Comprendre les différentes formes de cyclothymie
31/12/2007
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Cyclothymie
Non seulement, les périodes entre chaque alternance peuvent durer quelques jours ou quelques heures mais, de plus, de très nombreuses personnes n’alternent pas entre joie et dépression mais par exemple entre irritabilité et déprime, état stable et déprime ou petite déprime et grosse déprime. Que cela soit de la joie, de l’euphorie, un état normal, de la tristesse, une brusque perte de confiance en soi ou de l’irritabilité, ce qui révèle la cyclothymie est l’alternance entre deux états distincts et opposés, quels qu’ils soient, de façon brusque et sans motif. Ces états concernent les domaines émotionnels, cognitifs et comportementaux.
Dans la pratique, on constate différentes formes de cyclothymie :
Cyclothymie circulaire
Ce sont des patients chez la plainte majeure est représentée par les oscillations thymiques.
J’ai 32 ans et suis suivie par le même psychiatre depuis 8 ans qui ne m’a jamais reconnue comme bipolaire ou cyclothymique. Pour lui, je suis une sensible qui déprime.
Le début de mes troubles a commencé à l’âge de 24 ans. Cette année, mes parents se sont séparés et en même temps je subissais une rupture amoureuse difficile. J’ai perdu l’appétit (perte importante de poids), avais un sommeil perturbé, étais plutôt agitée avec des auto-dévalorisations. J’ai alors consulté et été traitée par un antidépreseur. C’est cette même année que les problèmes de comportement alimentaires ont débuté (boulimie ; cf. antécédents personnels). Le second épisode a débuté suite à une baisse du traitement antidépresseur. J’ai pleuré pendant plus d’une semaine et présenté d’autres symptômes dépressifs qui ont perduré (principalement de l’auto-dévalorisation). Le travail était difficile. La reprise de la posologie initiale a permis d’atténuer l’épisode dépressif majeur. La dépression n’est pas ce qui me gêne le plus. Plutôt, ce sont mes changements brutaux d’humeur dans la journée. Ces changements sont de deux types :
- Des changements d’humeur très rapides (quelques heures) qui peuvent se succéder dans la journée. Ces changements sont aussi intenses, avec des idées de mort dans les moments de dépression.
- Des changements rapides qui varient d’un jour à l’autre (2-3 jours de dépression puis 2-3 jours d’euphorie). Ces changements d’humeur se font en principe au réveil (elle peut se réveiller très triste après trois jours d’euphorie ou inversement).
Les cycles sont bien nets pour moi et je peux très bien les dessiner.
De plus, je suis le genre de personne qui est très sensible aux émotions et au rejet. J’ai besoin que tout le monde m’aime, même au travail, ce qui m’a posé pas mal de problèmes.
Dans ma famille, il y a pas mal de gens qui souffrent. Je pense que ma soeur est bipolaire. Mon père est un grand anxieux. Beaucoup de cousins du côté paternel souffrent de troubles de l’humeur, plus ou moins marqués. Du côté maternel, je précise que mon oncle s’est suicidé.
Cyclothymie dépressive
Ce sont des formes où dominent les dérèglements de l’humeur avec une combinaison de cyclothymie avec des épisodes dépressifs majeurs récurrents. Les patients viennent consulter pour des dépressions récurrentes qui sont souvent difficiles à traiter par les anti-dépresseurs ou capables de se transformer en des états dépressifs chroniques réfractaires (souvent de type mixte).
Mme B, 56 ans, est adressée à mon centre pour une dépression chronique résistante aux antidépresseurs. Elle a présenté dans sa vie plus d’une trentaine d’épisodes dépressifs. Au début, avec les traitements antidépresseurs, elle arrivait à être mieux pendant des mois. Depuis les dix dernières années, elle ne s’est jamais complètement remise de la dépression. Le bilan montre une forte cyclothymie jamais dépistée jusqu’à présent, mais absence d’épisodes hypomaniaques spontanés ou induits par les antidépresseurs. Dans ce cas, c’est le degré de récurrence élevé et le passage à la chronicité sous antidépresseurs qui doivent faire suspecter la cyclothymie.
Cyclothymie anxieuse
Des formes où dominent les syndromes anxieux et le vécu d’insécurité au sujet de la santé, de l’apparence, du regard des autres et de la confiance en soi. Ainsi, un bon nombre de cyclothymiques se déclarent être phobiques, anxieux, obsessionnels. Mon centre accueille des centaines de TOC cyclothymiques.
Mlle D., 19 ans, consulte pour un TOC difficile à soigner. Mais l’entretien révèle autre chose.
Les premiers symptômes obsessionnels compulsifs ont débuté vers l’âge de 8-10 ans avec des pensées magiques (thème de mort) qui ne revenaient pas tous les jours et n’étaient pas un handicap pour la patiente. Aucun TOC ou symptôme s’apparentant n’est ensuite observé jusqu’à l’âge de 18 ans. Les premiers TOC débute suite à une infidélité de la part de son petit ami. Elle a appris qu’il l’avait trompée en Afrique. Depuis, une peur obsessionnelle d’attraper le sida l’envahi toute la journée, elle a aussi peur d’être contaminée par une maladie invisible. Elle ne supporte pas qu’on touche à ses affaires, de peur qu’elles puissent être "contaminées", serrer la main de quelqu’un est une épreuve difficile, elle évite aussi de toucher tout ce qui aurait pu être touché par quelqu’un d’autre (métro, poignées de portes, stylos, un verre dans un bar, etc.). Elle a aussi peur qu’on la touche et qu’on la pique lorsqu’elle s’approche trop près de quelqu’un.
