La cyclothymie chez les jeunes
31/12/2007
Bipo / Cyclo > Bipolarité infanto-juvénile > Diagnostic
La cyclothymie démarre très tôt dans la vie
Il est impossible qu’un patient cyclothymique ne présente pas dans son enfance de signes spécifiques et évocateurs. C’est une observation systématique dans mon expérience clinique qui a fait l’objet d’un livre paru récemment que j’ai écrit avec l’aide des mères de jeunes enfants cyclothymiques*.
L’idée principale est de constater que, contrairement à la BP de l’adulte (typiquement épisodique avec des épisodes bien nets), la bipolarité juvénile est essentiellement de nature cyclothymique ! De plus, c’est un trouble rarement porté par les pédopsychiatres. C’est simple, pour eux, ce trouble n’existe pas avant l’âge de 15 ans !
Cas de Romain
Romain consulte à 7ans 1/2 à la demande de ses parents décontenancés par son comportement. ’Depuis toujours, il vit dans son monde qui n’est pas celui du quotidien. Il est dans la lune, il peut se coucher tout habillé ou partir à ’école pieds nus ’. Il savait lire les lettres à 18 mois. Depuis qu’il a acquis la lecture, son comportement s’est aggravé. Il lit sans arrêt. Il interrompt ses occupations pour lire (s’habiller, se nourrir ), il refuse de dessiner.
Romain casse et détruit tout ce qui lui appartient. Il a pour habitude de déchirer tous les papiers qu’il peut trouver en mille morceaux. Sa chambre est remplie de confettis. Il amasse et ramasse tout ce qu’il trouve: : vieux papiers, emballages, nourriture.
A l’école, il n’a pas de copains . Il est le ’bouc émissaire’,celui dont tout le monde se moque . A ’occasion de son anniversaire,il a invité des enfants de sa classe,15’ plus tard,c’est son père qui s’en occupait :’les autres ça ne m’intéresse pas,ça m’encombre ’.
Romain a un frère de 2 ans son cadet. Il fait montre à son égard d’agressivité impulsive :il a essayé à deux reprises de l’étouffer à ’aide d’un coussin, essaie de lui faire ingurgiter des médicaments, le fait tomber dans le désherbant ou le barbecue, le fait jouer avec des allumettes dans le garage à coté des bidons d’essence. Il le manipule pour qu’il fasse les bêtises qu’il hésite à faire.
Romain dort très peu. Le soir, la tension monte. Il se relève dix fois pour de multiples raisons et ne s’endort que vers 23 heures pour se réveiller à 6h du matin.
Il est très exclusif vis-à-vis de ses parents ou de son institutrice, "prête à craquer". Il harcèle ses parents des heures entières pour regarder la TV ou obtenir un jouet .’Il veut tout ,dit sa mère et même encore plus. Au supermarché, il insiste pour qu’on lui achète des chaussons, sa mère ne cède pas, de retour à la maison, il saute dans la fosse septique avec ses chaussons ...
Au fil du temps (9 ans),Romain devient de plus en plus violent et agressif, voire dangereux vis-à-vis de son frère . Il pique de violentes colères inexpliquées :c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher. Il a ’explosé’ les portes de la maison,mets ses vêtements en charpie. Ses parents de plus en plus désemparés craquent et ’enferment dans sa chambre lorsqu’ils ne peuvent le surveiller. Il a descellé le radiateur de sa chambre, démonté la fenêtre et urine régulièrement dans des bouteilles qu’il cache dans ses jouets .
A ’école, il exhibe un hématome, accusant ses parents de mauvais traitements, ce qui ne manque pas d’alerter les instances concernées qui saisissent la justice et déclenchent la procédure idoine . A ’occasion, il déclarera: J’irai raconter des mensonges au juge’.
Parce que Romain sait susciter ’ire et ’agacement, comme jouer de séduction et de persuasion Doué d’une intelligence précoce, il sait user de son charme et laisse son interlocuteur partagé entre sa présentation et le discours de ses parents. Lors de l’évocation de ses excitations, Romain est ’aux anges’. Aucune culpabilité ne transparaît, il prend grand plaisir à évoquer ses hauts faits.
Paradoxalement, il peut se montrer calme dans les jours précédant Noël ou son anniversaire invalidant la thèse du ’c’est plus fort que moi’. Lorsqu’il passe un bon moment avec ses parents ,il se montre encore plus odieux, agresse son frère sexuellement et déclare: ’Il me faudrait un robot, je me sentirais moins seul’ .
Dans la famille, on note un GPM qui souffre d’un TOC de vérifications à la limite du délire, un oncle maternel polytechnicien ’déconnecté’ avec rituels d’accumulation, une mère dépressive.
