Etre hypomane
31/08/2011
Témoignages > Cyclothymie
Dans ce pense-bête, il y a même une partie pour les choses officielles comme le paiement des impôts, parce que sinon j’oublie, j’ai tant de choses amusantes à faire.
Ce pense-bête renvoie à mon cahier parce que souvent je n’ai pas assez de place pour décrire tout ce que cache une ligne comme « retaper les chaises » alors je précise les idées avant de les oublier, mon cerveau est si encombré ! Là, je dis que je veux les repeindre en vert et les retapisser en rouge avec des broderies blanches en forme de lignes droites. D’ailleurs il faudra que je fasse un dessin pour convaincre mon entourage que ce sera beau. Ils ne sont jamais capables d’imaginer tout ce que j’ai en tête, pourtant, ce n’est pas si dur que cela : le bois en vert et le tissus en rouge avec des lignes blanches en broderie ! Too easy !
Je trie ce que j’ai à faire. Ainsi, il y a les choses que l’on fait dehors s’il ne pleut pas, les choses que l’on peut faire dehors si la terre n’est ni dure ni molle. Ne riez pas, cela me donne droit à plus de choses non terminées ! Pour l’intérieur, il y a les choses que l’on fera la prochaine fois que l’on sortira la scie sauteuse, les choses que l’on fera avant de faire le ménage, les choses que l’on fera lorsque l’on pourra faire du bruit, lorsque l’on coupera le courant. Bref, j’ai tout un système de règles qui me permettent de tout commencer en même temps tout en restant irréprochable, n’est-ce pas mon chéri !
Malgré tout je viens à bout de beaucoup de choses, enfin, surtout de celles qui ne servent à rien, celles qui sont ultra créatives mais qui n’apportent aucune valeur ajoutée à notre vie. Enfin si, on peut les montrer à nos amis qui sont toujours surpris. Cela sauvegarde mon estime de moi. C’est très important. Surtout que j’avoue que je préfèrerais dépenser mon énergie à m’occuper des choses de la maison, je serais utile, vraiment utile. Mais c’est plus fort toutes ces envies. D’ailleurs ce tableau déco, c’est juste pour le fun ou pour quand l’hypomanie me quitte, parce qu’en hypomanie, je ne fais rien que de le remplir ! Et lorsque je me lève le matin et que je commence quelque chose, il ne faut pas croire que je l’ai regardé. Non ! J’ai envie de faire ceci alors je le fais. J’ajouterai le post-it après.
Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a des fois où je suis hypomane et je termine quelque chose, je me force à ranger mon matériel et j’ai toujours la bougeotte mais je ne sais pas quoi faire. C’est quand toute mon énergie créative est partie dans mon bricolage et que j’ai la satisfaction d’avoir fini. Alors là, je m’assoie, j’essaie de me calmer : je l’ai bien mérité. Mais cela ne marche pas. Alors je me tourne vers mon tableau, tant qu’à être vidée et faire quelque chose, autant faire quelque chose qui a déjà été pensé. Et bien non, çà ne marche pas. Je le fais toujours mais cela ne marche jamais. Une fois devant mon tableau, la machine repart et j’ajoute des post-it.
Lorsque je travaillais mon hypomanie était magique.
Dans la partie créative de mon travail, je devenais l’idole des responsables produits. Les produits devenaient amusants, intuitifs, ingénieux. Je travaillais vite et bien. Contrairement aux autres, je ne renâclais pas à refaire, à faire plusieurs propositions en plus de la seule évidente. J’avais le regard acéré et toutes les contraintes se mêlaient pour ne laisser derrière elle que LA solution.
Mes formations devenaient des réunions café où chacun participait, je n’étais là que pour relancer le débat et faire suive un fil conducteur. Je m’amusais, j’avais des amis autour de ces tables, on riait, on apprenait bien, on apprenait mieux. J’avais mes fidèles, des gens qui ne venaient à mes formations que parce que c’était moi qui les animais.
Côté gestion de projet c’était l’heure des décisions instinctives. Je savais comme par essence où se cachaient les problèmes et comment j’allais les contourner. Certes, je ne savais pas le démontrer mais j’avais un si beau sourire, une argumentation au goût si sûr bien que fallacieuse, j’étais si sûre de moi, mon regard était si droit. Et puis j’avais une telle énergie pour aider les retardataires que jamais les obstacles ne se voyaient et les rares qui émergeaient étaient accompagnés d’une communication tellement précise et tellement enjouée que tout était oublié.