La peur envahissante de marcher sur une seringue dans la rue conduit la patiente à vérifier, retourner sur ses pas pour voir qu’il n’y a rien. Ce comportement l’a conduite à rester enfermée plusieurs jours chez elle. Elle a d’ailleurs quitté paris pour aller rejoindre ses parents en province. Des comportements de lavage sont aussi observés : le brossage des ongles peut durer un certain temps, les lavages du corps et du visage sont longs. La lunette des toilettes est nettoyée quotidiennement, le linge est lavé au bactéria-stop et mis à sécher à l’intérieur de la maison. Les culottes sont soigneusement vérifiées pour qu’elles n’aient pas "attrapé le sida". L’intérieur des chaussures est observé pour vérifier qu’il n’y a pas quelque chose qui pourrait la piquer. Des angoisses autour de la brosse à dents sont aussi remarquées : la patiente a peur que quelqu’un mette du sang dans sa brosse à dents. Il y a quelque temps, elle changeait de brosse tous les jours.
Des pensées magiques autour du sida sont relevées, notamment à la lecture : "si tu ne lis pas ce paragraphe jusqu’au bout, tu auras le sida". La patiente a fait de nombreux tests, qui la rassurent un temps.
Elle semble aussi être très inquiète des comportements qu’elle pourrait avoir. Par exemple, lorsqu’elle regarde la télévision, elle a peur que les choses qu’elle voit lui arrive à elle : être une tueuse, une pédophile. Ces angoisses durent quelques jours puis disparaissent.
Quelques petits comportements de vérification (2 fois la porte) sont relevés.
Je note que ces idées sont très critiquées par la patiente (y compris pour la brosse à dents), et que la dimension comportementale est particulièrement développée (gène et angoisse associée à 4/4 â la Y-BOCS). La résistance et le contrôle face aux idées et comportements sont moyens.
Cyclothymie complexe, impulsive et addictive
Des formes où dominent les troubles des conduites (fugues, vols, opposition aux règles et à la loi), les troubles addictifs (abus de substance comme l’alcool ou les stimulants) ou les troubles de contrôle des impulsions (boulimie, achats pathologiques, jeu pathologique ; kleptomanie, trichotillomanie )
Mlle L, 20 ans, est adressée par son médecin traitant pour une sémiologie complexe difficile à diagnostiquer.
Au cours de l’entretien, Mlle L. évoque un événement particulièrement traumatique qui s’est déroulé à l’âge de 14 ans. A cette époque, elle sortait beaucoup et était "mature pour son âge" comme elle le décrit. Elle flirtait avec des garçons plus âgés dès l’âge de 13 ans et avait déjà des relations sexuelles. Alors qu’elle avait 14 ans, elle sortait avec un garçon "de la cité" qui l’a emmené chez lui et l’a violé avec son cousin. Elle s’est sentie très coupable, notamment du au fait qu’elle n’a pas hurlé et ne s’est pas débattue de toutes ses forces. Cet événement n’a freiné que temporairement son comportement frivole, puisqu’elle est sortie avec un homme de 37 ans ensuite. Aujourd’hui, le souvenir de l’événement traumatique est vague, elle en rêve souvent et à l’impression qu’il a changé le cours de sa vie. Elle sursaute beaucoup et garde une méfiance et une peur des hommes.
Mais ce qui la dérange, c’est un cumul de conduites excessives qu’elle n’arrive pas à s’en défaire. Elle dit qu’elle est :
- une kleptomane (obligations de voler dans les magasins)
- une mythomane experte (toute ma vie est un tissu de mensonges, de fantasmes, de contes qui n’ont jamais eu lieu)
- une achateuse compulsive
- une boulimique
- une "BDD" : j’ai découvert ce diagnostic dans un livre ; il colle bien à mes soucis de l’apparence ; j’ai envie de changer beaucoup de choses en moi (mon nez, mes seins, mes fesses )
Les fluctuations de l’humeur ne sont pas décrites lors de l’entretien, mais le score au questionnaire de cyclothymie est de 18 ! On note par ailleurs un abus épisodique d’alcool associé à des conduites de prise de risque et notamment des relations sexuelles non protégées.
La soeur de la patiente est décrite comme tantôt euphorique, tantôt agressive. Elle consomme de la drogue. La mère de la patiente est décrite comme anxieuse et consulte un psychologue.
Une tante paternelle est décrite comme dépressive. Le père a des tendances d’abus d’alcool.
Elle a été suivie par deux psychiatres, mais jamais de prise de thymorégulateurs, en revanche trop d’anxiolytiques et d’antidépresseurs.
Cyclothymie spontanée ou induite par des substances
La majorité des sujets cyclothymiques le sont de manière spontanée ; c’est-à-dire sans l’effet de drogues ou de substances illicites. Certains sujets deviennent affectivement instables sous l’effet des antidépresseurs (pris au long cours) ou dans les suites d’une longue période d’abus d’alcool ou de stimulants (amphétamines, cocaïne).
Ainsi on peut distinguer la "cyclothymie spontanée" par rapport aux cas de "cyclothymie induite par les substances". Chez ceux-ci, on observe fréquemment une histoire familiale de bipolarité. Ce qui signifie que des facteurs génétiques communs existent dans les deux formes de cyclothymie, qu’elle soit spontanée ou apparemment induite par l’abus de substances. Pour ces cas d’instabilité affective induite par les substances, Akiskal et Pinto ont proposé en 1999, l’entité "BP-III ?".