09 : Scénarios de pensée récurrents
20/11/2010
Témoignages > Bipolarité > Ma dépression
Ce que penserait une personne extérieure de cela, ce que jʼaurais dû faire â la place pour ne pas être dérangé, etc... Cʼest quelque chose dʼinévitable. Jʼai déjâ essayé de me forcer â en faire abstraction, lorsque cela mʼarrivait au beau milieu dʼune conversation ou dans une situation qui impliquait de rester concentré. Mais les rares fois où je réussis â rester focalisé sur le présent, je sens au plus profond de mon être que quelque chose de dérangeant vient de se passer et que je ne pourrais échapper aux ruminations liées â cet instant fatidique plus de quelques minutes, voire quelques secondes.
Une fois que la situation est bien ancrée dans ma mémoire, cʼest alors que se manifeste le pire: la culpabilité. Je me sens alors tellement bête dʼêtre dérangé par de tels détails insignifiants que jʼen ai honte et que je nʼimagine même plus me regarder dans une glace normalement. Parfois, cʼest â ce moment que des bouffées dʼangoisses mʼenvahissent et me laissent des sueurs froides. Comme si rien ne sera plus jamais comme avant, que toute la confiance que jʼavais jusquʼici venait de disparaître â jamais. Jʼen viens â amèrement regretter tout ce quʼil vient de mʼarriver, â me dire que si jʼavais agi différemment, je ne serais pas dans un tel état actuellement. Parfois les malaises sʼaccumulent: je me sens mal, ce qui a pour conséquence dʼentraîner chez moi un moment dʼabsence, ce qui fait que je me déconnecte quelque peu de la réalité parfois dans des situations peu propices, ce qui me met encore plus mal â lʼaise, si toutefois je ne me mets pas â faire le rapprochement entre cette situation et une autre vécue auparavant et qui se trouvait être tout aussi gênante.
Cʼest une réaction en chaîne, je dirais même un véritable cercle vicieux qui se déroule le plus souvent en lʼespace de quelques secondes. Dans ces moments, mon sang ne fait quʼun tour, et si je peux décrire tout cela par écrit, cʼest parce que cela mʼest arrivé tellement de fois que je connais aujourdʼhui le mécanisme par c?ur. Physiquement, je ressens ensuite une grande fatigue, souvent caractérisée par des bâillements jusquʼâ deux ou trois fois par minute. Je pense pouvoir parler ici dʼune véritable fatigue morale: mon cerveau vient de prendre un électrochoc. Je ressent un réel besoin de mʼallonger, de réfléchir profondément, comme pour poser les choses â plat. Bien sûr, cela nʼarrive pas et les choses ne font quʼempirer â force de tourner dans ma tête; toutefois il vient un moment où je sens que je mʼassoupis et que je peux apaiser mon esprit au moins pour quelques temps en me laissant envahir par le sommeil. Ce sont les seuls moments de répit que jʼai lorsque je me sens vraiment mal â lʼaise, ce qui explique sans aucun doute pourquoi je me réfugie alors énormément dans le sommeil.
Cʼest un phénomène récurrent, qui suit cet ordre â peu près â chaque fois, avec de remarquables similitudes quelle que soit la situation envisagée. Toutefois, force est de constater que sur le long terme, dʼautres soucis apparaissent, qui embrument dʼautant plus mon cerveau et mʼempêchent cette fois-ci de définir avec exactitude le cheminement de mes pensées. Jʼentends par lâ que dans les moments les plus difficiles, les blocages sʼaccumulent parfois par dizaines au cours dʼune journée, tous sans aucun lien les uns avec les autres, et que je finis par me perdre dans mes délires. Ils sʼaccumulent au fil des jours, des semaines, et les ruminations qui mʼenvahissent ont alors besoin de repères chronologiques: telle semaine, jʼai fait telle chose qui mʼa causé tel malaise, puis pendant plusieurs jours il nʼy a rien eu de notable, jusquʼâ ce que tout reprenne pendant plusieurs jours â partir de tel instant, ce qui a pris une nouvelle tournure et mʼa gêné de telle ou telle manière...A chaque fois, les séquences que je décrivais plus haut me reviennent en tête, toujours plus persistantes, â laquelle viennent sʼajouter les dernières en date.
Cʼest comme si toutes les séquences dʼun long-métrage étaient montées les unes après les autres dans un ordre le plus cohérent possible pour que ma mémoire puisse sʼy retrouver. Mais, tout comme dans un film, seules les étapes importantes sont retenues pour le montage final. Le reste est rapidement résumé, voire éclipsé. Le souci, cʼest que dans la vie de tous les jours, ces ? éclipses narratives ? sont en fait les plus raccrochées â la réalité et aux situations marquantes. Or, tous mes souvenirs durant de telles périodes sont uniquement raccrochés â ces blocages.
Ainsi, si je devais résumer une semaine durant laquelle je ne me suis pas senti bien, au lieu dʼen garder le souvenir des évènements particuliers de celle-ci, je ne raisonnerais quʼen termes de séquences, de tout au plus une dizaine de secondes. Cela me laisse la sensation très désagréable dʼavoir la mémoire en puzzle. Et quʼâ chaque tentative pour recoller les morceaux, cela ne fonctionne pas car dʼautres pièces viennent sʼajouter jour après jour au tableau final. Il me faudrait une vue dʼensemble, et je nʼai que des bribes. Cela participe activement â me faire sombrer. Ces ruminations se transforment en véritables obsessions, â tel point quʼil arrive un moment où je sature et où les blocages ne peuvent plus sʼaccumuler. Jʼen vient parfois â ressentir un véritable tremblement intérieur, comme une terrible angoisse, alors même que je ne rumine pas mes pensées. Je sens juste que tout va mal, ou que quelque chose dʼhorrible va mʼarriver.