Pourquoi diagnostiquer et traiter une bipolarité juvénile ?
Les connaissances scientifiques actuelles ainsi que lʼexpérience clinique démontrent que les troubles psychiatriques trouvent souvent leurs racines dans lʼenfance. Les parents dʼenfants bipolaires finissent toujours par nous dire quʼà leur âge, ils étaient en quelque sorte pareils. Ils avaient les mêmes manifestations que leurs enfants, que lʼintensité soit la même ou quʼelle soit moindre. Même si les formes que peut prendre le trouble bipolaire durant lʼenfance peuvent être différentes de la forme adulte, même si nous assistons parfois à lʼapparition de quelques symptômes non suffisants pour diagnostiquer lʼensemble de ces manifestations. Aussi jeunes et hétéroclites soient-elles, ces manifestations doivent être prises en compte et nécessiter une intervention pour éviter lʼaggravation des symptômes et tenter dʼapporter un meilleur pronostic à lʼévolution du trouble.
Les principales manifestations de la bipolarité durant lʼenfance
1- Des changements brutaux dʼhumeur/une labilité émotionnelle permanenteLʼenfant présente des réactions émotionnelles disproportionnées. Son humeur change très vite, parfois sans raison patente dans lʼenvironnement. Il alterne de manière extrême, entre différents états :
des moments dépressifs : avec des symptômes comme la tristesse, le ralentissement psychomoteur, et parfois la présence dʼidées noires voire morbides et suicidairesdes moments hypomaniaques : avec euphorie, tachypsychie, majoration de lʼénergie, logorrhée, impulsivité, hyperactivité. Cet état est généralement très épuisant pour lʼentourage des moments mixtes : où soit il est à la fois triste avec une tension importante dans son corps, soit il est ralenti dans son corps, mais sa tête tourne à toute vitesse des crises de colère explosives qui peuvent durer plus dʼune demi heure avec comportement auto et hétéro agressifs, déclenchées souvent par des situations de changement, dʼimprévu ou dʼintolérance à la frustration Ces variations thymiques ne sont pas nécessairement visibles et se traduisent parfois par des comportements dʼimpertinence, dʼagitation, de refus de faire ses devoirs etc.
Nous notons également dans certaines formes cliniques, la présence dʼune labilité émotionnelle constante (non épisodique) dès la plus jeune enfance (généralement vers lʼâge de 6 ans) avec lʼapparition de comportements problématiques durant lʼadolescence (vers lʼâge de 15 ans)
2- Des difficultés de tolérance et de régulation de la frustration3- Des difficultés dʼendormissement et de réveil (avec énergie et excitation le soir et fatigue et difficulté à émerger le matin) 4- Des comportements problématiques comme lʼopposition systématique, la provocation, le refus de lʼautorité5- Des troubles comorbides (qui parfois dominent le tableau clinique) comme le TOC (trouble obsessionnel compulsif), le TDAH (trouble de déficit de lʼattention avec hyperactivité), le trouble de lʼanxiété de séparation, la phobie scolaire, lʼémétophobie (obsession du vomi) etc. Lʼintérêt pour la bipolarité juvénile, un intérêt récent ?
Malgré la description dʼEsquirol, dès 1838, de manie chez des enfants dʼâge scolaire, et celle détaillée de Kraeplin, dès l899, de cas de dépressions et de manies chez des enfants et adolescents, on a longtemps considéré que le trouble bipolaire apparaissait vers lʼâge de 20 ans et très rarement chez les jeunes de moins de 12 ans.
Lʼintérêt récent pour la bipolarité chez lʼenfant, que lʼon a très longtemps considérée comme rare, a débuté de manière plus explicite, notamment en 1997. Barbara Geller publie cette année-là un article dans une revue scientifique spécialisée (journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry) qui récapitule sur les 10 dernières années, les connaissances sur le sujet. Le succès est retentissant et relance lʼintérêt des chercheurs, sachant que des études très sérieuses ont été publiées dans les années 80 (Gammon ; Joyce)
En 1999, Demitri et Janice Papolos publient le livre « The Bipolar Child ». Lʼouvrage suscite un véritable intérêt médiatique, permettant ainsi de faire connaître le trouble. De plus, les données épidémiologiques révèlent que les troubles bipolaires débutent dans plus des deux tiers des cas, avant lʼâge de 18 ans. Cʼest à partir de ce moment, que ses résultats suscitent lʼémergence de nombreuses nouvelles recherches dans ce secteur. Pour Joseph Biederman, un pédopsychiatre américain dont les travaux ont beaucoup porté sur la bipolarité chez les jeunes, elle peut apparaître à la naissance « dès que lʼenfant ouvre les yeux ».
La nécessité dʼintervenir sans trop tarder
On considère aujourdʼhui que le trouble bipolaire à début précoce est sous diagnostiqué (Biederman ; Gammon ; Papolos ; Hantouche ; Faeda ), sachant quʼune recherche spécifique de ce diagnostic aboutit à une majoration de sa prévalence au sein des services de pédopsychiatries (Gammon). La bipolarité étant un trouble chronique, et peut-être le trouble psychiatrique le plus fréquent chez les jeunes (Isaac), il faut repérer et identifier les enfants à risque, intervenir jeune pour prévenir lʼembrasement du cerveau ou le phénomène dit du Kindling (développé par le Dr Robert Post) - ou le retarder au maximum.
