08 : Mon premier RDV, mon bilan clinique
1/01/2009
Témoignages > Cyclothymie > Dear Siobhan
Mon premier rendez-vous était en fait une visite de bilan avec deux psychologues.
Il avait pour but de déterminer si on pouvait massimiler â un bipolaire et si cela était bien le cas, denvisager une prise en charge avec le Docteur Hantouche.
Son cabinet se trouve prêt de la tour Montparnasse dans la partie sud de la ville. Pendant mon trajet souterrain dans les entrailles dun Paris un peu gris et frais, je me suis plongé dans le nouveau Bouquin de Gourion que je métais empressé dacheter le lendemain de la conférence. Je ne voulais pas commencer â cogiter, trop réfléchir? quoi dire? comment expliquer? Monter en neige une angoisse que je sentais déjâ trop â fleur de peau. Il nétait pas question de stresser plus que de raison ni de commencer des monologues explicatifs quil maurait peut-être été impossible dextirper le moment voulu.
Dailleurs les jours qui ont précédé, jen étais venu â me demander ce que jattendais vraiment de ce rendez-vous. Il fallait au moins que je sois clair avec moi-même pour pouvoir quel quen fut résultat gérer laprès. Je devais savoir selon lissue vers quelle direction engager ma démarche. Ce nétait pas de la peur â proprement dite, non en fait je me demandais si mes prétentions par rapport â tout ça nallaient pas au delâ des outils que pouvaient mapporté les thérapies. Quels étaient mes véritables motivations et désirs ? Lorsque lon franchi la frontière du diagnostic, que lon rentre alors dans le moule de la pathologie cela peut devenir une arme â double tranchant. Il aurait été risqué alors de baisser la garde ou encore de facilement me reposer sur cette condition pour expliquer tout et nimporte quoi. Je restai concentré dans mon livre pour me maintenir aussi décontracté que possible tout en marquant dun coup doeil rapide chaque arrêt.
Station ? rue de rennes ?, après un balayage panoramique en sortant de la bouche de métro, je localisais rapidement lentrée du 117, elle est dans langle opposée â lintersection de lavenue Raspail. A nouveau â lair libre, je regardais ma montre 18h15. Je venais de passer 1heure â répondre â des salves de questions comme sur un pelletons dauscultation. Tu nas pas lair trop chamboulé, me suis-je dit en allumant une cigarette. Non effectivement, dans ces locaux assez chics et bourgeois, je me suis surpris et jai même amusé mes deux interlocutrices avec des remarques détachées, un peu teintes dun humour pinçant.
Consciemment ou par habitude je nai pas voulu fataliser mais juste pointer mon ressenti. Jai essayé de dédramatiser et décoincer latmosphère un peu trop psycho compassé que cette première rencontre aurait pu prendre. Jai, je pense néanmoins, dit lessentiel : la très grande souffrance interne et limpuissance face â linexorable destruction du sentiment de contrôle de sois, la perte de mon hygiène mentale?
Jai dû parfois me retenir pour ne pas déborder car elles nétaient lâ que pour tenter de jauger linsondable capharnaâžm interne. Je pensais encore â ce moment-lâ que le véritable réceptacle du fluide de mes tourments était le Dr Hantouche et non ce premier mais incontournable passage dans lentonnoir. Je nétais donc pas vraiment chamboulé car je navais pas vraiment eu limpression de rentrer dans le fond, javais juste passé une interminable évaluation par le jeu de questionnaires où lon ne peut concrètement répondre par "oui" ou par "non". Elles mont au final demandé de repasser Vendredi suivant le 19 Octobre â 17h pour la consultation concrète, celle que jattendais avec le spécialiste.
Rentrer ce soir-lâ fut plus long que dordinaire. Un colis suspect â Châtelet les Halles avait enrayé le trafic, la station entière avait dû être évacuée. Aucun train ni métro ne marquaient larrêt, Il maurait fallu faire des tours et détours, enchaîner les correspondances â travers des dédalles souterrains. Lair â la surface était passé de frais â rafraîchissant, jai préféré marcher. Jai aimé plus que les autres jours arpenter les rues de Paris. Peut-être cela venait-il du fait que mentalement javais franchi une étape, ou du sentiment que jallais trouver enfin une aide appropriée ou simplement de latmosphère du début automne Parisien. Cétait probablement tout â la fois.
Jappréciais cette rassurante sensation dêtre invisible dans la foule. Ma démarche restait calme et apaisée. Dans un tintamarre de moteurs et de klaxons, je percevais les brides de conversations, lentremêlement de rires, de cris, de sanglots parfois, des piétons que je croisais, esquivais et dépassais. En allant dune rive â lautre, de gauche â droite, je passais sur les jupes tamisées des ponts sous lesquelles tous les étés glissent en vas et vient, â la queue leu-leu les bateaux-mouches bondés de touristes. La capitale est une ville qui palpite, qui grouille, un bouillonnement de vie alors la nuit lorsque lobscurité rabat son couvercle elle devient kaléidoscope, les rues silluminent dartifices, elles prennent feu en rouge orange et vert, en néons de milles couleurs aux vitres, en guirlandes rouges et blanches des files de voitures qui dévalent â tout sens. Comme dhabitude â cette heure de la journée entre les façades des monuments éclairés cétait la pagaille des carrefours aux ronds-points engorgés. Les bouches de métros recrachaient â intervalles réguliers des milliers de têtes pleines â rebords des soucis de leurs durs labeurs. Dans la masse, on pouvait détailler cas et lâ des sourires, des grimaces, ou les traits graves et concentrés de ceux qui conversaient seul le regard dans le vide, accrochés â leurs appendices cellulaires.
Abrité par lanonymat je moubliais et sans crainte du naufrage je naviguais sereinement dans cette tempête avec pour seul repère au dessus de ma tête le faisceau lumineux de la tour Eiffel qui tel un phare balayait dune trame jaune un ciel gris et opaque.