02: Ma cyclothymie devient un -trouble-
31/12/2008
Témoignages > Cyclothymie > Moi, ma cyclothymie...Moi ?
La séparation avec mes parents ne me marque pas : je suis trop passionnée par ce que je fais, par la nouveauté, par le destin en marche. Je suis avec ma meilleure amie, je ne suis donc pas seule. J’ai appris que je dois me tenir éloignée des autres avec qui je ne m’entends jamais. Tout va bien. Je contrôle. Je suis solitaire et secrète, sûrement effacée aux yeux du reste du monde, mais je m’en fous.
En deuxième année je rencontre mon mari.
Je n’ai eu que très peu d’histoires d’amour jusque-là, car comme dans tout, je ne souhaite que l’absolu, l’extrême, le ? comme je l’ai imaginé ?. Je me sépare vite des garçons car ils ne sont pas assez bien, et ils ne m’aiment pas comme je les aime (j’aurais dit à l’époque : comme on doit aimer) infiniment, romantiquement, avec folie.
Mon mari est plus âgé. Il a treize ans de plus que moi. Je le rencontre alors qu’il reprend des études. Au milieu du reste de l’université, il est mille fois plus cultivé, intelligent, passionné, mâture. Il est le premier (et restera le seul) à être à la hauteur de moi. C’est prétentieux, mais c’est ce que je ressens. Il est intègre, engagé, compréhensif, sensible. Il a une vision des choses et du monde, alors que pour moi, les autres ont les yeux fermés, pas volontairement mais comme s’il leur manquait un des sens que j’ai moi.
Il devient ma passion, et peu à peu, je laisse cet amour prendre toute la place. J’oublie mes ambitions : je ne veux plus que vivre avec lui, me marier, avoir une maison, être une femme au foyer.
Quand une chose suscite mon intérêt, je m’y consacre totalement. Je m’appelle "la jusqu’au-boutiste".
Il n’y a jamais ni d’à peu près, ni de demi-mesure avec moi. Je ne sais jamais m’arrêter, mais je devrais plutôt dire : "je ne m’arrête pas", car c’est volontaire. Pour moi il faut toujours aller jusqu’au bout, se consacrer totalement. La demi-mesure est une faiblesse à mes yeux, un manque de caractère (à l’inverse je peux changer de passion du jour au lendemain, et laisser tomber ce qui m’intéressait à la folie auparavant sans remord - mais moi j’ai le droit.
Je donne donc à cet amour toute la place, toute ma vie, et brusquement, je bascule dans une dépression terrible, et j’ai l’impression de me réveiller dans la peau de quelqu’un d’autre.
J’ai entre vingt et vingt-trois ans, mais toute cette époque est déjà très floue dans mon esprit. J’ai passé plus d’un an à écrire un roman (le cinéma étant désormais un rêve inaccessible, laissé de côté car il n’est plus question de "monter à Paris" depuis que je vis avec mon mari). J’ai donc forcément eu une phase hyper-créative, agitée, passionnée.
A l’inverse et brutalement, quelque temps plus tard, je me retrouve hyper-anxieuse, négative, épuisée, et d’une tristesse infinie, absolue, que je n’ai jamais connue et que je ne comprends alors pas, car elle n’a aucune raison d’être.
Je suis obsédée par l’idée que mes parents ou mon mari vont mourir très bientôt, et brutalement. J’en imagine toutes les causes possibles, je suis morte d’angoisse au moindre de leur déplacement, et cette peur paralyse tout. Je fais des crises d’angoisse pendant lesquelles je suis persuadée que je vais mourir moi-même. Je l’ignore, mais c’est de la spasmophilie. C’est donc bien connu, mais je pense alors que je suis la seule à éprouver cela, car je n’ai jamais été confrontée à la dépression, ni aux troubles anxieux, je ne fais donc pas le lien avec ce que je vis.
Je consulte un médecin. J’en ai déjà vu un, il y a un an ou deux : j’ai déjà eu une première phase dépressive, moindre, pendant laquelle j’ai beaucoup grossi, et eu le sentiment "d’être quelqu’un d’autre". Mais tout est passé inaperçu : en deux mois, je saute de 47 à 54 kilos, mais c’est parce que "vous devenez une femme". Je ne suis pas comme d’habitude, bizarre, mais je l’explique moi-même par la pilule, que je prends depuis plusieurs moi. "Hé bien on va l’arrêter !" sourit-il. "Vous savez, j’ai tout entendu sur la pilule...". Le diagnostic n’ira pas plus loin. C’est sa faute et la mienne.
Cette fois, je ne vais vraiment pas bien. Mais je n’arrive pas à m’exprimer. J’ai honte, j’ai peur, je n’ai pas été écoutée la dernière fois. Pire : j’ai beaucoup de mal avec les docteurs depuis que mon médecin de famille, chéri adoré, qui m’a vu naître, en qui j’ai confiance, est décédé brutalement. J’ai peur des médicaments, de l’engrenage que cela pourrait impliquer. J’explique cependant que je suis angoissée, que je dors mal, je sors alors avec une prescription. Il se trouve que mon mari a eu une crise d’épilepsie il y a peu de temps : tout le monde pense, et à juste titre sûrement, que c’est pour cela que je ne vais pas bien. Je dois avoir du mal à m’en remettre... La pharmacienne m’explique que "le Spasmine n’est pas bien méchant. C’est un truc aux plantes". Je le prends donc sans rechigner.
"Du mal à s’en remettre ?"
C’est ce qui arrive aux gens "normaux". Moi je suis cyclothymique : le moindre événement est donc susceptible d’avoir des répercussions dangereuses sur ma santé.
Mais je l’ignore. Je prends le Spasmine, tout passe, et je crois que cela n’arrivera plus jamais.
