Dans le temps, on parlait de la PMD ou Psychose Maniaco-Dépressive.
Au début des années 60, l'entité psychose maniaco-dépressive a été divisée en 2 sous-entités : troubles bipolaires (BP) et unipolaires (UP).
C'est la présence des épisodes de « Manie » qui est le marqueur des troubles bipolaires. Depuis cette dichotomie de la psychose maiaco-dépressive, la définition de la bipolarité ne cesse de changer. Actuellement, la présence de « Manie » caractérise le « trouble bipolaire type I ».
À côté de cette forme clinique classique, il existe d'autres formes de bipolarité qui constituent le « Spectre Bipolaire Atténué ».
Les signes de la bipolarité
On parle de « bipolarité » quand les épisodes dépressifs sont associés à des éléments de polarité opposée à la dépression.
Ce sont des manifestations cliniques qui sont opposées à la polarité dépressive : excitation, accélération, intensité, hyperactivité, jovialité, exaltation… qui sont à l'opposé de la tristesse, ralentissement, désintérêt, anhédonie, émoussement… (signes typiques de la dépression).
Signes dépressifs | Signes (hypo)maniaques |
Dans un épisode (hypo)maniaque ou dépressif typique, l'ensemble des dérèglements (humeur, pensées et comportements) se fait vers la même polarité ou direction. Par exemple, le bipolaire est euphorique, hyperactif, parle vite et fort de plusieurs sujets en même temps et ne dort que peu. Ce cas est une hypomanie « pure » ou typique. Dans une dépression « pure », le jeune paraît triste, lent dans ses gestes et paroles et pense qu'il est nul.
Cependant, les dérèglements maniaques et dépressifs peuvent se superposer et co-exister au sein d'un même épisode. Ils forment ainsi un "Etat Mixte" qui est habituellement plus fréquent chez les jeunes que chez les adultes. Schématiquement, on peut observer deux types d'états mixtes :
Les manifestations (hypo)maniaques peuvent survenir dans des épisodes comme :
ou dans des traits persistants de la personnalité su sujet, comme :
Il s'agit d'épisodes de courte durée (de quelques heures à une semaine, rarement plus) caractérisés par une hyperactivité et un engagement excessif dans des activités agréables. Le sujet est plein de projets. Il présente une nette augmentation de la confiance en soi avec des idées de grandeur. Son besoin de sommeil est réduit sans se sentir fatigué. La pensée et le discours sont accélérés avec une fuite des idées, qui peuvent paraître illogiques (du coq à l'âne). L'humeur est exaltée, euphorique, parfois irritable et colèrique.
La plupart des études ont révélé que la dimension centrale de l'hypomanie était davantage comportementale qu'émotionnelle ; ainsi l'hyperactivité domine sur l'exaltation euphorique. L'entourage note le contraste entre ces épisodes et le fonctionnement habituel du sujet et s'inquiéte.
En revanche, le sujet vit souvent ces épisodes comme des expériences agréables et consulte rarement dans ces périodes. La demande de soins est plus fréquente en phase dépressive. En effet, le sujet dans la phase hypomaniaque se sent rarement être malade ; en fait, cela s'explique par certains aspects positifs de l'hypomanie (encadré)
La cyclothymie ne correspond pas à un trouble bien caractérisé du fait de l'absence d'épisodes majeurs. Elle peut être définie comme :
Ainsi défini, le tempérament cyclothymique est donc une « nature » et pas nécessairement un trouble. Pour parler de trouble, il est exigé qu'à cause de cette instabilité émotionnelle et énergétique que le sujet présente des complications dans sa vie sociale, familiale et/ou professionnelle. Ainsi, la plainte la plus fréquente des sujets cyclothymiques concerne des conflits interpersonnels ou des épisodes dépressifs. Par ailleurs, la cyclothymie est présente chez la moitié des sujets souffrant de troubles anxieux, comme le TOC, le Trouble Panique ou la Phobie Sociale. Le tempérament cyclothymique agit en intensifiant la réactivité du sujet, sa sensibilité au rejet et aux contraintes mineures de l'extérieur. Il augmente ainsi l'intensité et la durée des réactions émotionnelles négatives. Cette hyper-réactivité est déjà visible dès l'enfance. Une équipe de recherche a pu montrer chez les enfants des patients bipolaires la présence d'une telle réactivité.
