Lʼexpérience clinique du CTAH dans le traitement des bipolarités résistantes : le défi dʼun tableau clinique complexe.
La fin des "beaux cas" ?
Existe-t-il de nos jours des cas de troubles bipolaires simples à traiter ? Des cas où un « bon » diagnostic porté à temps conduisant à un traitement spécifique (comme le lithium) se soldant par une « guérison » (ou une grande amélioration au long cours) ?
Evidemment, le concept de la maladie a changé et évolué depuis le début des années 60, une évolution marquée par lʼexpansion des frontières de la bipolarité (loin au-delà des cas classiques de BP-I) ; donc un tableau clinique de plus en plus complexe qui nous défie tous les jours, notamment les cas avec :
Des troubles neuro-cognitifs importantsUne comorbidité complexe (abus de substances, troubles impulsifs, personnalité borderline, anxiétés complexes notamment les TOCs bipolaires)Des phases dépressives mixtes chroniques, Une intolérance aux traitements censés être efficacesUne altération de la qualité de vie (isolement, pas de travail, handicap social, hospitalisations fréquentes, conduites suicidaires…)Une mauvaise réponse aux traitements.Malgré ces réalités, on observe des cas avec une excellente
réponse.
Poon et al (2012) ont passé en revue les différentes options thérapeutiques dans les cas de bipolarité résistante. En raison de la maigreur des publications dans ce domaine, aucune qualité des critères dʼefficacité ne sera appliquée. Je tenterai de donner mon opinion à travers lʼexpérience clinique au
CTAH.
En cas de « Manie Résistante »
Evidemment, les cas de Manie Résistante nécessitent le recours aux neuroleptiques typiques ou atypiques (car les cas de Manie Résistante sont sélectionnés après une mauvaise réponse aux régulateurs classiques comme le lithium ou le divalproate) :
Clozapine (Leponex®)en monothérapie ou en ajout semble une bonne solution dans les cas résistants aux traitements usuels
Olanzapine (Zyprexa®)en monothérapie apporte un taux de réponse de 88% avec 78% qui obtiennent une rémission (Chen et al 2011)
Aripiprazole (Abilify®)en association avec Clozapine (étude non contrôlée par Benedetti et al 2010)
Quʼen est-il du traitement de la dépression bipolaire résistante
Certes, cʼest plus complexe que la Manie Résistante ; rappelons que deux traitements ont lʼapprobation pour le traitement de la Dépression BP : Quétiapine et la combinaison OFC (olanzapine + fluoxétine). Donc, pas étonnant que les cas résistants de dépression BP soient plus épineux et fréquents que ceux de Manie Résistante.
Une recherche des preuves dʼefficacité des traitements de la DBR dans la littérature (jusquʼen mai 2012) nʼa retrouvé que 7 études qui répondent aux critères méthodologiques (essai contrôlé, groupe contrôle…), ce qui explique la maigreur étonnante des preuves. Donc 7 études réparties comme suit : kétamine (1 étude), modafinil (2 études), pramipexole (1 étude), lamotrigine (1 étude), inositol (1 étude), risperidone (1 étude) et 2 études pour lʼECT. En dépit de la maigreur des preuves de niveau 1, il existe cependant des résultats encourageants, avec des médicaments ou techniques, connus ou en expérimentation, qauʼon peut proposer aux cas les plus difficiles ou résistants (Sienaert et al, 2013).
Place incontournable de Lamotrigine (Lamictal®)- Lamotrigine plus efficace que Gabapentine ou placebo (Frye 2000)
- Lamotrigine en « add-on » plus efficace que lʼajout dʼInositol ou de Rispéridone. (Nierenberg 2006)
- Combinaison Lamotrigine plus Quétiapine plus efficace que chaque psychotrope administré seul ou en combinaison avec dʼautres psychotropes (Ahn 2011)
Dans mon expérience, toute dépression bipolaire résistante mérite un essai thérapeutique avec le Lamictal®, notamment quand le trouble bipolaire est à polarité dépressive dominante (fréquence élevée des épisodes dépressifs avec peu dʼépisodes hypomaniaques) avec tendance à la cyclicité rapide ou présence de labilité affective assez prononcée.
Aripiprazole (Abilify®)En ajout : peu de preuves dʼefficacité dans les cas résistants ; Les experts mettent en garde la survenue fréquente (plus de 50%) des effets secondaires comme akathisie, agitation, exaltation anormale, confusion, raccourcissement du sommeil (Ketter 2006, Kemp 2007) ; Dans mon expérience, je ne prescris jamais lʼAbilify à plus de 5 mg dans les dépressions BP résistantes (cas très sensibles aux effets neurologiques). Un des problèmes particuliers de lʼAbilify® est la durée limitée de son efficacité (souvent je constate un excellent effet rapide mais qui ne persiste pas au-delà de 8 semaines) – ce qui représente un handicap dans son usage chez des patients désespérés en recherche dʼun remède efficace au long cours.
Ajout de T3 – hormone thyroïdienne (Cynomel®) Chez 159 cas de dépressions résistantes (BP-II ou NSA), 84% de bonne réponse avec 33% de rémission clinique complète sans survenue de virage maniaque ou dʼexaltation excessive (Kelly 2009).
