N-AcétylCystéine (NAC) dans les troubles bipolaires et les troubles associés
26/08/2012
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Traitements
Quʼest que le NAC ?
Le NAC est un dérivé de l’acide aminé L-Cystéine ; il est conditionné comme un médicament Mucomyst® - indiqué dans le traitements des affections broncho-pulmonaires aiguës et chroniques, dans les complications de la mucoviscidose, des soins de la trachéotomie…
Quel rôle joue le NAC dans les troubles psychiatriques ?
C’est un exemple d’usage d’anciens produits bien connus sur de nouvelles connaissances en pharmacologie – par exemple, le NAC possède des effets sur les processus impliqués dans les réactions du métabolisme induites par le stress, comme les réactions oxydatives (comme un effet modulateur sur le glutamate). Des réactions excessives au stress contribuent à altérer le fonctionnement des cellules avec une fragilisation de la membrane cellulaire (perméabilité et fluidité), altérer la transduction du signal, la décomposition métabolique en des dérivés toxiques pour la cellule… Les neurones sont le plus à risque de subir les effets délétères du stress en raison de la concentration importante des acides gras polyinsaturés dans la membrane neuronale. Parmi les réactions de défense contre le stress, figure le Glutathion ; Les Oméga 3 FFA, et les vitamines C et E facilitent la conversion du Glutathion oxydé mais n’augmentent pas la capacité de réserve du Glutathion ; ce que le NAC peut faire.
Le Glutathion est un tripeptide formé par le glutamate, la cystéine et la glycine (ou γ-L-glutamyl-L-cystéinyl-glycine). Le NAC peut augmenter le Glutathion seulement en cas de déficit intracellulaire en Glutathion (c’est ce qui se passe en cas de réaction oxydative élevée liée au stress). Le NAC agit ainsi sur la modulation du transport du glutamate – qui est impliqué dans plusieurs fonctions et comportements tels que la récompense, le renforcement, la répétition… qui sont impliqués dans certains troubles compulsifs, impulsifs, abus de substance, jeu pathologique…
Aperçu des études cliniques avec le NAC
I- Dans la schizophrénie
Une étude contrôlée avec 84 patients traités avec 2 g sur une période de 24 semaines : effet sur l’intensité globale et les symptômes négatifs et non positifs de la schizophrénie – ainsi qu’une amélioration sur l’échelle de Barnes (akathisie). Les bénéfices disparaissent après un mois d’arrêt du NAC.
Référence : Berk M, Copolov D, Dean O, et al. N-acetyl cysteine as a glutathione precursor for schizophrenia—a double-blind, randomized, placebo-controlled trial. Biol Psychiatry. 2008;64:361–368
Une autre étude en croisé, évaluant l’effet du NAC en ajout au traitement ; Huit patients ont reçus le NAC à 2 g/jour ou placebo sur 60 jours – amélioration observée sur les symptômes négatifs.
Référence : Lavoie S, Murray MM, Deppen P, et al. Glutathione precursor, N-acetyl-cysteine, improves mismatch negativity in schizophrenia patients. Neuropsychopharmacol. 2008;33:2187–2199.
II- Dans les Troubles Bipolaires
Une étude contrôlée en double aveugle contre placebo évaluant le NAC (2 g/jour) chez 75 patients dépressifs bipolaires en ajout au traitement usuel sur une période de 24 semaines : amélioration significative sur l’échelle de dépression MADRS obtenue à la 20ème semaine + une amélioration à la 8ème semaine observée sur les échelles de fonctionnement global et social. De plus, le NAC est bien toléré sans induction de virage (hypo)maniaque.
Référence : Berk M, Copolov DL, Dean O, et al. N-acetyl cysteine for depressive symptoms in bipolar disorder—a double-blind randomized placebo-controlled trial. Biol Psychiatry. 2008;64:468–475.
III- Dans d’autres troubles psychiatriques
Le NAC a été testé dans des troubles divers en rapport avec le contrôle des impulsions (comme la trichotillomanie, jeu pathologique), l’abus de substances (cocaïne, cannabis), l’autisme…
Trichotillomanie
un essai en double aveugle chez 50 patients (12 semaines avec doses 1200 et 2400 mg/jour) : réduction du comportement d’arrachage des cheveux avec 56% d’amélioration
Référence : Grant JE, Odlaug BL, Kim SW. N-acetylcysteine, a glutamate modulator, in the treatment of trichotillomania: a double-blind, placebo-controlled study. Arch Gen Psychiatry. 2009;66:756–763.
Jeu pathologique
Essai en ouvert sur 8 semaines chez 27 joueurs pathologiques (1500 mg/j) : après 8 semaines, 60% ont montré une baisse de 30% ou plus sur l’échelle YBOCS-Jeu pathologique – 13 patients ont été randomisés dans une phase de continuation versus placebo ; 83% avec NAC continuent a été améliorés vs 29% avec placebo
Référence : Grant JE, Kim SW, Odlaug BL. N-acetyl cysteine, a glutamate-modulating agent, in the treatment of pathological gambling: a pilot study. Biol Psychiatry. 2007;62:652–657.
