Le grand-père, lunatique ou bipolaire ?
31/12/2008
Témoignages > Bipolarité
De mon Paris lointain, Je voudrais que tu saches tu me manques. Tu es toujours présent dans mes pensées, surtout ces derniers temps où mon besoin de me rattacher à mes origines familiales et d’affiner une meilleure connaissance de l’histoire familiale revêt beaucoup d’importance.
Tu sais, j’ai enfin l’occasion de te le dire, je suis très fière de mes origines alsaciennes, de l’histoire du nom de notre famille et de la place que tu tenais dans le village. Je suis émue quand je retrouve des photos de famille jaunies, que papa petit benjamin de la famille était entouré de tout le clan familial. Je vois bien, grand papa, que tu étais déjà usé par les épreuves de la vie, que tu fumais la pipe en permanence, ce qui te donnait une contenance. Comme je tiens aussi à te dire que je comprends que déçu par la vie tu ais choisi la compagnie de la vigne en bouteille. C’est vrai que grand mama t’a invité à trouver de l’apaisement dans la boisson quand tes projets de placements d’argent ont échoué te condamnant à travailler.
Pourtant, tu étais un notable dans le village, ta boucherie, surtout dans les périodes de guerre, te donnait un statut exceptionnel. Mais, tu voulais prendre ta revanche sur la vie, et sortir de ta condition d’homme simple sans culture et analphabète. Tu avais des rêves fous, et tu te voyais les réaliser comme si rien ne pouvait t’empêcher d’atteindre les sommets.
Je me sens si proche de ta peine et de ton désespoir. Un rêve brisé, une immense déception, je crois même que tu as été trahi. La blessure ne s’est jamais refermée. Elle saignera et deviendra douloureuse au point que tu en oublieras même que la vie continuait autour de toi. Que tes enfants grandissent en cherchant une figure paternelle quelquefois présente, quelquefois lointaine, dans ces moments-là tu le sais tu les impressionnais quand tu t’emportais dans tes colères explosives qui, heureusement, retombaient vite et ne se manifestaient que par périodes. Tu battais grand maman, elle ne t’en voulait pas, on parlait des effets malsains de la lune. Surtout la pleine lune. Mais, évidemment je ne t’apprendrai rien en disant que l’alcool a une bien plus mauvaise influence que la lune. Tu as l’air si malheureux sur les photos, tu changes tellement qu’il faut faire un effort magistral pour deviner que tu es le même homme à 20 ans d’écart alors que tes traits trahissent un vieillissement de 50 ans. Pardonne moi, c’est maladroit de ma part, car tu t’es battu toute ta vie, à ta façon.
Homme aux rondeurs d’homme bien portant, au visage dessiné au compas, tu te tenais droit et sûr de toi. Et, les photos n’étaient pas nombreuses à l’époque, c’est justement cela qui rend le contraste surprenant, car quelques photos plus tard, tous tes enfants devenus des hommes et femme, tu nʼétais plus alors que l’ombre de toi-même. Amaigri, voûté, la fatigue t’enveloppant comme une chape de plomb, il est vrai que tu es tombé malade. Le cancer a finalement épuisé tes dernières ressources vitales, alors que papa faisait à peine connaissance avec maman. Et moi, je naissais deux ans plus tard. Tu n’étais déjà plus de ce monde, mort d’un épuisement général dû au cancer des poumons et à une cirrhose.
Je ne sais pourquoi je te dis ça, mais papa dit que lui aussi souffre du changement de lune, et que pour surmonter les effets néfastes, c’est une simple question de volonté. Il n’accepte pas le père que tu as été pour lui, et il déteste même l’idée que l’on puisse construire sa vie sur des rêves. Mais, il a lui aussi sa part de rêve, une autre richesse, pas matérielle mais humaine et spirituelle. Tu vois, à sa façon, il a des grands projets.
Grand papa, tu m’as manquée toute mon enfance, et maintenant encore je souffre de ton absence. Et, je ne laisserai ni la dépression ni la lune l’emporter sur la vie. J’ai moi aussi par moment des rêve de revanche sur la vie, de richesse, de réalisation, et d’autre fois ou j’en veux à la terre entière. Mais Grand papa, tu m’entends je le sais, il faut aussi savoir prendre soin de soi et s’assurer qu’on ne doit pas sombrer avec ses rêves.
Je t’embrasse très fort, et compte sur moi pour prendre soin de moi et trouver cet équilibre qui m’aidera à franchir les épreuves à mon tour.
Je ne t’oublie pas
Ta petite fille