Ajout de Bupropion (Zyban®) Etude pilote (durée 4 semaines) montrant que lʼajout de Bupropion à des traitements complexes chez 13 patients avec dépression résistante (BP-I ou –II) apporte un taux de 62% dʼamélioration sans survenue de virage maniaque ou dʼexaltation excessive (Erfurth, 2002) ; Je nʼai jamais pu obtenir de bons résultats avec cet antidépresseur (pour rappel actif sur la dopamine et la noradrénaline) – souvent contraint de lʼabandonner pour effet trop excitateur ou stimulant sans vrai effet antidépresseur
Pramipexole (Sifrol®)Etude en « add on » versus placebo : 67% de bonne réponse au terme de 6 semaines contre 20% avec placebo dans un groupe de 22 patients bipolaires avec une dépression résistante (Goldberg 2004) ; Dans mon expérience, cʼest un des meilleurs psychotropes en « add-on » avec un effet thérapeutique qui persiste dans le temps (contrairement à Abilify®)
KétamineDeux études réalisées chez des patients bipolaires avec dépression résistante (essais en croisé, double aveugle, vs placebo) démontrant la rapidité de lʼeffet antidépresseur et de lʼeffet réducteur sur les idées suicidaires, obtenu après une dose unique en perfusion ; dans lʼétude de Diazgranados (2010), 71% de bonne réponse avec la
Kétamine contre seulement 6% avec le placebo.
Modafinil (Modiodal®)Deux études, Frye et al (2007) et Calabrese et al (2010) ayant exploré les bénéfices de la Modafinil ou Armodafinil (150 mg le matin) dans la dépression BP ; elles montrent des bénéfices sur la dépression sans émergence de manie. Une étude récente de DellʼOsso (2013) montre une meilleure tolérance de lʼajout de Modafinil (comparée au pramipexole) dans le traitement de BP résistante.
ECT ou SismothérapieLes études montrent un taux significatif de bonne réponse, comme 66–70% (Medda 2010) ; Macedo-Soares et al (2005) ont étudié 6 patients avec bipolaires avec manie ou dépression réfractaires et trouvé que tous ont bien répondu après 12 séances dʼECT
Privation de sommeil combinée avec luminothérapie intensive Cette approche a été testée en « add-on » chez 60 patients BP avec DBR: 44% sʼaméliorent après une semaine et 17% au terme de 9 mois de suivi ; mais pas de groupe contrôle nʼa été inclus dans cette étude (Benedetti, 2005)
rTMS ou Stimulation Magnétique Transcranienne Etude chez des patients BP-I et BP-II avec DBR: 55% dʼamélioration au terme de 3 semaines de lʼessai, sans induction de virage ; pas de groupe contrôle dans cette étude (DellʼOsso, 2009).
Stimulation Cérébrale ProfondeEtude incluant 17 patients avec DBR : 70% dʼamélioration clinique et 58% de rémission au terme dʼun suivi de 24 mois (Holtzheimer, 2012).
Résistance aux traitements au long cours
Lʼanalyse des dossiers est en faveur des combinaisons «
sodium valproate plus lithium » / «
sodium valproate plus carbamazepine », ou «
lithium plus carbamazepine », (Schaff 1993). Cʼest une donnée classique : la combinaison de deux thymorégulateurs a une efficacité au long cours meilleure quʼavec un seul (surtout pour le lithium dont lʼefficacité tend à diminuer avec le temps quand prescrit seul)
OlanzapinePetite étude incluant 23 patients ayant résisté à un thymorégulateur (lithium, carbamazepine ou valproate), réduction significative sur la CGI (Vieta, 2001).
Topiramate Une étude contrôlée, vs placebo a montré lʼabsence de bénéfice quand il est ajouté au traitement en cours (Chengappa, 2006). En revanche, un essai non contrôlé a montré un effet bénéfique sur une période de 6 mois (Vieta, 2002)
Bloqueurs des canaux calciques Peu de preuves convaincantes sur leur efficacité dans les troubles BP (Casamassima, 2010), Mais un essai non contrôlé montre des bénéfices (plus de stabilisation au long cours) de lʼajout de Diltiazem sur 12 mois chez 8 patients ayant résisté à des séries de combinaisons complexes de traitements conventionnels (Silverstone, 2000)
Mémantine Une belle étude italienne qui montre que lʼajout de Mémantine apporte une amélioration globale sur un et trois ans de suivi (Koukopoulos, 2010, 2012)
Conclusions
Le constat est assez net : peu dʼessais thérapeutiques avec bonne qualité méthodologique (taille, durée, double aveugle, groupe contrôle…) ont été réalisés dans ce domaine vital qui concerne la bipolarité résistante ; notamment dans les phases dépressives résistantes ou dans les cas dʼéchec de stabilisation au long cours.
Malgré cette limite, on dispose de «
recettes » qui peuvent aider et soulager quand les patients sont dans des impasses thérapeutiques. Le plus important est de pouvoir anticiper la résistance chez les patients bipolaires, en améliorant les conditions de dépistage et en administrant les traitements les plus adaptés en fonction du
profilage clinique et phénoménologique.
Une telle anticipation est dʼautant plus requise quand il sʼagit de cas avec :
Un début à un âge très précoceUne évolution avec cyclicité rapide ou circulaire (cyclothymie), Une prééminence des caractéristiques psychotiques Une comorbidité complexeCe qui signifie lʼimportance cruciale des bilans cliniques les plus complets dès lʼéclosion de la maladie bipolaire et dʼéviter au maximum les traitements susceptibles dʼaggraver lʼévolution de la maladie (comme les antidépresseurs).
Enfin, rappelons quʼil nʼy a pas de consensus sur ce qui constitue une «
résistance » au traitement. En revanche, un progrès est attendu quand on est capable de mieux définir :
les épisodes, notamment mixtes les formes cliniques et la plac des tempéraments affectifs.Références
Poon SH et al. Evidence-based options for treatment-resistant bipolar disorder patients. Bipolar Disord. 2012 Sep;14(6): 573-84Sienaert P et al. Evidence-based treatment strategies for treatment-resistant bipolar depression: a systematic review. Bipolar Disord. 2013 Feb;15(1): 61-9. septembre 2013
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