Il y a confusion diagnostique entre une « forme atténuée de la bipolarité » (pour rappel, la cyclothymie fait partie de ce spectre) et des « traits morbides de la personnalité ».
L'importance est de pouvoir repérer au sein des personnalités pathologiques (notamment l'Hystérie, le Borderline, la Psychopathie…), la vraie nature de la souffrance qui est en fait un dérèglement spécifique de l'humeur.
Le diagnostic de Trouble de Personnalité Borderline ou Etat Limite abonde actuellement chez les experts non convaincus de la réalité du spectre bipolaire atténué ou cyclothymie. Il s'agit d'une personnalité caractérisée par un mode général d'instabilité des relations interpersonnelles, de l'image de soi et des affects avec une impulsivité marquée, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins cinq des manifestations d'une liste de neuf (tableau). Il apparaît clairement que ce trouble sévère de la personnalité est souvent associé à la cyclothymie. Plus de 75% des Borderlines seraient également des cyclothymiques.
Plusieurs troubles comportent une forte comorbidité bipolaire : les troubles anxieux (50% des TOC, 20% du trouble panique), les troubles des conduites alimentaires (90% des boulimiques), les troubles de la pesonnalité borderline (75%), les abus de substances (40%) et le trouble dysmorphie corporelle (45%). Il n'est donc pas étonnant que la bipolarité atténuée soit découverte dans des troubles variés et que le dépistage devienne systématique, notamment avant la prescription des antidépresseurs.
Mlle L., 20 ans, envoie un e-mail pour nous parler de ses sauts d'humeur : « Je trouve que je suis assez "moody" comme fille. J'ai deux cycles: le premier que je nomme "up" ou "high", et le second que je nomme "down". Il est donc clair que je ne suis jamais "normal", je suis toujours extrêmiste et j'ai jamais eu un juste milieu. Si on passe à la description de mes deux cycles, je dirai que dans mes momments "high" je sens que tout est possible, je fais mille choses en même temps et presque tout ce que je fais dans ce cycle est réussi à merveille. Dans mon deuxieme cycle "down", je me sens affaiblie et nulle et je dois fournir un grand effort sur moi-même, mais quand même j'arrive à trés bien étudier. Je suis dans ce cycle d'une humeur calme, je ne parle pas beaucoup, je suis triste, mais en parallèle, je remarque et j'analyse tout ce qui se passe devant moi. Dans ce cycle, je suis aussi trés sensible à TOUT. Dans ce cycle, j'arrive à accomplir de trés jolies choses, mais au prix d'une grosse fatigue. Dans ce cycle, les émotions dominent et tout me fait pleurer ou rire à la folie. Si vous me demandiez qu'est-ce qui me fait changer d'humeur, je ne saurai pas encore vous répondre ? Je pense encore à cette question chiante! Je crois que ce sont de trés petits événements qui me font flipper d'un mood à un autre et ça prend donc peu de temps pour passer du high au down et vice versa. Bref, ça c'est moi... »
Mlle S., 32 ans, demande une consultation en raison d'un mal être profond associé à des problèmes physiques : un poids complètement instable, des vomissements compulsifs allant jusqu'à 10 à 15 fois par jour. Elle présente d'autres problèmes d'argent (boulimie qui coûte énormément, achats compulsifs), des problèmes professionnels : manque de concentration, de mémoire, de motivation (j'ai déjà du mal à me battre contre moi-même côté maladie, alors contre un boulot débile, encore moins…), des problèmes d'estime de soi (Je me sens nulle, sans aucune conversation intelligente). Bref, avec tout ça, elle se résume à un véritable déchet. Elle a beau faire preuve d'énormément d'optimisme (je ne serais plus de ce monde si tel n'était pas le cas), tous ses efforts (qui sont de l'ordre quotidien) s'avèrent vains (je vais d'illusions quand ça va mieux en désillusions aux moments les plus faibles).
