Frontières obsessionnelles de la bipolarité
31/12/2009
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Frontières / masques trompeurs
Comment comprendre la connexion "anxiété, TOC et bipolarité" ?
Il y a peu de chevauchements entre TOC, Hypomanie et Cyclothymie. Toutefois, TOC et dépression présentent des éléments cliniques en commun, en revanche, l’hypomanie et la cyclothymie sont loin d’être semblables au TOC. Quoique, certains symptômes hypomaniaques, comme le jaillissement des idées, la rapidité de la pensée, et l’hyperactivité motrice puissent avoir quelques ressemblances avec les obsessions et/ou les compulsions. Mais cette ressemblance ne peut pas expliquer l’hypothèse d’une "fausse" comorbidité induite par les chevauchements des symptômes.
Impulsif puis compulsif : une conséquence "logique"
La référence au "modèle du trouble secondaire" ou de "comorbidité pathogène" est nécessaire, car certains troubles peuvent être la conséquence "logique" d’un autre trouble préexistant. Si ce modèle est fiable, la seule possibilité serait en faveur du TOC comme secondaire à la cyclothymie. Il est inconcevable d’imaginer le cas de figure inverse, c’est-à-dire la possibilité que la cyclothymie soit secondaire au TOC.
En fait la cyclothymie est par définition une prédisposition basique de la personnalité à déterminisme génétique. Mais le paradoxe réside dans le fait que les premières manifestations cliniques de la cyclothymie sont représentées par l’anxiété de séparation et d’autres anxiétés (anxiété sociale, attaques de panique, TOC?). Il faut attendre un certain âge, entre 15 et 18 ans, pour voir apparaître les manifestations classiques de la bipolarité, notamment les premiers accès (hypo)maniaques. En revanche, la recherche des indices de la bipolarité juvénile montre systématiquement l’évidence des traits cyclothymiques à un âge très jeune, même avant les signes du TOC.
Ainsi ce qui est le plus visible, comme les rituels, la lenteur, la rumination, le perfectionnisme et les précautions excessives, est en fait une tentative psycho-comportementale pour contrôler les oscillations chaotiques des émotions, des pulsions et des pensées. Tout comme les conduites d’évitement face à la montée de l’angoisse. La compulsivité serait logiquement une formation psychologique de défense faisant face à l’impulsivité cyclothymique.
J’ai testé cette hypothèse dans ma pratique et observé une réduction voir même une disparition complète du TOC, juste en ne soignant que la cyclothymie. Cette observation est notamment vraie chez les très jeunes patients.
Les signes d’impulsivité cyclothymique (peurs de ne pas se contrôler, de devenir une prostituée, de se suicider, de faire du mal aux personnes proches,...) sont souvent présents avant la survenue des manifestations obsessionnelles et compulsives proprement dites (images sexuelles, grand souci de perfection et de bien faire, répétitions des gestes, puis inhibition massive des relations).
Le souci obsédant de perdre le contrôle de soi a été le symptôme le plus envahissant. Dans ce sens, le TOC peut être considéré comme une tentative d’adaptation face à l’impulsivité et l’instabilité cyclothymiques. Je me demande si Freud n’avait pas déjà pensé à cette possibilité en liant la formation du TOC à des états basiques d’agressivité. Mais sa seule "grande" erreur était de négliger la cyclothymie, qui cependant était connue à l’époque et proposée même comme une causalité à de nombreux cas de psychasthénie, ancienne appellation du TOC !
Selon le "modèle hiérarchique", la cyclothymie domine
Selon ce modèle, on considère les troubles de l’humeur comme plus importants par rapport aux troubles anxieux. En continuité avec le modèle précédent, il est complètement légitime de penser que la cyclothymie domine sur le TOC, qui serait alors une adaptation ou une conséquence. Ce qui revient à dire que le TOC serait un phénomène secondaire, éventuellement une des facettes de la cyclothymie, car d’autres syndromes sont également observés comme les attaques de panique, les addictions, les troubles alimentaires.
Comme le précédent, ce modèle est utile quand il s’agit d’organiser les stratégies thérapeutiques du TOC bipolaire. Si la cyclothymie est hiérarchiquement plus importante que le TOC, cela signifie que le traitement de la bipolarité doit primer sur le traitement du TOC. Cela signifie l’importance de commencer en premier temps par les stabilisateurs de l’humeur et ajouter en 2ème temps les ISRSs.