Je cachais le stress sous une énergie débordante et de grands sourires. Seuls ceux qui partageaient mon bureau avaient droit aux crises d’énervement, au discours à l’ordinateur, aux 1001 pas dans le bureau en quête de l’inspiration. Lorsque cela ne marchait pas, pour eux, ma belle assurance avait son prix.
Lorsque je suis hypomane, je suis capable de faire plusieurs choses simultanément. Je ne parle pas de deux choses simples comme peindre et chanter. Mais plutôt jouer au billard français et chanter une chanson inconnue en rythme et juste. Dans ces moments-là, je suis dans une bulle, le monde pourrait s’écrouler autour de moi, je ne le remarquerais pas. On peut rentrer dans cette bulle, en se plaçant dans mon champ de vision et en attendant, je peux ouvrir la porte sans casser la bulle. Mais il est impossible de rentrer dans cette bulle de sa propre initiative. Là, c’était la crise. La bulle implose avec ce retour à la réalité trop brusque, cette impression de viol. C’est la crise de colère, plus ou moins contrôlée. Cela a été jusqu’à une queue de billard fracassée sur le sol ou une boule de billard difficilement gardée dans la main.
Quand je suis hypomane, je peux prendre des décisions un peu absurdes. Une fois, j’ai failli acheter une voiture de sport juste parce qu’elle était belle. Heureusement, j’ai pensé aux vacances et je suis revenue à une bonne berline qui devait réellement remplacer la ruine qui me servait à me déplacer.
Quand je suis hypomane, je peux m’ennuyer très vite, il faut que cela bouge dans mon corps ou dans ma tête, le mieux dans les deux. Il faut qu’il ait toujours un mouvement parce que sinon c’est l’ennui assuré. Mais qu’est-ce que l’ennui d’une hypomane ? C’est un ennui terrible. Bien sûr c’est une recherche d’activité mais cette recherche est toute pleine de frustration, de colère : il est inadmissible d’être là et de ne rien voir bouger. Alors ce sont des cris, des reproches, des maladresses, des objets cassés. Et la reprise du mouvement est toute aussi terrible, cela va trop vite, trop fort jusqu’à ce que la frustration se soit complètement apaisée. Cela laisse le temps de casser des choses, d’aller trop loin, de tout briser.
Il peut aussi arriver que la vitesse me donne soudain le vertige et là, c’est aussi une crise de colère le temps que l’angoisse passe. Je peux aussi être angoissée par un regard, un mot dit ou justement non dit, un geste, enfin quelque chose que je ne sais pas interpréter. Et il y en a car vu que je ne réagis pas comme vous, je ne vous comprends pas très très souvent.
C’est pour cela que c’est terrible une hypomane. Vous avez devant vous une personne enjouée, tellement enjouée que vous avez du mal à la suivre, sa joie vous parait parfois un peu démesurée, un peu comme si elle avait un peu bu (mais non, elle est à jeun) et puis tout coup, vous ne savez pas pourquoi, elle devient colérique jusqu’à ce que tout à coup elle revienne toute à sa joie. Que s’est-il passé : juste une vague de frustration ou d’angoisse qui est passée.
Une hypomane en hypomanie peut-elle être triste ? Je crois que oui. L’énergie devient alors toute intérieure, elle est plus posée. Seules les réactions à la frustration sont plus imposantes dans le temps et dans l’intensité. Lorsque je suis hypomane et triste, je fais des choses créatives, dans le silence et sans bruit. Je crois que je ne souris pas, que j’ai un visage lisse de toute expression. On ne peut pas m’interrompre, ce serait interrompre un service funéraire. Il faut attendre que je sorte. Je ne sors pas toujours facilement et pas toujours rapidement (comme quoi les hypomanes ne font pas toujours les choses rapidement). Des fois, je ne sors que quelques jours plus tard ; quelques jours où mon entourage aura du respecter ce calme, ne pas me poser de questions, ne pas me parler, juste attendre, comme si je n’étais pas là. Et là aussi on ne peut pas m’interrompre sans créer une vague de frustration. Je craque parce que l’on m’empêche de faire ce que je ressens comme étant nécessaire, vital même. Oui passer le pain peut me déranger au plus au point et non je ne sais pas pourquoi, c’est juste comme cela. J’aime la personne qui me demande le pain, j’ai envie de lui rendre service, je trouve normal de lui passer le pain. Mais je ne peux pas le faire à ce moment là. A ce moment-là, j’ai autre chose à penser, à ce moment-là je ne peux pas penser aux autres, à ce moment-là mes gestes sont des plus mesurés. C’est tout. Ce n’est pas de la provocation, ce n’est pas de la fainéantise, ce serait juste de la frustration de ne pas faire ce que mon corps réclame.
