Bipolarité : les raisons de la résistance
25/08/2013
Auteur : Dr Hantouche
editos et tribunes non publiés seuls
Depuis environ 4 milliards dʼannées, le lithium est sur Terre et depuis 60 ans, le lithium est utilisé en psychiatrie. Après une longue période où le lithium a été négligé ou oublié par les psychiatres, de nouveau, il est considéré comme le « gold standard » du traitement de la bipolarité.
Cela dit, le lithium nʼa pas changé, mais les conceptions de la maladie bipolaires ont évolué au-delà de la conception typiquement kraepelinienne (forme maniaco-dépressive épisodique : épisodes typiques de Manie alternés avec épisodes de mélancolie et des intervalles libres ou lucides). On sait avec le recul que cette forme de BP répond le mieux au lithium.
Alors que dire des autres formes qui sont incluses dans le spectre élargi de bipolarité :
Cela dit, on dispose actuellement dʼun arsenal de psychotropes qui sʼenrichit progressivement pour mieux soigner lʼensemble de ces formes atypiques ou complexes de bipolarité.
Anticiper la résistance
Au lieu dʼattendre le constat de résistance après des mois ou des années de traitements souvent assez lourds, je pense quʼil est temps de pouvoir anticiper les cas difficiles (ou futurs résistants) en explorant dès le début les indices annonciateurs de réactivité limitée aux schémas thérapeutiques standards.
Analyse de la configuration des épisodes
Dans une approche focalisée sur les « épisodes », on est confronté à soigner les manies (et les hypomanies), les dépressions et les états mixtes. Cʼest un premier niveau de difficulté car lʼabsence de rémission de lʼépisode actuel signifie un risque de rechute plus grand et un passage à la chronicité. Toute la difficulté réside dans la définition des manies et des dépressions mixtes. Le DSM-V apporte un peu de modifications en allégeant la définition des états mixtes (manie avec 5 symptômes dépressifs sur une période dʼune semaine). Toutefois, le DSM-5 se base sur une définition arbitraire de la dépression mixte en éliminant les symptômes de chevauchement entre manie et dépression. De ce fait, il exclut ce qui est le plus essentiel des états mixtes comme « agitation mentale, irritabilité, tension intérieure, abondance des pensées, absence de ralentissement » ( plus de détails).
Lʼexploration des épisodes M ou D résistants aux traitements de première ligne montre à lʼévidence la prédominance des épisodes mixtes, la comorbidité avec lʼabus de substances, la présence des éléments psychotiques non congruents à lʼhumeur (c-à-d les épisodes délirants ou schizo-affectifs). Ces cas doivent être traités dès le début de manière adaptée afin dʼanticiper la résistance aux traitements conventionnels (ou aux schémas standards de traitement).
Analyse de la configuration des paramètres évolutifs
Dans une approche clinique plus globale qui inclut le cours évolutif des épisodes (récurrence, cyclicité, séquences des cycles, âge de début, tempérament de base…), la complexité monte à un niveau supérieur, car lʼenjeu nʼest plus de soigner lʼépisode actuel (3 à 6 mois) mais de trouver le remède capable dʼassurer une efficacité au long cours (au-delà de 1 à 2 ans). Ainsi lʼexploration des cas difficiles à stabiliser montre les caractéristiques suivantes :
Bilans pour compléter lʼévaluation clinique initiale
Le but est de rechercher les conditions associées à la bipolarité qui sont susceptibles dʼaggraver les épisodes ou être responsables dʼune résistance au traitement ; les deux conditions à rechercher systématiquement (en raison de leur fréquence assez élevée) sont lʼabus dʼalcool et les dérèglements de la thyroïde.
Une troisième condition à explorer est le SAS ou Syndrome dʼApnées de Sommeil.
Dans tous les cas, il est conseillé de pratiquer un bilan de base qui explore ces facteurs ainsi quʼune évaluation des paramètres cliniques et biologiques avant le début des traitements avec lithium, anticonvulsivants ou antipsychotiques.