Malheureusement, la pratique nous montre que les choses se font complètement à l’envers. Le TOC est soigné en premier avec des doses phénoménales de ISRSs (car souvent le TOC bipolaire est par nature résistant). Et ce n’est que lors de survenue des complications, le diagnostic de bipolarité serait parfois envisagé.
Une maladie unique ?
Lorsque le TOC est la cyclothymie sont disctincts
Pourquoi pas ! En 1909, Deny et Charpentier pensaient que les obsessions, la psychasthénie et la PMD relèvent d’un processus univoque. Depuis, chaque trouble a suivi son propre destin : la psychose ou PMD pour la bipolarité et la névrose pour le TOC. Donc deux destins parallèles sans aucune possibilité de croisement ! Jusqu’à présent, les d’experts du TOC nient les liens privilégiés entre TOC et bipolarité, il faut cependant admettre que pour certains cas de TOC bipolaire, le modèle de la maladie unique est applicable et pour le reste il pourrait s’agir d’une vraie comorbidité, c’est-à-dire de la présence de deux troubles distincts. Le fait que la majorité des cas de TOC Bipolaires aient besoin d’un double traitement, stabilisateur de l’humeur et ISRS est en faveur de cette conception.
Des "dimensions communes" ?
Comme les choses en psychiatrie ne sont jamais simples, certains auteurs évoquent le "modèle de discontinuité avec un facteur causal commun", en d’autres termes on accepte la distinction entre TOC et cyclothymie tout en gardant la possibilité de dimensions biologiques et psychologiques communes, responsables des liens entre les deux troubles, donc expliquer la comorbidité.
Des anomalies des systèmes de la sérotonine, la dopamine, du GABA ou du glutamate, sont des candidats potentiels. Pour l’instant, on ne connaît pas de manière certaine quels sont les substratums biologiques ou génétiques sous-jacents au TOC ou à la bipolarité, pour établir des facteurs de causalité commune.
Au niveau psychologique, on peut imaginer l’existence dans le TOC et la bipolarité, des dimensions communes comme l’impatience, la précipitation d’agir ou l’impulsivité, l’hyperréactivité émotionnelle (crises de colère, hostilité et sensibilité pathologique au rejet) et la fragilité thymique avec une forte propension à la dépression.
Intérêts de ces modèles
Ces modèles dimensionnels paraissent plus séduisants et probablement plus logiques à appliquer dans la recherche, voir même dans le traitement. Par exemple, on peut fixer une dimension cible pour les psychotropes, comme l’impulsivité et l’impatience et en second, mettre en place une psychothérapie spécifique pour aider le sujet à réduire et différer les compulsions. Cela explique l’échec systématique de la psychothérapie quand elle est administrée en premier lieu dans le TOC bipolaire.
La place de l’impulsivité est primordiale tant dans le TOC que dans la cyclothymie. Le TOC apparaît alors comme un mélange paradoxal de lenteur compulsive qui se greffe sur un fond d’impulsivité. Une telle configuration du TOC serait suffisante pour orienter vers la piste de la bipolarité. Actuellement, on parle de "l’impulsivité perçue" au coeur du TOC.
Modèle de "comorbidité pronostique"
En se limitant au domaine de la clinique et de l’observation, la co-occurrence du TOC et du trouble bipolaire obéit au modèle de la comorbidité pronostique, c’est-à-dire un modèle qui explique les conséquences de la comorbidité et non sa causalité. La co-existence des deux troubles signifie plus de complexité, probablement induite par une aggravation réciproque. En fait, l’expérience clinique et les enquêtes épidémiologiques récentes ont révélé que dans les cas associant des syndromes obsessionnels, anxieux et bipolaires mineurs, la fréquence des niveaux de détresse et d’interférence avec le fonctionnement est presque de 100%. De plus le taux de tentatives de suicide est de 39% !
Il est évident qu’un mécanisme d’entraînement complexe s’opère entre le TOC et la cyclothymie : d’une part, les obsessions et les compulsions s’entraînent les unes les autres dans une valse tourbillonnante et douloureuse et, d’autre part, une accélération de cette valse est induite par les oscillations cycliques chaotiques de l’humeur, l’énergie, la pensée et la psychomotricité. Par exemple, en phase dépressive, le sujet est plus vulnérable aux pensées intrusives et dans les phases hypomaniaques la vitesse des pensées est telle que tout contrôle devient impossible.
