La dépression bipolaire : souffrir seul
28/11/2012
Témoignages > Bipolarité
La dépression et la vie sociale
Tout dʼabord, les gens voient que vous nʼallez pas bien, comme cʼest régulier chez vous, lorsquʼils voient votre sourire à lʼenvers, ils sont tendance à vous fuir.
Ensuite, parce que lorsque lʼon ne vous fuit pas, on vous demande pourquoi cela ne va pas, ce qui sʼest passé,... Et vous ne pouvez pas répondre que tout va bien, que rien ne sʼest passé. Non, ce ne serait pas acceptable pour celui qui, très gentiment, souhaite vous soutenir : pour lui, un mal-être est nécessairement la réponse à un événement pas sympa. Cʼest un immense moment de solitude que dʼêtre sociable à cet instant-là. Je déteste çà. Jʼai trouvé une réponse : « Des bêtises, rien de rien, je te remercie. Et toi ? Comment va ceci ou cela ? » Je sais, pour la personne qui voulait vraiment me soulager, recevoir cette fin de non-recevoir, cʼest terrible. Mais de toutes façons, celle-là, un jour ou lʼautre, je lui dirai mon secret, ma bipolarité, mes dépressions bipolaires, lorsquʼelle sera prête ou que jʼy serai obligée. Je souhaite quʼelle soit prête.
La dépression et les événements du passé
Mais pourquoi ne pas mʼépancher puisque lʼon me propose une épaule pour le faire ? Cela fait du bien de parler, non ?
Mʼépancher sur quoi ? Il ne sʼest strictement rien passé dʼautre depuis hier que le fait que le soleil nʼétait pas là ce matin pour me dire bonjour et que moi je nʼen prends pas pour cinq secondes comme vous mais pour trois mois au moins si je nʼagis pas pour mettre cette dépression à la porte. Alors quʼai-je à vous raconter ? Que puis-je donc avoir dans mon sac à vider ? Mais il est vide mon sac !
Oui, comme tout le monde, jʼai des cailloux dans mon passé et là, jʼavoue, jʼy pense, comme vous. Mais en parler ne fera pas disparaître ma dépression puisque ma dépression nʼa rien à voir tout cela. Je dirais même plus : en parler alimente les phénomènes de culpabilité, de ressassements naturels de mon tempéraments de bipolaire. Alors toutes ces idées désagréables ne mʼaideront pas à dire M..... à mon cerveau et sortir de la dépression, justement.
La dépression et le sommeil
Solitude parce que le bruit, la lumière, lʼagitation, lʼattention, tout est effort et agression démesurés, tout me tue car ma dépression me dit que pour quʼelle puisse rester là, il faut que je mʼenfonce, que je trouve tout de plus en plus difficile. Elle me veut, elle me prend, elle me dicte sa loi et même aller aux toilettes devient insurmontable. Cʼest pourtant bien la seule chose que mon instinct de survie parvient encore à mʼimposer. Mais cela mʼépuise tellement que je m endors de fatigue dès que je peux mʼasseoir à nouveau.
En dépression, je dors dans toutes les positions. Jʼaime quand je mʼendors de fatigue car cela veut dire que je vais vraiment dormir. Les dépressifs dorment tout le temps ? Cʼest vrai mais la plupart du temps, ce nʼest pas un vrai sommeil. Cʼest un sommeil où nos idées noires restent conscientes, où lʼon a un corps de plomb et dont on émerge fatigué au possible, lʼesprit encore plus renversé quʼavant.
Pourtant ce sommeil est un échappatoire : la douleur de mes idées noires lorsque je dors est moindre à côté de celle que je ressens éveillée, ce nʼest pas rien à gagner lorsque lʼon ne sait pas lutter contre la dépression, cela semble la meilleure des solutions. Lorsque je dors de fatigue pourtant, mon sommeil continue de soigner mes émotions trop fortes, de les apaiser, de faire le tri entre toutes mes pensées et de les ranger. Je suis comme les animaux, je me soigne par le sommeil.
Mais les faux sommeils de la dépression me sont aussi imposés par elle pour quʼils me détruisent.
Bouge-toi, fatigue-toi et tu dormiras de ce sommeil salvateur !
