03 : Jai fait mon choix, jai choisi lalcool
1/01/2008
Témoignages > Cyclothymie > Dear Siobhan
Oui, je me souviens de la loque que jétais.
Jimaginais sans trop de peine le dégoût que tu devais ressentir â te remémorer le spectacle répugnant de ma déchéance. Je savais que je tavais lésé dans ton droit â aspirer au bonheur, javais spolié tes attentes dun amour réciproquement dévoué en me dévouant corps et âme â mon addiction. Cest une bien triste constatation, mais Il y a définitivement de lingratitude dans lalcoolisme, de laveuglement lorsquon ne voit plus la main qui se tend, de lindifférence â laffection quon afflige, mais aussi de lobstination â renier contre tout bon sens sa propre condition. Je ne saurais concrètement te dire Siobhan ce que je cherchais dans la boisson. Jai pourtant voulu démystifier ce rapport que jentretenais avec elle pour pouvoir soustraire â ma dépendance le caractère fataliste qui aurait voulu quun ivrogne restera toujours un ivrogne, pour pouvoir peut-être tout simplement enfin répondre ? Non ! ? â lamère conclusion que tu tirais de ma rechute le mois de Mai dernier ? tu las choisi, Tu as fais ton choix, tu as préféré lalcool ! ?.
Au-delâ du glas des mots qui résonnent encore comme autant de tocsins marquant la fin de notre histoire, la résurgence de ton image ce soir-lâ dans la cuisine mest tout aussi difficile â supporter. Tes traits étaient tirés, anéantie ton visage portait les stigmates de la souffrance et de tes yeux coulait toute la désillusion de la trahison. Quest ce que je cherchais dans lébriété que je ne trouvais une fois lucide ? Quel était donc cet utopique ailleurs où je me réfugiais lors de ces vaporeuses fuites vers lEther ? Comment suis-je passé de simple consommateur â dépendant ? Comment ce faisait-il que je puisse du tout au tout basculer de périodes sans envies ou de justes modérations â des pics de frénésie ? Javais tant de questions sans réelles réponses et comme cela lavait été pour la boisson mon envie dexpliquer tout ça devenait compulsive.
Persuadé quil y avait quelque chose de plus grand, plus profond et fort, javais réussi un temps â chercher ailleurs que dans mon expérience conflictuelle. Jenchaînais les lectures de brochures, de témoignages, de livres â ce sujet afin de mouvrir un champ de réflexion moins concentrique et ruminatoire. Javais notamment été interpelle dans ma quête dun sens au milieu de tout ce fouillis par la préface du livre ? le devoir divresse ? de Jean-Yves ALBRECHT thérapeute des problèmes des dépendances. Dans les premières pages de son ouvrage, il déracinait la notion que lon se fait tous de livresse pour mettre en lumière au travers des coutumes des anciennes civilisations, une définition conceptuelle différente, beaucoup plus métaphysique, philosophique et religieuse. En substance la recherche de livresse était initialement une sorte de chemin ésotérique qui permettait de pénétrer la dimension du sacré. Selon les civilisations elle avait pour véhicules soit des produits psychotropes (drogues, plantes, alcool) soit la pure exaltation mystique des incantations (mantra, soutra, prière) ou encore lassociation chamanique des deux.
Quelque en fut le médiateur la route qui menait â cette expérience était scrupuleusement balisé du jalon des cérémonies et des rituels. Ce nétait quune fois sécurisés par cette démarche initiatique que les voyageurs pouvaient entamer en toute assurance cette descente ultime vers lintrospection extatique la plus profonde jusquâ la dissolution totale du soi dans le tout universel. Les prétendants â la révélation pouvaient alors se permettre de se risquer â lélévation osmotique de leurs âmes vers la toute puissante et insondable entité divine. Je comprenais cette vision parabolique, limmersion sous influence, la symbiose de lintra et de lextra, lascensionnelle communion avec le divin mais je remarquais aussi quaujourdhui cette expérience était dénuée de toutes ces nobles notions. Les chemins ne ramenaient plus aux mêmes endroits.
Les approches mythiques et traditionnelles qui constituaient lécorce protectrice et en préservaient lessence avaient disparu. Qui â part de quelques rares peuplades se souciait encore de la dimension transcendantale du voyage. LIvresse autrefois sage et formatrice sétait émancipée tournant le dos â la morale, aux rigueurs de ses dogmes, rituels et devoirs pour devenir une fille facile qui cherchait dans sa quête du plaisir primaire, une fin en soit. Dans le meilleur des cas elle restait légère festive, conviviale et nélevait plus rien dautre en nous que notre sociabilité. Nous étions passés dune époque où lenivrement était synonyme dune démarche spirituelle longue et méthodique vers un accomplissement personnel, â une simple distraction sociale et grégaire. Comme tout le monde, je pense que cette transition na rien de choquant en soit, les choses changent voila tout, mais encore faut-il savoir user sans en abuser et le monde étant ce quil est le bon escient nest pas chez lhomme un acquis de conscience. La lucrative banalisation des alcools et la haute technicité narcotique, auront aussi progressivement repoussé la valeur de plaisir vers des frontières dangereuses.
Malheureusement beaucoup les traversent et je faisais partie de ceux-lâ . Le mercantilisme avait induit des comportements destructifs, au pire mortifères. Les drogues, et leurs puissances vous font maintenant planer quasi instantanément â des hauteurs vertigineuses. De semaines en semaines, de fêtes en fêtes selon les fréquences, les amplitudes entre les descentes et les montées vous usent en vous faisant passer dexaltations osmotiques â dinsomniaques mixités dépressives. Machinalement â faire des allées retours entre ces 2 étages de consciences, on y risque sa santé physique et mentale.
Javais par épisodes ces dernières années compulsivement abusé, avais noyé mon corps ma tête jusquau coma, minterdisant de réfléchir, découpant ma mémoire en lambeau comme dans mémento. De tels abus ne pouvaient ne pas laisser de traces. Mais cela navait pas toujours été le cas alors pourquoi ?
Pour quelles raisons cette ligne avait-elle été franchie ?
Quand se rend-on compte â temps quon la franchie ?
Etait-il déjâ trop tard ?
Etait-ce un signe de faiblesse ?
Comment ne pas rechuter ?
Je me posais encore beaucoup de questions.