouble est non pas la peur mais les préoccupations concernant un supposé défaut.
Critères du DSM-IV :
Le BDD n’est pas une simple préoccupation portant sur l’apparence physique comme nous pouvons tous en avoir. "Les patients présentant un BDD sont intensément préoccupés par un défaut physique imaginaire ou grossièrement exagéré, considérant leur apparence physique comme dégoûtante, répugnante et honteuse, ce qui va parfois jusqu’à les torturer et les empêcher de penser à autre chose", précise Katharine Philipps.
Les préoccupations dans le BDD
Les préoccupations qu’il suscite donc sont très largement disproportionnées par rapport à la réalité. Pour les autres, ce défaut est soit imaginaire soit léger ; pour le patient, il est réel et catastrophique.
Elles peuvent concerner différentes parties du corps principalement la peau, la chevelure, le nez, les yeux, les jambes/genoux mais aussi le menton/mâchoire, les seins/pectoraux, les lèvres, le pénis, les oreilles, la taille, les muscles faciaux etc. Elles focalisent les pensées du patient et l’obsèdent au mois une heure/jour.
Les comportements dans le BDD
Ces préoccupations induisent des recherches de solutions traduites par des comportements tels que décrits ci-dessous :
Se comparer à autrui, se scruter dans un miroir, se camoufler (vêtements, posture, maquillage etc.), rechercher un traitement chirurgical, dermatologique ou autre, éviter les miroirs, se curer la peau etc. Comme les préoccupations, ils occupent au moins une heure/jour.
Le BDD n’est pas un TOC
Le BDD fait partie des troubles apparentés au TOC, regroupés dans "le Spectre du TOC". Il partage avec ce dernier, le caractère obsédant des préoccupations ainsi que les comportements compulsifs qui lui sont liés.
Cependant, ce qui les distingue est la préoccupation monothématique, (qui ne porte dans la cas du BDD que sur les parties corporelles) alors que dans le TOC, elle est plurithématique (symétrie, contamination, accumulation, religion et sexualité etc.). Ces obsessions sont considérées dans le TOC comme irrationnelles, alors que dans le BDD, la conscience de la maladie (insight) est beaucoup moins présente.
De plus, le BDD est une affection plus dépressogène et suicidaire que le TOC (K. Philipps, 1996).
En outre, le BDD serait un trouble plus proche de la cyclothymie, notamment d’un état mixte chronique (Hantouche, 2006).
Trouble méconnu et sous-diagnostiqué
Il commence tôt vers l’adolescence, parfois dès l’enfance et touche autant les hommes que les femmes. Le début est généralement progressif mais il peut parfois être brutal. Cependant, le BDD est sous-diagnostiqué parce que d’une part, il est peu connu du monde médical et d’autre part, un patient, si sincère soit-il, manifeste peu de recul critique face à ce qu’il perçoit tout simplement comme une réalité. Ainsi, il n’est pas porté à consulter de psychiatre ou de psychologue, mais plutôt des dermatologues, des chirurgiens plasticiens etc.
Comment le BDD se développe ?
Les facteurs génétiques/biologiques
- Prédisposition génétique au BDD
- Neurotransmetteurs (ex : Sérotonine)
- Certaines régions cérébrales impliquées
- Facteurs d’évolution
- Tempérament anxieux, sensible, cyclothymique
Interactions avec des facteurs environnementaux (psychologiques et culturels)
- Evénement de vie (ex : taquineries, rejet)
- Traits de personnalité
- Importance de l’apparence physique
- Altérations de l’estime de soi
- Accent de la société sur l’apparence
- Disponibilité des stéroïdes (dysmorphie des muscles)
Rôle des évènements déclencheurs
- Commentaires sur l’apparence
- Evénements de vie stressants
- Se sentir rejeté
Tous ces facteurs sont responsables des symptômes du BDD
Modèles explicatifs
Ce que lʼon en sait et les questions que lʼon se pose
La question de l’étiologie demeure une des questions à laquelle il est le plus difficile de répondre. "C’est un puzzle qui reste à résoudre", affirme K. Phillips. Cependant, nous avons certains indices qui peuvent nous guider.
Dans les dernières décennies, la plupart des théories sur l’origine du BDD avait une étiologie psychologique. On attribuait un sens "refoulé" aux symptômes du BDD (le nez symboliserait le pénis etc.). Les théories psychologiques plus récentes mettent davantage l’accent sur le rôle de la personnalité (certaines caractéristiques spécifiques comme le perfectionnisme) ou les expériences de vie (comme être taquiné ou rejeté, ou apprendre à baser une grande partie de son estime de soi sur l’apparence physique etc.).
