-Maladies à Vendre- ou mieux -Experts à Vendre-
10/11/2011
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Spectre bipolaire : dépistage
De ma part, je réagis en tant que médecin expert de la bipolarité et des troubles anxieux.
Commençons par le titre « Maladies à Vendre » qui est une traduction du terme « Disease Mongering », un phénomène décrit en 1992 par la journaliste médicale Lynn Payer, dans son livre « Disease-Mongers ». Ce phénomène renvoie au façonnage, à l’invention ou la fabrication de maladies pour chaque médicament. Comme dans l’exemple qui nous intéresse, médicaliser les émotions et le mal-être pour vendre plus d’antidépresseurs (ère du Prozac® et Cie) et maintenant plus de thymorégulateurs et d’antipsychotiques atypiques (Zyprexa® et Cie).
Un profane qui visionne cette émission aura l’impression que tout est gouverné par un marketing de génie conduit par l’industrie pharmaceutique et qu’aucun système en face n’est capable de s’y opposer ou de réguler ces tentatives de fabriquer et de vendre des maladies ! Désolé, la réalité n’est pas aussi simple que cela ; et le reportage le montre bien quand un des experts montre la carte des facteurs et des acteurs impliqués dans ce phénomène complexe de la maladie mentale et ses traitements.
Je me focalise maintenant sur la partie consacrée à la bipolarité et à la dépression. Je suis surtout choqué par les erreurs monumentales tenues par D. Healy – et j’en souligne ce qui suit:
Avec ce cumul d’erreurs, véhiculées par un expert qui s’est fait une réputation en attaquant en premier les laboratoires Lilly à travers les dangers de Prozac puis à travers Zyprexa (fabrication de faux bipolaires pour le vendre) – un expert frustré (convaincu que ces laboratoires étaient responsables d’avoir bloqué son poste dans une université américaine ou canadienne) – alors, quels crédits peut-on lui donner ?
Il finit par citer avec fierté, Pinel, qui dit, dans l’art de la médecine, qu’il convient de « savoir s’abstenir et ne pas prescrire ». Mon conseil personnel pour Healy, que dans l’art de la communication médicale, il est souvent recommandé de « savoir s’abstenir et ne pas balancer des conneries et des erreurs uniquement dans le but de se faire valoir » - S’il dénonce le phénomène « des maladies à vendre », moi je dénoncerai le phénomène similaire « d’expert mongering » ou l’art de fabriquer et vendre des experts qui sont à des années de lumière des patients et de l’identité de leur souffrance.
Je profite de cette réaction pour avouer que l’ignorance et la méconnaissance de la bipolarité cyclothymique seraient capables de rendre les cliniciens passifs face aux informations véhiculées par les laboratoires pharmaceutiques (au risque de voir la bipolarité partout). Toute personne qui a des variations thymiques n’est pas bipolaire ni cyclothymique (figure). En revanche, toute personne dépressive, anxieuse, boulimique, borderline, addictive… qui est demandeur de soins, mérite d’être convenablement explorée avant l’instauration de traitement antidépresseur – une exploration qui tient compte des éléments que les études scientifiques récentes ont mis en évidence comme indicateurs de la maladie bipolaire (âge de début, histoire familiale, hypomanie, cyclothymie, mode évolutif, récurrence dépressive, réactivité aux psychotropes, abus de substances…).