Plusieurs études démontrent le lien entre lʼâge de début et la sévérité de la maladie bipolaire :
rétrospectivement : plus dʼépisodes, plus de comorbidités, plus de cycles rapides sans oublier lʼimpact négatif psychologique et socioprofessionnel ; prospectivement : plus de manies sévères, de dépression et moins de jours où la personne se sent bien). En outre, plus la bipolarité apparaît jeune, plus le délai dʼaccès au premier traitement est long, estimé en moyenne à plus de 16 ans, de temps !!! (Leverich)
La bipolarité juvénile est un croisement entre une disposition génétique et un environnement source de stress régulier qui pourrait précipiter lʼapparition du trouble; travailler sur la partie « stressante » pourrait permettre à lʼenfant de se développer de manière plus saine.
Le premier mode dʼintervention serait, selon Kiki Chang, la psychothérapie. Cʼest «
lʼoutil indispensable N° 1 ». Elle serait à visée prophylactique essentiellement. La pharmacologie est parfois nécessaire ainsi que la psychoéducation pratiquée avec les parents. Les parents sont ainsi informés sur les changements dʼhumeur et sensibilisés à leur régulation ; il est également important de diminuer le stress quotidien et/ou de travailler sur lʼamélioration des stratégies pour y faire face. La thérapie familiale sʼavère un outil de taille. Lʼuniversité de Stanford en collaboration avec lʼuniversité du Colorado (Miklowitz et al.) a mis en place une thérapie de type familial qui vise des interventions adaptées pour permettre à lʼenfant de se développer sainement.
Travailler sur la partie de lʼenvironnement source de stress régulier pour lʼenfant, pourrait lui permettre de se développer de manière plus saine, sachant que la bipolarité juvénile étant un croisement entre une disposition génétique et un environnement "
stressant" qui pourrait précipiter lʼapparition du trouble.
Ainsi, le premier mode dʼintervention serait, selon Kiki Chang, la psychothérapie. "
Cʼest lʼoutil indispensable no1", qui serait essentiellement à visée prophylactique. Cependant, la pharmacologie est parfois nécessaire ainsi que la psychoéducation avec les parents. Elle permet de les informer sur les changements dʼhumeur et de les sensibiliser à leur régulation. Il est également important de diminuer le stress au quotidien et/ou de travailler sur lʼamélioration des stratégies pour y faire face. La thérapie familiale sʼavère un outil de taille. Lʼuniversité de Stanford en collaboration avec lʼuniversité du Colorado (Miklowitz et al.) a mis en place une thérapie de type familial (FFT- Family focused therapy) qui vise des interventions telles que décrites ci-dessous, pour permettre à lʼenfant de se développer plus sainement et de stopper, quand cela est possible, la progression de la bipolarité :
information sur le trouble bipolaire gestion des variations dʼhumeur gestion des crises apprentissage dʼun nouveau mode de communication entre les différents membres de la famille (incluant la fratrie) technique de gestion des problèmes familiaux Cela se passe en 12 séances, à raison dʼune fois/semaine les 8 premières séances, et une semaine sur deux pour les 4 dernières séances.
Références bibliographiques
Chang K.(2009), Challenges in the diagnosis and treatment of pediatric bipolar depression, Dialogues Clin Neurosci; 11(1): 73-80Faedda GL. (2004) et al., Pediatric bipolar disorder: phenomenology and course of illness. Bipolar Disord: 6: 305-13Gammon GD et al. (1983), Use of structured diagnostic interview to identify bipolar disorder in adolescent inpatients: frequency and manifestation od the disorder. Am J Psychiatry; 140: 543-7Geller B.(1997), Child and adolescent bipolar disorder : A review of the past10 years, journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry Hantouche et al. (2012), Cyclothymie, troubles bipolaires des enfants et adolescents au quotidien, 2ème édition, Éditions J.LyonIsaac G. (1995), Is bipolar disorder the most common diagnostic entity in hospitalised adolescents and children? Adolescence; 30: 273-6Joyce PR. (1984), Age of onset in bipolar affective disorder and misdiagnosis as schizophrenia, Psychol Med; 14: 145-9Leverich GS., Post RM, Keck PE Jr. (2007), The poor prognosis of childhood-onset bipolar disorder, Journal of Pediatrics, 150(5): 485-90Demeter CA et al. (2008), Current research in child and adolescent bipolar disorder, Dialogues Clin Neurosci 10(2): 215-28Miklowitz DJ et al. (2004), Family focused treatment for adolescents with bipolar disorder, J Affect Disord; 82 Suppl 1: S113-28Papolos D., Papolos J. (1999), “The Bipolar Child”. New York, Broadway Books.Sheffer RE. (2007), Childhood Onset Bipolar Disorder: A role for early recognition and treatment, J Pediatr; 150(5): 459-60.