Plus récemment, des théories biologiques ont été proposées. Les résultats préliminaires de ces études seraient en faveur de l’implication de certains gènes et d’un dysfonctionnement neurochimique où la sérotonine serait impliquée. Serait-ce donc certains neurotransmetteurs qui causerait un BDD ? Est-ce que le résultat des études sur le TOC et la phobie sociale peuvent s’appliquer au BDD ?
Des explications socio-culturelles ont un intérêt certain. Nous sommes bombardés par des images de beauté et de perfection, que ce soit à la télévision, au cinéma, sur le net, ou dans les magazines. Les messages qui transparaissent généralement sont porteurs d’impératifs comme avoir la meilleure apparence possible à tout moment ; pour cela, il est nécessaire de réparer les imperfections, quelles qu’elles soient. Est-ce donc ces messages puissants qui nous conditionnent et qui contribuent au développement du BDD ? Ou est-ce des impacts culturels ou des phénomènes qui encouragent la chirurgie esthétique et qui influencent l’apparition du BDD ?
D’autres voiles subsistent également. Pourquoi certaines personnes le développent et pas d’autres ?
Pourquoi certaines personnes se fixent sur le nez et d’autres sur le sexe ?
Pourquoi certains le développent à l’adolescence et d’autres vers l’âge de 30-40 ans ?
Probablement parce ce que, comme d’autres troubles psychiatriques, ce qui contribuerait au BDD, serait l’interaction et la superposition de plusieurs facteurs : neurobiologiques, psychologiques et socio-culturels (comme illustrée ci-dessous).
Le modèle génétique
Il est vraiment très improbable qu’un seul gène soit impliqué dans le BDD (comme le gène transporteur de la sérotonine ou un gène spécifique du GABA). C’est un trouble génétique "complexe", incluant différents gènes qui interagissent aussi bien les uns avec les autres, qu’avec les facteurs environnementaux. Comme dans tous les troubles psychiatriques, les facteurs environnementaux augmentent le risque de développer un trouble. En revanche, la base est neurobiologique et génétique.
Le modèle neurobiologique
L’hypothèse sérotoninergique est intéressante. La sérotonine est un neurotransmetteur qui est impliqué généralement dans l’humeur, la mémoire, l’appétit, le sommeil, le comportement alimentaire, le comportement sexuel et la douleur. Elle inhibe les comportements agressifs et destructifs. Elle joue par ailleurs, un rôle important dans plusieurs troubles psychiatriques comme le TOC, la dépression et la phobie sociale. Le BDD implique également un dérèglement de la sérotonine. Or, comme l’activité cérébrale est complexe, d’autres neurotransmetteurs sont impliqués comme la dopamine (qui joue un rôle important dans la pensée délirante et dans les comportements stéréotypés, surtout dans la forme délirante du BDD) ou le GABA (impliqué dans le développement de troubles anxieux). Cependant, malgré les similitudes que l’on retrouve avec le TOC (où les résultats des études cliniques seraient en faveur de l’hypothèse sérotoninergique), le rôle exact de la sérotonine et son degré implication dans le BDD restent flous.
Le modèle psychologique
Le rôle des facteurs psychologiques nécessite davantage d’études pour être mieux compris. Dans certains cas, des facteurs comme l’identification semble influencer le contenu des préoccupations corporelles. Il est aussi probable que les facteurs tels que certains événements de vie ou des traits de personnalité, influencent le déclenchement du trouble. Ils agissent comme des facteurs de risque, en interaction avec les facteurs biologiques et génétiques.
Les théories psychanalytiques du siècle dernier (conflit intrapsychique, déplacement, sentiment de culpabilité etc.), demeurent difficiles à prouver. En toute évidence, elles n’apportent pas d’explication satisfaisante, quant aux symptômes de ce trouble. De plus, certains patients répondent très bien à un traitement pharmacologique, ou à une TCC, nonobstant le fait que ces deux moyens thérapeutiques ne tiennent pas compte du "conflit sous-jacent". En outre, des psychanalyses de diverses années n’ont pas diminué les symptômes BDD.
Les expériences de vie
Etre fréquemment taquiné sur l’apparence a été lié à une plus grande insatisfaction du corps. Le Dr Thompson a montré que les femmes universitaires qui relatent plus de taquineries durant l’adolescence évaluent leurs corps d’adulte plus négativement. De même, les individus présentant des TCA (trouble du comportement alimentaire) reportent plus de taquineries que ceux qui n’en présentent pas. Richards a trouvé à travers une analyse statistique sophistiquée, que les critiques provoquaient non seulement une dépression et une faible estime de soi , mais aussi une insatisfaction corporelle.