En somme, elle va très mal depuis des années. Les périodes d'optimisme intense sont vite suivies de périodes à pente descendante, et là c'est un véritable désastre : J'ai une forte tendance à m'isoler quand je ne vais pas bien. Malgré tout, je me prends en main en participant à des activités, soirées, ceci afin d'éviter de rester enfermée chez moi. Inutile donc de m'imaginer enfermée chez moi à me morfondre dans mon coin, je me remue bien au contraire, mais les résultats en face ne sont que fantômes.
Arrivant à un stade totalement désemparé et désespéré, elle est parvenue à se convaincre du fait de reprendre un suivi médical, au risque de véritablement sombrer. Elle consulte un médecin nutritionniste qui la suivait avant. Mlle S. a compris que la boulimie dont elle souffrait était liée à un autre élément. En effet, il peut m'arriver d'alterner des périodes amélioratives et des périodes très néfastes, avec l'état mental qui suit la même pente.
Après analyse approfondie, Mlle S. est convaincue qu'elle souffre de cyclothymie dans laquelle les états extrêmement mélancoliques sont associés à une forte intensité des crises de boulimie et d'idées noires. En revanche, ces crises sont nettement atténuées en phases hautes et optimistes.Depuis une période de 3 mois avant sa consultation au centre, Mlle S. ne cesse d'accentuer ses crises de boulimie avec une forte tendance à consommer de l'alcool, même seule, et à fumer énormément.
La prévalence de la forme classique (ou BP-I) a été longtemps estimée à 1 % de la population générale (soit plus 600 000 patients en France) et celle du trouble BP-II à 0,5 %. Ces chiffres seront nettement réévalués à la hausse pour atteindre, dans les enquêtes plus récentes, des seuils compris entre 5 % et 8 % de la population générale.
Les divergences au sujet des chiffres de prévalence de la bipolarité peuvent s'expliquer par de multiples facteurs :
Dans une enquête récente, la plus large au monde (plus de 80 000 sujets inclus), il a été montré qu'environ 3,8 % de la population générale américaine serait atteinte de trouble bipolaire, BP-I et BP-II et seulement 18,2 % des bipolaires ont été correctement détectés, 41,4 % mal diagnostiqués et 40,5 % jamais diagnostiqués.
Les enquêtes portant sur des cohortes de patients consultant en psychiatrie ou en Médecine Générale, ont confirmé la fréquence élevée de la bipolarité en révélant qu'environ 27 à 65 % de l'ensemble des dépressifs majeurs qui consultent, seraient des bipolaires, surtout des BP-II. Trois enquêtes récentes réalisées en France dans une population de 2500 patients avec des dépressions récurrentes ou résistantes, ont révélé que la fréquence du trouble BP-II est estimée à 65% !
L'épidémiologie ne se limite pas aux chiffres relatifs de la fréquence d'un trouble mental. Elle est également utile pour évaluer l'impact d'un trouble par rapport à un autre trouble ou par comparaison aux cas témoins ne souffrant pas de troubles mentaux. Mis à part les problèmes de définition du spectre BP, le fardeau psychosocial de la bipolarité est plus sévère que celui des dépressions récurrentes. Des complications sont observées au niveau relationnel, professionnel et financier. De plus, des comportements à risque (conduire en vitesse, bagarres fréquentes, crimes mineurs, fausse délinquance, abus de substance) sont plus fréquents. À cela viennent s'ajouter d'autres caractéristiques de la bipolarité, comme l'âge de début plus précoce, le risque suicidaire plus important (de 25 à 60 %), l'absentéisme professionnel plus fréquent et la qualité de vie plus altérée. Autant d'éléments qui justifient un repérage précoce et une thérapeutique appropriée de la bipolarité atténuée.