La bipolarité juvénile nʼest pas la bipolarité adulte
La cyclothymie commence à un âge assez jeune, souvent avant la puberté. Et cela exige une nette vigilance des psychologues et psychiatres qui s’occupent des enfants. Cela dit, la cyclothymie, comme la BPJ, a sa propre sémiologie, qui est différente de la bipolarité des adultes jeunes (cf. encadré : critères de la BP juvénile)
avec plusieurs des phénomènes suivants
- Prédisposition à la colère
- Hyperactivité anxieuse
- Impulsivité
- Conduites à risque
- Troubles de l’attention
- Comportements combatifs
- Mauvais sommeil
- Troubles du jugement
- Pensées morbides, obsessionnelles
- Comportement tyrannique
- Hallucinations, idées délirantes
- Hyperactivité sexuelle précoce
- Sensorialité excessive
- Phases dépressives
- Histoire familiale de bipolarité
- Virage ou aggravation par un psychostimulant (Ritaline, Concerta)
- Virage ou aggravation par un antidépresseur
Extrait du livre ’Cyclothymie: Troubles Bipolaires des Enfants et Adolecents au Quotidien’, J Lyon, 2007
Probablement le vrai progrès dans les troubles bipolaires serait simplement le dépistage le plus précoce de la cyclothymie. Etre capable de la repérer chez les jeunes est une étape capitale. Donc la reconnaître avec ses expressions spécifiques et mettre en place sans trop tarder les mesures psychologiques et éducatives les adaptées pour les jeunes cyclothymiques.
Le cas de S., 13 ans
Cʼest un adolescent qui présente des difficultés d’apprentissage et des troubles émotionnels et du comportement, assez sévères et difficiles à cerner par son pédopsychiatre.
Il s’agit d’une précocité intellectuelle avec facilité extrême dans certaines activités sportives et extrascolaires.
Très investi par le père dans ses qualités exceptionnelles. Difficultés anciennes et non détectées d’apprentissages qui sont compatibles avec un trouble d’apprentissage du langage écrit de type visuo-attentionnel.
Désinvestissement précoce de la scolarité devant les difficultés d’apprentissage.
Désinvestissement amplifié par la facilité dans les autres domaines et l’intolérance à la frustration et à l’effort.
Présence d’une symptomatologie d’hyperactivité, d’impulsivité et d’inattention particulièrement importante en situation d’apprentissage dès la petite enfance, mais plutôt généralisée.
Présence d’un tempérament cyclothymique avec fluctuations de l’humeur et crises d’anxiété mais fortement liées à la perception de sa valeur (effondrement dépressif et narcissique devant les difficultés scolaires, exaltation devant ses capacités sportives et amicales).
La symptomatologie thymique semble s’être amplifiée depuis l’adolescence en coïncidence avec la séparation violente des parents. Conflits violents avec la mère (qui présente une hyperréactivité émotionnelle et une probable hyperactivité) et le frère (jalousie importante autour de la relation au père). Adolescents très attachant mais dont on perçoit la labilité de l’image de soi.
Bilan intellectuel : WISC IV: ICV : 114, IRP : 102, MdT: 85, VdT : 121, Tot 110. Les notes finales ne sont pas révélatrices du potentiel de S. car il existe une dimension anxieuse importante avec des enjeux importants autour de la notion de précocité intellectuelle très investie (enjeux de filiation ; obligation à l’exceptionnalité).
Présence d’une difficulté de réalisation praxique (vitesse de traitement, difficultés attentionnelles) qui le déstabilise et le met en colère avec un sentiment d’injustice.
Eléments d’impulsivité avec intolérance à l’attente.
Conners parents : TDAH mixte avec éléments oppositionnels (Opposition : 82 percentile, Inattention : 69 percentile, Hyperactivité : 70 percentile, Index global : 73 percentile).
Conners enseignants : Eléments d’hyperactivité mais limités : Hyperactivité : 62 percentile, Index global : 67 percentile) : mais connaissance limitée du jeune (changement de classe en début d’année).
CPT : éléments d’inattention avec dégradation de la réponse devant le ralentissement des stimuli et la prolongation de l’évaluation (réduction de vigilance). Sebastien semble avoir besoin d’un rythme très soutenu de stimuli pour bien fonctionner. Ex : conduire un kart de compétition qui nécessite une attention soutenue prolongée mais avec un rythme de stimulation très élevé.
Questionnaire de tempérament cyclothymique : 22/25 (commentaire : ˮça c’est moiˮ).
ATCD familiaux : Mère et oncle maternel présentant un profil de dysrégulation émotionnelle (cyclothymie ? bipolarité attenuée ? hyperactivité ?). Père ayant présenté une précocité intellectuelle. Frère ainé présentant un trouble des apprentissages associé à des éléments dysexécutifs.
Adolescent présentant un tableau complexe caractérisé par un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et une dyslexie visuo-attentionnelle sévère avec retentissement fonctionnel et dévalorisation. Ces éléments cliniques s’inscrivent sur un tempérament cyclothymique (avec surtout des moments d’hypomanie sans symptomatologie dépressive organisée). Son intelligence très vive est actuellement limitée par une importante anxiété de performance et une intolérance â la perception de ces difficultés d’apprentissage avec une très mauvaise régulation narcissique (entre hauts et bas non modulés).
Il existe une familiarité au niveau d’une certaine dysrégulation émotionnelle qui pose la question chez ce jeune d’une bipolarité juvénile amplifiée probablement par des relations intrafamiliales peu modulées.
Malgré ces descriptions précises des manifestations de la cyclothymie, une majorité des experts et des psychiatres se posent pas mal de questions sur la terminologie de la cyclothymie, sur ses définitions dans les manuels officiels de classification des maladies, ainsi que sur sa place dans la nosologie actuelle.