Toujours garder à lʼesprit en cas de résistance :
Tests dʼaide au diagnostic | - General : Histoire personnelle et familiale de troubles métaboliques et cardiovasculaires - Tests de la thyroïde (TSH) - Sérologie pour le VIH et la Syphilis, - Dépistage urinaire des drogues, - Taux B12 plasmatique | - Avis dʼun neurologue, EEG et neuroimagerie (CT scan ou IRM) si signes neurologiques évocateurs, - EEG de sommeil (suspicion de SAS) - Analyse toxicologique plus approfondie (suspicion de manie secondaire à lʼabus, comme cocaïne…) |
Tests pour guider le traitement | - Avant lithium : métaboliques ou cardiaques ; TSH (tjs), NFS, plaquettes, créatinine, ECG (âge plus de 40 ans), ionogramme plasmatique - Avant les anticonvulsivants: NFS, plaquettes, ALAT, ASAT, IMC (poids) - Avant les AntiPsychotiques : recherche des signes moteurs et extrapyramidaux, syndrome métabolique (poids, IMC, périmètre abdominal, TA, glycémie, lipides) | - Créatinine urinaire / 24 heures (pour lithium) - Recherche de cataractes avant quetiapine - Évaluation irrégularité des cycles menstruels avant divalproex, - Signes de rash cutané avant lamotrigine |
Les recommandations clés pour le traitement de la bipolarité
Le tableau qui suit fait la synthèse des recommandations basiques qui représentent quand même un repère pour les cliniciens. Toutefois, dans notre expérience, ces recommandations sont applicables aux cas de BP type I (ou type II épisodique), donc il reste beaucoup de choses à affiner dans la prise en charge des cas instables cyclothymiques (plus de détails : ici et ici)
Recommandations | Niveau des preuves | Références | Notes |
La Manie doit être traitée en premier avec lithium, divalproex, ou un APA (antipsychotique atypique) | FORT | Gijsman et al, Sachs et al, Burgess et al, Cipriani et al (guidelines) | Combinaison du lithium ou divalproex avec un APA semble être plus efficace que la monothérapie |
Les épisodes mixtes doivent être traités en premier avec divalproex or APA | FORT | Gijsman et al, Sachs et al, Burgess et al, Cipriani et al (guidelines) | Quetiapine nʼa pas été suffisamment étudiée dans les épisodes mixtes |
La Dépression BP doit être traitée avec quetiapine, combinaison olanzapine /fluoxetine, ou lamotrigine | FORT (modéré pour lamotrigine) | Gijsman et al, Sachs et al, Burgess et al, Cipriani et al ; Cipriani et al (méta-analyse de 5 ERCs) | La méta-analyse de 4 essais avec lamotrigine ne démontre pas un effet significatif en aigu dans le traitement de la dépression BP – son effet préventif des rechutes est le documenté |
Tous les patients doivent bénéficier dʼune psychoéducation individuelle ou en groupe | FORT | Scott et al, (méta-analyse de 6 ERCs) | … |
Tous les patients doivent avoir une surveillance des paramètres cliniques et biologiques (agendas, taux plasmatiques…) | Modéré | Ng et al, (consensus guideline) | Cette surveillance doit servir comme un standard à minima |
Abréviation : ERC = essai randomisé contrôlé
Perspectives
Comme il nʼy a pas de définition standard de la bipolarité résistante, il nʼy a pas de recettes standards pour cette condition. En revanche, on dispose de plus en plus de choix thérapeutiques médicamenteux quʼon peut assortir avec des psychothérapies plus spécifiques et adaptées aux patients bipolaires (meilleure acceptation du trouble et observance du traitement, gestion des phases bipolaires, respect des rythmes et des routines positifs, gestion des conflits personnels et au travail…).
Pour plus de détails sur ce sujet, nous vous invitons à lire les autres documents de ce dossier.