Facteurs de risque suicidaire dans la dépression
2/11/2011
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Evolution / Risques
Il est évident que le risque suicidaire chez les dépressifs est multiplié par 20 fois par rapport à la population générale et que le comportement suicidaire est plus létale dans le trouble bipolaire (Pompili et al, 2009).
Dans une revue exhaustive de la littérature, l’expert Zoltan Rihmer (2005) reprend les résultats de 10 études ayant inclus 3000 patients unipolaires, BP- I et BP-II patients. Il conclut que le risque de tentatives de suicide est le plus élevé chez les patients présentant un trouble BP-II, puis chez les BP-I et les unipolaires.
Dans l’étude française « Bipolact-I » réalisée par Jules Angst et moi-même (Hantouche et al, 2009), 2300 patients présentant une dépression récurrente ou résistante ont été inclus. Les résultats montrent que le taux de tentatives de suicide est plus élevé chez les dépressifs qui ont noté 10 ou plus sur la check-list d’hypomanie (CLH-20).
L’intérêt particulier de ces résultats réside dans le fait qu’ils sont obtenus chez des patients qui consultent dans des services médicaux variés (médecine générale, psychiatrie de ville et hospitalière). De plus, l’hypomanie a été évaluée de manière dimensionnelle en utilisant l’auto-évaluation avec la CLH-20 qui s’est montré un outil fiable et sensible pour le dépistage du trouble BP-II (Hantouche et al, 2006, 2009).
L’étude Bipolact-I a tenté de chercher les facteurs expliquant le risque suicidaire et trouvé les facteurs suivants : histoire familiale de suicide, les tentatives de suicide antérieures, la récurrence des dépressions, l’âge de début précoce, la dimension « sombre » de l’hypomanie (irritabilité et conduites à risque), l’abus d’alcool.
A lire : Journal of Affective Disorders, Explained factors of suicide attempts in major depression diffusée par elsevier
L’étude Bipolact-I a trouvé que l’histoire familiale de suicide et de troubles bipolaires est également liée au risque suicidaire. Ce résultat confirme d’autres études comme celles de Angst et al 2005b; Slama et al, 2004; Roy et Janal, 2005; Hawton et al, 2005; Borges et al, 2006). Récemment, Torzsa et al (2009) ont signalé que l’histoire familiale de suicide est significativement plus présente chez les patients dépressifs ; en effet, 50% des patients avec une histoire de suicide dans la famille présentent un épisode majeur actuel.
Le lien entre le risque suicidaire et le trouble bipolaire a été retrouvé dans une étude française conduite par Guillaume et al, (2010). Dans un échantillon de 211 patients souffrant de dépression et hospitalisés après une tentative de suicide, les auteurs ont observé que la sévérité de la tentative et l’histoire familiale de suicide, ont été liées avec le diagnostic de bipolarité. Mais l’étude de Guillaume et al ne spécifie pas les sous-types de bipolarité.
L’étude Bipolact-I s’est focalisée essentiellement sur le diagnostic de BP-II en fonction du score seuil de la CLH-20.
Le lien entre la dimension « sombre » de l’hypomanie et le risque suicidaire s’explique par le fait que cette dimension de l’hypomanie est la plus visible dans les formes instables et cyclothymiques du trouble BP-II (Hantouche et al, 2003). En effet, les patients bipolaires avec un tempérament cyclothymique débutent leur trouble à un âge précoce qui évolue avec des cycles rapides avec une intensité et une récurrence des épisodes dépressifs plus importantes : donc, une augmentation de la fréquence des tentatives de suicide. Cette donnée a été déjà observée dans une étude antérieure EPIDEP (Azorin et al, 2009).
Implications pratiques
Avant d’instaurer un traitement à visée antidépressive, les cliniciens doivent avant tout examiner chaque patient en s’assurant de la présence ou absence des indices de bipolarité, au moins l’hypomanie (avec CLH-20) et la cyclothymie (Akiskal, 2007).
De plus, les cliniciens doivent s’attendre à ce que les patients bipolaires présentent plus fréquemment des épisodes dépressifs mixtes (anxieuses, agitées, impulsives, hostiles) – ces formes de dépressions sont plus suicidaires surtout quand elles sont traitées avec des antidépresseurs seuls sans la protection des stabilisateurs (Pompili et al 2009).
A côté du diagnostic de bipolarité, le clinicien doit être attentif au cumul de plusieurs facteurs de risque comme le début précoce du trouble, la présence des traits cyclothymiques, la récurrence dépressive, la comorbidité avec l’abus d’alcool et le suicide dans la famille. Selon Slama et al (2004), cette configuration clinique peut constituer un sous-groupe particulier de bipolarité qui est à haut risque suicidaire.
Références