Autisme
un essai en double aveugle chez 33 enfants (12 semaines, dose progressive jusqu’à 2700 mg) : amélioration sur l’irritabilité et les comportements stéréotypés et répétitifs
Référence Hardan AY, Fung LK, Libove RA, Obukhanych TV, Nair S, Herzenberg LA, Frazier TW, Tirouvanziam R. A Randomized Controlled Pilot Trial of Oral N-Acetylcysteine in Children with Autism. Biological Psychiatry. 2012 Feb 17.
Dépendance à la Cocaïne
essai contrôlé croisé chez 13 personnes recevant NAC (2400 mg/j) ou placebo : tendance pour le NAC à réduire les symptômes de sevrage et de « craving » de la cocaïne
Référence : LaRowe SD, Mardikian P, Malcolm R, et al. Safety and tolerability of N-acetylcysteine in cocaine-dependent individuals. Am J Addict. 2006;15:105–110.
Une autre étude a montré chez 15 participants que le NAC est capable de réduire les réactions aux stimulus évoquant la cocaïne (regarder moins de temps les diapositives relatives à la cocaïne, manifester moins d’intérêt, et moins de désire)
Référence : LaRowe SD, Myrick H, Hedden S, Mardikian P, Saladin M, McRae A, Brady K, Kalivas PW, Malcolm R. American Journal of Psychiatry 2007 Jul;164(7):1115-7.
Une troisième étude réalisée chez 23 personnes suivies en ambulatoire – recevant 3 doses différentes de NAC (1200, 2400 et 3600 mg) sur 4 semaines – en ouvert : meilleurs résultats avec les fortes doses (70% ont réduit ou arrêté l’usage de cocaïne)
Référence : Mardikian PN, LaRowe SD, Hedden S, et al. An open-label trial of N-acetylcysteine for the treatment of cocaine dependence: a pilot study. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry. 2007;31:389–394.
Dépendance à la Marijuana
Essai en ouvert chez 24 personnes dépendantes à la marijuana – recevant le NAC à 2400 mg/jour – réduction du nombre de jours d’usage et du nombre de joints par jour d’usage ; baisse des niveaux de compulsivité, des réactions émotionnelles et intentionnelles relatives à l’usage du cannabis
Référence : Gray KM, Watson,NL, Carpenter MJ. Larowe SD. N-acetylcysteine (NAC) in young marijuana users: an open-label pilot study. American Journal of Addiction 2010 Mar-Apr;19(2):187-9.
TOC résistant au AD sérotoninergique
Des rapports de cas isolés de TOC résistant ayant été améliorés avec l’ajout de NAC (3 g/j)
Référence : Lafleur DL, Pittenger C, Kelmendi B, Gardner T, Wasylink S, Malison RT, Sanacora G, Krystal JH, Coric V. N-acetylcysteine augmentation in serotonin reuptake inhibitor refractory obsessive-compulsive disorder. Psychopharmacology (Berl). 2005 Dec 22;:1-3
Conclusion
Des essais contrôlés ont évalué les bénéfices du NAC dans la schizophrénie, la dépression bipolaire, la trichotillomanie, l’autisme et la dépendance à la cocaïne. Mais ces études ont inclus des groupes de taille réduite (peu de patients) avec un modèle d’augmentation (ajout du NAC au traitement en cours) – donc des essais concernant des patients résistants. Ces points limitent l’interprétation des résultats en faveur de l’efficacité du NAC ; Cela dit, on peut affirmer la bonne tolérance du NAC et la bonne adhésion des patients à ce traitement. Globalement, les symptômes négatifs de la schizophrénie, la dépression et les comportements compulsifs et impulsifs sont réduits avec le NAC.
Le NAC peut être considéré comme un agent capable d’augmenter les effets des traitements usuels des troubles bipolaires, psychotiques et compulsifs avec un minimum d’effets secondaires.
Les études suggèrent un effet particulier sur l’irritabilité, la dépression et les symptômes négatifs de la psychose – ce qui en faveur d’un effet « direct » sur les affects négatifs qui n’est pas lié à l’effet sur le système de récompense et de renforcement.
Enfin, un point qui mérite d’être cité ; ça concerne le fait que le NAC est vécu comme un traitement sans stigma – un traitement qui ne comporte pas d’attributs péjoratifs.
Dans la pratique, le NAC peut être pris à une dose de 1200 à 1800, deux fois par jour, loin des repas, éventuellement avec des Oméga 3, des minéraux et la vitamine C (qui aide à augmenter le recyclage du glutathion)
NB : dans ma pratique au CTAH, je n’ai aucune expérience personnelle concernant l’usage du NAC dans le traitement du spectre des troubles bipolaire. Il peut être utile dans certains cas de cyclothymie avec comorbidité (trichotillomanie, abus de substance, jeu pathologique…) ou de dépression mixte irritable difficile à soigner.
Cette synthèse est inspirée de la conférence du Pr Richard H. McCarthy, du collège de Médecine de SUNY à Brooklyn, NY, présentée au congrès IRBD, Nice mai 2012.
