Trouble BP-III ou hypomanies pharmacologiques
13/09/2010
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Spectre bipolaire : dépistage
Balade vers la guérison ou virage thymique ?
M. R., 40 ans, est connu par vous et au moins par cinq collègues psychiatres. Il présente une dépression chronique qui traîne depuis plus de 5 ans. Dans les courriers adressés par vos collègues, vous lisez les diagnostics de "Dépression Névrotique avec personnalité narcissique fragile", "Dysthymie", "Double Dépression". Certains proposent même à votre patient une cure de sismothérapie.
Suite à un traitement suggéré par un psychiatre expert de la dépression résistante, associant la combinaison de 2 antidépresseurs à fortes posologies, votre patient devient légèrement euphorique et hyperactif. Il est ravi de ce changement "ça fait un bail que je ne me suis pas senti dans un tel état ; je vous remercie Docteur, vous mʼavez guéri de ma misérable souffrance"
Il est vrai que face à des cas similaires, tout le monde, patient et médecins, se réjouit dʼune telle évolution. Dans le cas de M.R., son épouse ne partage pas cette réjouissance ; elle est, au contraire, inquiète au sujet de la transformation de lʼétat de son mari. Elle vous appelle, alarmée et soucieuse : "je crois que mon mari est un peu dérangé ; son comportement a radicalement changé. Il se sent trop confiant et fort. Il veut maintenant démissionner de son job, et projette de déménager pour une maison plus grande alors quʼon nʼa pas les moyens financiers."
Le cas de M. R. illustre certains pièges où lʼon considère des virages thymiques comme un début de guérison dʼune longue dépression. En effet, les troubles bipolaires du type "BP-III" se caractérisent souvent par la présence dʼépisodes dépressifs associés à des traits persistants de dépression mineure (tempérament dépressif ou dysthymie). Malgré un tableau clinique évoquant une dépression cliniquement unipolaire, le traitement sera adapté en fonction de la bipolarité (indication dʼune thymorégulation).
Validation de lʼentité "BP-III"
Dans lʼétude française EPIDEP, 144 patients (29.2% de lʼéchantillon total de dépressifs majeurs) répondaient aux critères du trouble BP-II, càd la présence dʼépisodes dʼhypomanie spontanée (BP IIsp), et 52 patients (10.5% de lʼéchantillon) présentaient des hypomanies uniquement associées à un traitement antidépresseur (BP HAA ou BP-III).
Les deux groupes ne montraient pas de différences sur les scores obtenus sur la check-list dʼhypomanie (12.2 + 4.0 vs. 11.4 + 4.4, p = 0,25) et sur le taux familial de bipolarité (14.1% vs. 11.8%, p = 0,68).
- Un âge de début plus précoce des hypomanies
- Des scores plus élevés sur les tempéraments hyperthymiques et cyclothymique
- Un taux plus important dʼabus dʼalcool
- Un taux familial plus élevé de suicide
- Un score plus important sur le tempérament dépressif
- Plus de tendance à la chronicité des épisodes dépressifs, à la présence dʼéléments psychotiques associés
- Plus dʼadmissions psychiatriques pour des tentatives de suicide
- Enfin, plus de tendance pour les cliniciens pour les soigner avec des sels du lithium ou des anti-convulsivants thymorégulateurs et pour les cas plus sévères un recours à lʼECT ou électro-convulsivo-thérapie (Akiskal et al, 2003b).
Le trouble BP-III apparaît comme un dérèglement dépressif persistant (tempérament dépressif) avec des épisodes dépressifs majeurs chroniques et suicidaires et des hypomanies qui surviennent tardivement dans la vie et par définition, uniquement au cours dʼun traitement antidépresseur.
Lʼassociation entre dépression chronique et tempérament dépressif évoque lʼentité de "double dépression" - qui selon Keller et al (1983) est prédictive dʼinduction dʼhypomanie par les antidépresseurs.
Pour les cliniciens qui connaissent bien ces patients sur de longues périodes, le trouble BP-III est considéré comme autant bipolaire que les formes typiques de BP-II. Nous pensons quʼune bipolarité "génotypique" (histoire familiale équivalente entre BP-II et BP-III) favorise leur appartenance au spectre bipolaire.
Toutefois, il sʼagit dʼune forme à pronostic plus sévère.
Cʼest probablement le phénotype clinique le plus dépressif qui est susceptible dʼêtre déstabilisé par lʼusage des antidépresseurs.
Ces considérations doivent être prises en compte dans la révision du DSM IV et la CIM-10 qui nʼincluent comme bipolaire type II que les épisodes spontanés. Le trouble "BP-III" représenterai une expression génétique de lʼhypomanie moins pénétrante que le BP-II. Elle est proche de la dysthymie sub-affective primaire décrite par Akiskal en 1980 et des virages thymiques décrits par Rosenthal en 1981.
Dans la pratique, ce trouble est rarement diagnostiqué comme bipolaire et les patients sont fréquemment exposés aux antidépresseurs sur de longues périodes avec une évolution vers la chronicité et la résistance, comme l?atteste le recours à lʼhospitalisation et la sismothérapie. Est-ce que lʼignorance de la nature bipolaire et les effets délétères des anti-dépresseur sont-ils responsables de ce pronostic réservé ?
Référence
Hagop S. Akiskal, Elie-Georges Hantouche, Jean-François Allilaire et al
Validating antidepressant-associated hypomania (bipolar III): a systematic comparison with spontaneous hypomania (bipolar II)
Journal of Affective Disorders, 2003 : 65-74.
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