Cyclothymie et responsabilité
31/12/2008
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Avis des cyclothymiques
Gilles Lipovetski dans un livre récent, "Le crépuscule du devoir", parle d’une "éthique indolore des nouveaux temps démocratiques" et souligne avec raison que pour la première fois, notre société "euphémise" et "décrédibilise", "dévalue l’idéal d’abnégation en stimulant les désirs immédiats, les passions de l’ego, le bonheur intimiste et matérialiste".
Il est vrai que cette nouvelle autonomie de l’individu, ce désir de quête de personnel a plusieurs facettes : celle d’une liberté acquise, qui n’entrave plus le cheminement personnel et c’est un progrès indéniable mais en même temps est-ce que cette liberté peut éclipser la valeur fondamentale de la responsabilité ? Les penchants parfois destructeurs de certains cyclothymiques m’amène à penser que la maladie n’excuse pas toujours des comportements dangereux pour les autres.
Frankl juge que la liberté n’est pas la dernière finalité et peut devenir arbitraire à moins qu’elle soit vécue en terme de responsabilité. Il proposait dans "Man’s search for meaning" d’ériger une statue de la responsabilité sur la côte Ouest des Etats-Unis soit ajoutée à celle de la liberté de la côte Est ! Quand on connaît le sens de la responsabilité de ce héros pendant la Shoah, on comprend que cette proposition est bien fondée. Rappelons que Frankl a choisi de rester en Autriche avec sa famille plutôt que de partir aux Etats-Unis avec un visa offert par l’ambassade américaine. Il savait qu’il risquait la déportation et il a payé pour sa responsabilité.
Dans le Petit Prince, le Renard dit au garçon : "C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante" et ajoute : "Les hommes ont oublié cette vérité. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce qui tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose".
Je pense que la responsabilité est une belle valeur, essentielle à l’intelligence personnelle et éthique. Se sacrifier pour ceux qu’on aime a du sens et Frankl l’a souligné à de nombreuses reprises.
Je suis parfois surpris quand j’entends des patients qui me rapportent les conseils souvent peu prudents de certains thérapeutes quant à des décisions sur l’avenir d’une famille. Un individu seul ou en couple, sans enfants ou sans parents à s’occuper a une liberté et une autonomie indéniable. Lorsque nous sommes responsables d’enfants ou de parents, les choses prennent une autre tournure et les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs...
L’impulsivité, l’égocentrisme et le manque d’Insight peuvent être des qualités dans la créativité par exemple mais en terme d’intelligence émotionnelle ou personnelle ce sont des traits dangereux.
Dans cette optique, je reste persuadé que l’implication des proches dans le diagnostic, l’acception et les thérapies est un élément essentiel et que la solitude du patient face au thérapeute n’est jamais bonne. Cela est d’autant plus vrai que les patients cyclothymiques ne sont jamais les seuls à avoir cette condition dans la famille ou le couple et une fois de plus la France doit rattraper son retard par rapport aux Etats-Unis notamment où des bons spécialistes comme Miklowitz ont proposé des thérapies humaines, créatives et ’globales’ avec l’implication de la famille (Focus Family Therapy)
Tout le monde doit se sentir concerné -pas uniquement le patient- et donc devenir responsable et les tabous concernant la bipolarité ou la cyclothymie doivent disparaître progressivement. Le rôle du médecin ou du thérapeute s’avère extrêmement important dans ce contexte, c’est à lui de guider les personnes vers une compréhension mutuelle pas toujours évidente (désinformation, peur de la maladie, ignorance) et vers le sens de la responsabilité de tous.
La personne qui se sent responsable -cyclothymique ou pas d’ailleurs- modifie naturellement des comportements ou des idées égoïstes et destructrices. Dans ce sens je suis un partisan fervent du "peer engagement" (engagement et formations de patients qui aident et forment d’autres patients) que j’aurai l’occasion d’évoquer ultérieurement.