Suicide et bipolarité
14/09/2011
Témoignages > Réaction dʼactu
Et puis jʼentends "suicide". Je fais un peu plus attention cette fois, cela pourrait devenir intéressant car cet acte, même si lʼon en parle, semble tabou tout de même.
Et là lʼhorreur. Une phrase du style "Elle a fait un cadeau en se suicidant" "ne pas "montrer la vieillesse dʼune bipolaire", les phrases émanant aussi bien de lʼauteur que de la journaliste.
Je mʼinsurge ! Oui, je le reconnais, ce nʼest pas tous les jours faciles de vivre auprès dʼune bipolaire. Oui, parfois, cʼest même très très difficile et usant, plus quʼusant.
Mais dire que le bipolaire fait un cadeau à travers son acte, je nʼadmets pas.
Déjà parce quʼil me semble que cela exprime plus le soulagement des accompagnants que le désir réel du bipolaire.
Oui, avant que je sois bien soignée, dans mes dépressions, jʼenvisageais de passer à lʼacte pour que tout le monde soit libéré. Mais qui était ce tout le monde ? Etait-ce vraiment les autres ou nʼétait-ce que moi ? Je crois malheureusement quʼil ne sʼagissait que de moi avant tout et de lʼexpression de la piètre estime de moi que jʼavais à ces moments-là.
Comment croire quʼune personne capable dʼexprimer cette pensée humaniste et de passer réellement à lʼacte le fasse uniquement pour les autres ? Non, on quitte les autres mais on ne passe pas à lʼacte juste pour les autres.
Jʼai été profondément dépressive, au point de penser au suicide tous les jours, plusieurs fois par jour, au point de chercher de réelles solutions et lorsque lʼon est une scientifique, on sait très bien que des solutions sûres assorties de conditions effectives de mise en pratique, sont très rares, que lʼon a plus de chance de se louper quʼautre chose.
Même si je savais que jʼétais un fardeau pour mon foyer, même si je me trouvais tellement trop de tout ce quʼil ne fallait pas, même si je nʼacceptais plus ma souffrance, même si je nʼacceptais plus ce que je leur faisais endurer, non, il faut bien du courage pour faire de son suicide un cadeau. Non, la bonté des bipolaires, leur dévouement aux autres ne peut pas suffire à générer la puissance nécessaire pour lʼacte de suicide. Parce que la mésestime de soi est LA PLUS FORTE.
A tous les bipolaires, je voudrais dire quʼau up qui suit, le premier pas est de se dire que "ok, je suis bipo, ok, je ne guérirai pas, ok jʼavalerai des cachetons toute ma vie mais MAINTENANT JE CHERCHE POURQUOI CES CACHETONS QUE JʼAVALE NE ME FONT PAS ALLER MIEUX".
Jʼai trouvé ma solution, je revis aujourdʼhui. Jʼai encore des petites déprimes mais ce ne sont que des coups de blues, je ne pense plus au suicide, enfin, si, comme à un vieux copain qui me sera toujours fidèle et me fera bien rire. (Et je ris de tous ces efforts que jʼai pu faire pour trouver des solutions viables pour me suicider, si vous saviez ce que jʼai pu imaginer !)
Jʼespère vivre encore quelques dizaines dʼannées et comme nous ne vivons pas dans un monde dʼeugénisme, nous sommes condamnés à affronter nos maux jeunes et vieux. Je sais que mon trouble sera probablement plus fort mais serais-je pire que quelquʼun frappé d’Alzheimer ?
Je ne mettrai pas ma main à couper que je serai plus pénible quʼun non bipolaire à 70 ans. Et je ne chercherai pas les chiffres pour vous démontrer quʼil y a moins de bipolaires vieux et trop usants qui devraient vous faire ce cadeau de se suicider que de personnes non bipolaires parce que cʼest inutile : il y a moins de bipolaires que la somme réunies de tous les autres troubles difficiles à vivre.
On tue tout le monde ou on vit ensemble ?
ah, autre thème abordé, fugace, la culpabilité dʼavoir pu transmettre ce trouble.
Jʼai transmis ce trouble, heureusement, je nʼai eu quʼun seul enfant, la nature mʼayant refusé les suivants, je nʼai pas pu prendre le risque de les contaminer. A ceux qui aiment les gens propres sur eux, sachez que je ne savais pas que jʼétais bipo lors de mes grossesses.
Oui, mon enfant est bipo. Et oui, je me sens coupable. Et justement parce que je me sens coupable, je nʼai plus le droit de me suicider.
Je dois être là pour cet enfant, pour mʼassurer quʼil est bien suivi, pour mʼassurer que tout est fait pour que son trouble soit le plus faible possible, pour mʼassurer quʼon ne le protège pas trop parce que sa vie ne sera pas facile et quʼil doit apprendre maintenant déjà à gérer ce quʼil est déjà capable de gérer.
Oserais-je ajouter que je dois vivre pour mʼassurer que même si je lui ai transmis ce trouble, cet enfant sera quelquʼun dʼépanoui ?
Oui, je vais oser.
Parce que cʼest du même ordre que ce qui faisait que je voulais me suicider pour moi dʼabord.