Lorsque je suis hypomane, je suis un caméléon. Je regarde quelqu’un faire quelque chose, juste le regard. Je ne pose pas de question, j’observe et je dissèque. Puis j’abstrais les choses, je réfléchis, je me pose des questions, j’y réponds, je prends le temps (tiens, c’est possible ?), je retourne regarder, observer, disséquer et puis je m’y mets. Et je fais comme celui que j’ai observé. Tout aussi bien, parfois mieux. Je ne sais pas comment je fais, la seule chose que je puis dire c’est que j’imite après avoir analysé. Mais je ne peux rien expliquer de plus. Les gestes que je refais me paraissent si évidents ! Au fil des jours, mes gestes et mes réflexions se précisent et je passe du stade de l’élève au stade du maître. Je ne sais pas comment cela marche, comment je peux apprendre autant de choses aussi vite, comme je peux les ressentir aussi finement. Ou plutôt, excusez-moi, je ne comprends pas pourquoi les autres ne peuvent pas le faire. Cette expression décrit mieux mon désarroi quand il s’agit d’expliquer comment j’ai fait.
Certains diront que c’est une qualité, quasiment tous. Sauf ceux qui la partagent avec moi. Eux savent que c’est difficile de regarder quelqu’un puis de se mettre à côté de lui et de faire aussi bien voire mieux. Lui y a passé des années peut-être et nous on arrive là et on se pose. Combien d’erreurs volontaires faut-il faire pour le rassurer sur sa valeur (que nous nous n’avons jamais remise en cause d’ailleurs). Combien de gens se sentent réduits à rien en se rendant compte de la quantité de choses que vous savez faire, vous en êtes réduits à ne pas parler de vos expériences, à faire semblant d’admirer une compétence débutante que soit disant vous n’avez pas. Que de frustrations pour ne jamais entendre « de toute façons, toi tu sais toujours tout, tu as toujours tout fait ».
Et oui, parce que quand j’étais hypomane, j’adorais écouter les autres me raconter leurs exploits, j’en prenais une part pour moi, je revivais mes propres expériences, je reprenais vie dans leur expérience et donc je racontais mes expériences. J’ai donc appris à ne pas le faire ou tout du moins à choisir mon public. Mais que de frustrations.
Ce n’est pas facile d’être l’ami, le vrai ami, d’un hypomane. Oui, l’hypomane a plein de connaissances, tout le monde l’aime : il sourit, il fait des blagues, il est généreux, il est curieux, il a des projets. Il vit quoi. Mais tout cela c’est bien superficiel. Il faut aussi supporter de l’entendre partager ses nouvelles découvertes, il faut supporter ses crises de mégalomanie. Oui, ne nous voilons pas les yeux, l’hypomane a aussi des crises de mégalomanie. A force de tout réussir, de tout apprendre sans effort, d’avoir autant d’idées, autant de projets, autant de gens qui vous écoutent, comment éviter de croire que tout nous est possible, que le meilleur des hommes c’est nous ? Ou presque.
Rien n’est donc impossible et le petit tableau déco se remplirait de drôles de post-it si quand même au moment de coucher les choses sur le papier un éclat de lucidité n’apparaissait.
Non, vraiment qui a l’envie d’être l’ami, le vrai ami, de quelqu’un comme cela ? Si j’ai une idée : un scientifique qui les étudie !!!
Alors l’hypomane sait qu’il doit freiner, freiner des quatre fers pour rester acceptable et avoir des amis, des vrais, de ceux qui seront peut-être là encore lorsqu’il sera en dépression. Et cet ami a du travail. C’est à lui que revient le dur rôle de dire à l’hypomane que « stop, tu devrais faire des choses plus calmes » pour qu’il ne monte pas trop haut, qu’il ne soit pas trop frustré, qu’il ne monte pas trop haut. Combien de parties de scrabble proposera-t-il, de partie des quiwrckle ?