Ce qui signifie que la comorbidité ne pourra pas être réduite à une simple addition de troubles, mais plutôt à une potentialisation dans le sens d’une aggravation réciproque des deux troubles. C’est comme si la formule " 1 + 1 pourrait donner 3, 4 ou même plus ". Ce modèle est compatible avec les études montrant que le TOC cyclothymique comporte un tableau clinique plus riche et complexe, des risques augmentés (suicide, hospitalisations) et nécessite souvent des traitements agressifs.
La co-occurrence vient-elle des gènes de nos parents ?
Ce modèle m’a été inspiré par ma propre pratique avec des centaines de cas atteints de TOC bipolaire. J’ai constamment remarqué qu’il existe un double héritage familial dans ces cas, c’est-â-dire un parent avec un trouble de l’humeur et un autre avec un trouble anxieux. Parfois les troubles sont présents chez les grands-parents ou d’autres membres de la famille avec des degrés de sévérité assez variés. Par exemple, un bon nombre de parents avouent avoir présenté des phénomènes similaires (soit des traits cyclothymiques ou de TOC mineur) dans leur jeunesse mais sans avoir le besoin de consulter.
Cette hypothèse est séduisante, car elle permet d’une part de soutenir la distinction entre les deux troubles TOC et Bipolarité (modèle de discontinuité) et d’autre part la fréquente co-occurrence chez le même sujet en raison en cas d’un double héritage familial. Pour la dynamique d’un couple, il est parfois utile qu’un sujet cyclothymique soit marié avec un autre perfectionniste ou anxieux. D’un tel assortiment va résulter un équilibre nécessaire au niveau social : un couple avec deux cyclothymiques est souvent un désastre et un couple avec deux anxieux perfectionnistes pas nécessaire. Cependant quand les gènes du TOC et de la cyclothymie s’assemblent chez le même sujet, il en résulte, au contraire du couple parental, un réel déséquilibre et un perpétuel conflit entre les deux phénomènes impulsif / compulsif. D’ailleurs la majorité des enfants souffrant de TOC bipolaire attestent l’existence de cette dualité permanente.
Cette hypothèse mérite d’être explorée avec une recherche rigoureuse. En effet, des études génétiques modernes ont signalé que chez les membres "sains" des familles de patients bipolaires, les seules caractéristiques étaient des niveaux élevés sur les tempéraments anxieux et cyclothymiques par rapport aux témoins. D’autre part, selon le Pr John Kelsoe de l’Université de San Diego, les données de la génétique moléculaire suggèrent l’existence des gènes pour l’anxiété et le TOC, qui seraient indépendants des gènes liés à la cyclothymie.
Comment comprendre le TOC bipolaire ?
Quel modèle pourra nous aider à comprendre le TOC bipolaire ? Il est évident qu’il s’agit d’une condition clinique souvent complexe, parfois invalidante. Mais, plusieurs interrogations restent en suspens : comment accepter le mélange paradoxal et mystérieux de l’impulsivité et de la compulsivité ? Existe-il d’autres pistes de réflexion, comme celui des dépressions bipolaires mixtes ? Enfin, si la comorbidité est un témoin de la globalité de la personne souffrante, quelle place devrait-on consacrer au terrain ou aux tempéraments affectifs ?
Pourquoi cette connexion survient-elle ?
Il y a de nombreux facteurs expliquant la connexion bipolarité cyclothymique et obsessions :
Pourquoi les cyclothymiques procrastinent-ils ?
Chez les cyclothymiques, surviennent de manière récurrente des états émotionnels et cognitifs assez extrêmes : des phases de confusion suivies de clarté importante (bouffées de créativité, hypervigilance spontanée,...). Ces états sont donc anticipés (le patient cyclothymique apprend à anticiper ces moments spéciaux) ; de plus il réalise l’inutilité de lutter ou de se casser la tête dans les moments dépressifs ou tout simplement en dehors de ces phases lumineuses. Il préfère plutôt attendre les moments lumineux de génie et les flashs d’inspiration. Tout cela culmine dans un état de procrastination.
Autres frontières obsessionnelles / compulsives de la bipolarité
cf post "addictions comportementales et bipolarité"
Conclusion
Frontière = masques = diagnostics trompeurs de la cyclothymie
Les facteurs illustrant les frontières et les masques sont en fait la signature spécifique de la cyclothymie mais peu de cliniciens le savent !
A lire : Hantouche E, "Troubles Bipolaires, Obsessions et Compulsions", Odile Jacob, 2006
