01 : Nous ne savions pas que nous étions bipolaires
31/12/2008
Témoignages > Amour, sexe, couples > Couple bipolaire
Quand Stéphane et moi nous sommes rencontrés, ni l’un ni l’autre ne savions que nous étions bipolaires. Le hasard des statistiques ? Huit pour cent de la population, c’est effectivement beaucoup. Des affinités dues à la maladie et perçues au cours de nos longues nuits de discussion sur internet ? La fameuse hypersensibilité qui transparaissait dans nos voix se répondant dans le noir des chaudes nuits de l’été de la canicule ? Possible. Très possible.
Toujours est-il que quelques temps après, je l’attendais en gare du Nord. Son train arrivait vers midi, vite, pas une seconde à perdre, il fallait trouver un lit. En effet, les circonstances faisaient que j’avais dû quitter précipitamment la maison que j’habitais et me reloger en urgence. Mes meubles étaient stockés jusqu’en septembre et il me fallait racheter un minimum en attendant. Je dormais provisoirement sur un petit matelas de jardin prêté par mes propriétaires et amis.
C’est ainsi que nous partîmes pour notre première équipée Ikea. Beaucoup d’autres suivraient, j’avais des économies. L’idée était de trouver un canapé-lit confortable, Stéphane souffre de spondylathtrite ankylosante. Je suis très difficile sur le confort des canapés et je voulais le mieux pour mon chéri. La zone commerciale que je visais était à l’opposé de la gare et l’Ile de France, c’est grand. Et puis avant Ikea, je fis quelques arrêt dans d’autres enseignes. Nous nous amusions comme des fous. Stéphane est beaucoup plus jeune que moi. Hé oui, les critères de choix quand on se rencontre via internet sont bouleversés. Alors dans le même magasin, il passait du statut de fils capricieux qui voulait le dernier modèle de souris à l’amant qui me pelotait sous le regard amusé ou choqué des vendeurs. J’achetais, nous riions.
Il était donc fort tard lorsque nous entrâmes chez Ikéa et essayâmes tous leurs canapés. Un modèle trouva grâce à nos délicats derrières, plus évidemment d’autres bricoles comme luminaires, rangements et chevets, le nid se devait d’être douillet. Nous fîmes la fermeture. Un vendeur compréhensif chargea la voiture et arrima le canapé sur le toit.
Une fois devant mon nouveau logement, se posa un problème : comment transporter le canapé à l’intérieur ? Aucun de nous deux n’y avait songé. Stéphane n’est pas plus grand que moi et surtout son handicap ne lui permet pas de porter de charge. Et me voilà aux alentours de minuit, dans la rue, comme une c***e. Coup de chance extraordinaire, passe un monsieur. Moi, si timide d’ordinaire, qui me pendrais plutôt que demander un service, je l’aborde pour lui demander son aide. Ne reste plus qu’à déballer la chose et à monter ce qui ne l’est pas.
Il est une heure du mat, nous sommes épuisés mais prêts quand même à étrenner notre couche. Au moment crucial, je veux dire presque limite trop tard, j’ai un éclair de lucidité : tu as des préservatifs ? Bien non, ni lui ni moi. Commence alors une équipe sauvage dans la nuit déserte par quarante degrés. Hagards, la Kangoo presque à sec, les pieds nus et peu vêtus, sales et ruisselants, nous tournons dans les quartiers chauds (en plus lol) pour trouver un distributeur. Nos porte-monnaie sont presque vides. Bien évidemment, au petit matin, la fine équipe s’endormait sans consommer.
Pendant deux mois ce fut un rythme échevelé. Stéphane était ravi. Moi aussi. Je ne me reconnaissais pas. J’étais dans un état de bonheur voire d’euphorie permanent. Pourtant, je venais de perdre brutalement mon précédent compagnon. J’aurais dû être effondrée. Hé bien non. J’étais la plus heureuse des femmes. Active et communicative comme jamais je ne l’avais été. Bien sûr, par moments, je perdais mon calme. Je n’avais plus de patience. Cà se passait dans les magasins, que je fréquentais beaucoup, comme je vous l’ai dit. S’il y avait la moindre file d’attente, si un vendeur me renseignait mal, j’explosais. Je racontais alors la mort de Thierry, avec tous les détails, à qui ne voulait pas l’entendre. J’avais en permanence sur moi mon portable et Stéphane le sien et dans ces cas là je l’appelais, lui seul pouvait me calmer.
L’appartement que j’avais loué était le rez-de-chaussée d’une maison, dans une rue calme de Vitry-sur-Seine. Les propriétaires étaient des camarades du syndicat qui avaient eu une opportunité incroyable et acheté deux maison accolées avec cour et jardin. Ils s’étaient réservé une des maisons et louaient la maison accolée, divisée en deux appartements. Je profitais de la cour. Très vite, je l’ai transformée en véritable jardin. Avec table, parasol, banc, grimpantes, une merveille. Pour l’intérieur, j’eus des projets grandioses : une ouverture en forme de hublot, abattre une cloison. Le propriétaire et camarade me regarda un peu bizarrement mais ne dit rien. Mes parents, devant mon coup du sort, avaient vaguement parlé de m’aider à acquerir une maison, puisque j’avais été si heureuse de vivre dans une maison avec Thierry, qu’ils aimaient beaucoup. J’adorais mon nouvel appartement, très lumineux, très calme, dans ce mignon quartier tranquille, ma cour-jardin. Je harcelai mes propriétaires pour qu’ils me le vendent. Ils firent le gros dos. J’appris plus tard que la femme de Philippe avait détecté chez moi là ? maniaco-dépression ?. Sans rien m’en dire, la gar** ! Bref ! Mon psychiatre non plus, d’ailleurs, le malhonnête ! Mais lui me donna un thymorégulateur. Et vint la dépression.
