L’hyperthymie protège-t-elle contre les conduites suicidaires ?
18/12/2010
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Tempéraments
Dans une publication récente, la question du rôle protecteur du tempérament hyperthymique contre le risque suicidaire a été soulevée. Les auteurs ont réalisé des analyses secondaires sur des données déjà obtenues chez des patients présentant des troubles affectifs, unipolaires et bipolaires (BP-I, II et NSA). Dans cette étude, 11 centres ont collaboré sur une période de 6 mois. Le diagnostic a été posé par un psychiatre formé aux troubles affectifs avec l’utilisation des modules du MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview). En plus, le diagnostic BP-NSA a été élargi pour identifier les cas avec BP-NSA III (virage avec les antidépresseurs) et BP-NSA IV (tempérament (hyperthymique). Tous les patients ont rempli le BDI ou Inventaire de Dépression de Beck.
L’étude a ainsi sélectionné 411 patients (dont 69% bipolaires), 352 ont complété la totalité des questionnaires.
La comparaison du scire sur l’item 9 du BDI, item "idées suicidaires" ne montre pas de différence entre les groupes BP et UP (4.5% vs. 9.1%, respectivement). Au sein du groupe BP, la fréquence de l’item 9 est légèrement plus élevée dans le sous-groupe NSA par rapport aux sous-groupes BP-I et BP-II (p value 0.094 and 0.086, respectivement). Un résultat intéressant : la faible fréquence de l’item "idées suicidaires" dans le sous-groupe BP-IV quand comparé à l’autre sous-groupe NSA (p value 0.048). Peut-on conclure que le tempérament hyperthymique est capable de protéger contre les idées suicidaires ?
Les données dérivant des études réalisées en population générale confirment le rôle protecteur du TH contre la survenue des troubles anxieux et dépressifs. Là, on a des patients dépressifs avec TH (BP-IV). Ce qui limite la validité de cette observation c’est la nature même de l’étude qui n’est pas été établie pour répondre à cette question : en effet, il s’agit au départ d’une étude nationale (Argentine) visant la validation concurrente entre le MDQ (questionnaire de l’humeur) et le BSDS (test de bipolarité).
Par ailleurs, je suis étonné par les chiffres assez bas de l’item "idées suicidaires" (moins de 10% dans les groupes unipolaires et bipolaires.
On sait que le tempérament hyperthymique agit en quelque sorte comme un facteur protecteur contre la dépression et les autres troubles mentaux (Karam et al, 2010), qui survient habituellement à un âge tardif chez les hyperthymiques (>40 ans). Cela dit, je peux peaufiner cette donnée, en précisant qu’un sous-groupe de patients présentent un mélange de traits cyclothymiques et hyperthymiques, ça paraît paradoxal mais c’est vrai, dans ce sous-groupe, j’ai constaté que le risque suicidaire est majoré par l’interaction entre l’intensité affective (hyper) et l’instabilité et l’hyperréactivité émotionnelle (cyclo).
Le rôle des tempéraments affectifs sur le risque suicidaire mérite d’être exploré de manière plus approfondie.
En fait, la majorité des données concernent l’analyse des facteurs de risque suicidaire dans la dépression majeure. Cette analyse est à priori une tâche impossible en raison de la multitude des facteurs impliqués : diagnostic de bipolarité atténuée, âge de début, degré de récurrence, sévérité de la dépression, nature mixte - agitée, switchs rapides, tentatives de suicide antérieures, histoire familiale de bipolarité / suicide, abus de substance, niveau d’impulsivité, traits borderline, absence de thymorégulateurs (Hantouche et al 2010).
Le meilleur protocole est d’explorer l’influence des tempéraments affectifs en population générale et idéalement en l’absence de trouble axe 1 (entretien structuré pour les troubles) et la passation du TEMPS-A complet.
Des résultats récents dérivant de l’étude LEBANON (Karam, 2009), suggèrent que le risque suicidaire lié aux tempéraments affectifs résulte en fait d’une interaction entre les tempéraments anxieux et cyclothymique. Cela a été observé dans un échantillon de la population générale ne présentant aucun trouble sur l’axe I (passation du CIDI).
Pour l’instant, je retiens que les traits du tempérament anxieux et cyclothymique représentent un facteur de risque majeur pour la dépression, sa récurrence, sa comorbidité et surtout du risque de conduites suicidaires. Quant au rôle protecteur de l’hyperthymie, c’est à explorer davantage.