La dépression est tentaculaire
Oui, bien sûr ! Mais pour franchir ce pas, il faut une volonté du diable. La dépression bipolaire ne se laisse pas abattre comme cela, ce serait trop simple !
Accéder à lʼeffort physique, cʼest vaincre tous les obstacles quʼelle met sur votre route : une pseudo-fatigue déjà, ensuite vos chaussures sont introuvables (enfin, la dépression vous oblige à les chercher ailleurs quʼà leur place habituelle, cʼest plus juste), il ne fait pas assez beau, votre fille va rentrer dans 6h déjà, il faut que vous soyez là et prête. Ridicule ? Parfaitement ! Mais surtout réel et efficace.
Il faut de la volonté pour ne pas se laisser prendre au piège, parce que cʼest facile dʼaccepter de se laisser prendre, parce que la dépression bipolaire est tentaculaire au point de vous dicter votre recherche de solution.
Elle semble inattaquable, elle est un trou noir.
Pourtant, lorsque la dépression sent quʼelle perd du terrain, elle sort encore le grand jeu. Cʼest le jeu de la douleur physique, comme si la maltraitance psychologique nʼétait pas assez dure !
Soudain, vous avez mal à la tête, mal aux pieds, au biceps. Vous trouverez toujours une explication logique à quantité de douleurs mais avoir mal à en pleurer à une phalange du majeur pour raison physique, cʼest assez rare, surtout lorsque lʼon reste immobile toute la journée.
Oui, pour ne pas vous perdre, la dépression sʼattaque même à votre corps, un esprit sain dans un corps sain, un esprit souffrant dans un corps souffrant. Car le jeu de la dépression est bien de faire souffrir votre esprit.
Les bipolaires sont par nature remplis de doutes, de remords, de peurs. En dépression, vous pouvez passer une semaine à ressasser le fait quʼuntel, une seule fois, vous ait salué moins cordialement que dʼhabitude il y a quatre ou cinq ans de cela. Et cela vous prend le ventre, cela provoque des remontées gastriques si horribles que vous trouvez la force dʼavaler un cachet anti-reflux. Voilà la puissance de la dépression, voilà ses joies, voilà mon désespoir.
Lutter contre la dépression
Heureusement, lorsque lʼon apprend à connaître son trouble, on apprend à identifier les gestes de la dépression et on peut jouer aux échecs avec elle.
Heureusement nous progressons à ce jeu.
Heureusement la dépression atteint rapidement son seuil de compétences.
A force dʼutiliser des techniques de lutte contre la dépression bipolaire, nous luttons de manière automatique, presque inconsciemment.
A force de connaître notre dépression, nous savons la voir venir.
A force de la voir venir plus tôt, nous luttons plus tôt.
A force dʼêtre prise de front tôt, la dépression est moins forte.
Certains estiment que cette lutte pourrait être la lutte finale. Sans doute ont-ils raisons pour certaines personnes qui vivent dans des environnements adéquats. Mais pour la majorité des autres, nous pouvons lutter mais nous savons que ce ne sera quʼune bataille moins dure que la suivante.
Fatalisme ?
Après plusieurs années de lutte, je ne me rends même plus vraiment compte que je lutte. Aux premiers signes de la dépression, je lance mes attaques. Je ne consacre plus aucune attention à mes idées noires. Mes dépressions sont maintenant des moments où travailler peut être (très) difficile, où je nʼai envie de rien, où jʼai besoin de calme. Jʼai envie de dire :
« Cʼest tout. » car cette absence de douleurs est un grand vide.
« Cʼest cool » parce quʼen dépression, jʼai enfin le temps de regarder des émissions de TV que je nʼai jamais lʼoccasion de voir autrement car jʼai toujours bien dʼautres choses à faire. Je fais des découvertes, jʼapprends, je construis ma créativité.
« Génial » car lorsque la dépression sʼen va, si elle le fait assez lentement, je vais créer quelque chose de fort.
« Cà marche », si elle remonte trop vite pour cela car je créerai quelque chose de plus distrayant au début de lʼhypomanie qui suivra.
« A demain » car il nʼy a pas dʼhypomanie sans dépression.
Et ce nʼest que çà une dépression bipolaire ? Non, cʼest bien plus encore mais il faudrait un roman pour tenter dʼen aborder la moitié des points.
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