Par ailleurs, cela peut aussi être expliqué, non pas par plus de critiques, mais par une sensibilité exacerbée à la critique et au rejet qui affecteraient davantage les individus. De plus, certaines personnes présentant un BDD, affirment n’avoir jamais été critiquées.
En revanche, être critiqué d’une manière cruelle sur son apparence peut servir de déclencheur. Mais, il est possible que d’autres évènements de vie (expérience de rejet ou de stress très importants) contribuent également à augmenter le risque de développement du BDD.
Même si cela n’a pas été étudié, il est très improbable que les évènements de vie seuls (sans une prédisposition biologique ou génétique) causent le BDD, même s’ils y jouent un rôle très important.
Les traits de personnalité
Des traits comme la timidité, une faible estime de soi, un perfectionnisme, une sensibilité à la critique et au rejet ainsi qu’une tendance à se sentir menacé dans certaines situations, peuvent prédisposer une personne à développer un BDD. Cependant, il semblerait que les symptômes BDD renforcent certains de ces traits (notamment dans le cas d’évitement de situations sociales qui exacerbent autant l’anxiété sociale que la timidité) qui sont plus considérées comme la conséquence du BDD que son origine.
Le modèle socio-culturel
Les influences socio-culturelles alimentent des préoccupations concernant l’apparence. Nous sommes certes assaillis par des modèles de perfection de beauté, dans le métro, dans les supermarchés, à la télévision, dans les magazines et sur le net.
Selon Katharine Phillips, la vue de belles personnes chez certains individus présentant un BDD, déclenchent des obsessions corporelles importantes, surtout si un processus de comparaison est effectué. Mais il ne faut pas oublier que le BDD est d’origine biologique. Les idéaux de beauté et de minceur (comme dans les troubles alimentaires) d’une société ne font qu’en augmenter les risques.
Les modèles thèrapeuthiques efficaces
Le traitement pharmacologique
Il est parfois nécessaire de combiner au traitement psychologique un traitement pharmacologique pour optimiser les effets thérapeutiques. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont le traitement pharmacologique de prédilection, en raison de leurs propriétés anti-obsessionnelles. En présence de comorbidités telles que la bipolarité, les thymorégulateurs s’avèrent indispensables.
Le traitement psycho-éducatif
L’éducation par rapport au trouble est une intervention extrêmement importante dans le traitement des troubles psychologiques ou psychiatriques.
Le patient doit devenir un partenaire actif de son traitement pour apprendre à gérer ses préoccupations corporelles autrement que par les compulsions, le camouflage, la recherche de réassurance et les évitements, qui ne font que renforcer son trouble voire l’aggraver. Ainsi, le traitement doit intégrer la psychoéducation comme étape primordiale pour favoriser l’identification des mécanismes BDD en vue de préparer les modifications comportementale et cognitive.
Le traitement psychologique
La psychothérapie comportementale et cognitive a fait ses preuves dans ce domaine. Deux études, l’une élaborée par Rosen aux Etats-Unis et l’autre, par Veale au Royaume-Uni, en montrent une très bonne efficacité.
Elle peut être très utile pour apprendre à mieux comprendre son trouble, à évaluer autrement ses cognitions sur l’apparence, à contrôler les comportements qui en découlent et ainsi à les modifier.Il est principalement basé sur le modèle proposé par Katharine Phillips. Il comprend une composante cognitive qui porte sur les cognitions BDD qui semblent déclenchées par l’évaluation erronée d’un détail de l’apparence externe dans le miroir et la fixation sélective de l’attention sur ce détail. Mais aussi une composante comportementale qui consiste à traiter les évitements et autres comportements BDD par exposition.
Il apprend donc aux patients des habilités qui leur permettent d’améliorer les symptômes de leurs troubles. L’approche inclut donc la restructuration cognitive, des épreuves de réalité, l’exposition et la prévention de réponse, mais aussi le "miroir retraining" et le "refocusing".
Synthèse des soins du BDD
En conclusion, toutes les étapes décrites ci-dessus (qui tiennent compte de l’ensemble des facteurs qui ont contribué à la genèse et au renforcement du BDD), sont indispensables pour anticiper son évolution et améliorer la vie de la patiente.
Les troubles apparentés aux TOC : lien avec la bipolarité ?