10 : Problème dʼanalyse et de perception
20/11/2010
Témoignages > Bipolarité > Ma dépression
Je dirais que cʼest un véritable problème dʼanalyse et de perception. Je ne veux pas lʼexpliquer par des cas concrets, premièrement parce que cela semble totalement idiot â décrire tel quel, mais aussi parce que cela nʼapporte pas grand-chose au final. Je préfère en rester â de simples métaphores, bien plus parlantes visuellement et qui traduisent de façon nette ce qui se passe dans ma tête. Tous ces blocages sont liés par le fait que lʼévénement que je subis ou lʼaction que je commets ne trouvent pas leur place dans ma mémoire. Normalement, je décide en permanence dʼʼagir pour une raison particulière et réfléchie qui me permette de rester en accord avec moi-même; je rattache tout ce qui mʼarrive â un évènement qui trouve sa place dans le déroulement de ma vie quotidienne, ce parce quʼil ne peut en être autrement pour continuer â avancer. Lors des blocages, le raisonnement est tout autre. Dʼun coup, je me sens comme vidé, et pourrait-on dire tout penaud: je ne sais plus pourquoi jʼagis de telle manière, ce que je dois faire dans lʼinstant qui suit, ou alors je nʼarrive pas â relativiser ce qui vient de mʼarriver, événement contre lequel je ne pouvais rien.
Lʼanalyse logique que jʼeffectue en permanence entre le présent, le passé et lʼavenir et qui rythme ma vie (jʼagis présentement en toute connaissance de cause du passé et en anticipant lʼavenir, en sachant qui je suis, dʼoù je viens et où je vais) est ici totalement anéantie. Dʼun coup, je me retrouve perdu, le chemin qui me guidait sʼarrête au bord dʼun précipice. Incapable de donner un sens aux choses, je panique et tente de tout remettre en ordre. Je tente de trouver le moyen de franchir le fossé qui me sépare de mon avenir. Et le seul moyen que je trouve de le faire, cʼest la rumination. Je tourne les choses sans relâche, jusquʼâ trouver le moyen de rejoindre lʼautre côté du gouffre qui me permette de continuer â vivre et réfléchir normalement. Mais comment franchir ce précipice? Comment réparer la séquence du film abîmée qui me permette de continuer â faire défiler le long-métrage? Où placer cette pièce du puzzle? Je me creuse la tête pour trouver la réponse, mais jʼaurais beau tenter par nʼimporte quel raisonnement, du plus simple au plus tordu, du plus évident au plus difficile â élaborer, dʼy remédier, je ne trouve pas en moi les ressources nécessaires pour résoudre cette énigme.
Je repense alors â dʼautres évènements passés qui pourraient mʼaider â comprendre ou tout du moins â continuer dʼavancer, et la situation sʼempire alors. Je me rends compte que tout le chemin parcouru est remis en cause: jʼaurai sûrement dû en prendre un autre pour éviter ce précipice, faire les choses différemment. Je culpabilise alors littéralement pour tout et nʼimporte quoi, cʼest un véritable tremblement de terre qui mʼempêche de me raccrocher â tout repère. Jʼai le sentiment que la situation est sans issue, et mon impuissance face â cela et tous les efforts vains que je déploie empirent encore les choses. Cela en devient parfois insoutenable. Cʼest de lâ que viennent toutes mes angoisses, tous mes sentiments de dépersonnalisation, tout le malaise et lʼhumiliation que je peux ressentir, amplifiés lorsque mes tentatives de mʼen sortir restent vaines et sʼaccumulent. Je suis perdu, et je ne trouve rien de mieux â faire que de me triturer les méninges pour trouver des solutions, alors que la solution, la seule et lʼunique, est de patienter jusquʼâ ce que celle-ci sʼimpose par elle-même.
En cela, je trouve cette situation très proche de celle des gens qui subissent un traumatisme justifié par des évènements réellement traumatisants. Ils nʼarrêtent pas dʼy penser, retournent la situation dans tous les sens, ne peuvent souvent empêcher la culpabilité de les ronger, et nʼarrivent pas â trouver la force nécessaire pour continuer â vivre normalement. Ces évènements traumatisants causent dʼailleurs souvent des dépressions et jʼimagine aisément que les mêmes symptômes que ceux que je décris touchent alors les victimes de ces traumatismes. La seule différence, cʼest que mes traumatismes nʼont rien de comparables aux leurs. Ils sont créés de toutes pièces par mon cerveau, infondés et souvent irrationnels. Mais en est-il tellement différemment dans le cas de vrais traumatismes? Les gens qui sortent indemnes dʼaccidents de voiture et qui nʼen sont pas la cause se sentent très souvent coupables de choses dont ils ne sont pas responsables. Ils repensent â ce qui leur est arrivé un million de fois, et le ruminent, imaginant que cela nʼaurait pas eu lieu si telle ou telle chose sʼétait déroulée autrement. Les victimes de viols par exemple nʼy sont pas plus pour quoi que ce soit, mais souffrent moralement, bien plus que physiquement, de ce quʼelles ont subi. Pareils pour les gens qui culpabilisent dʼêtre restés en vie après un accident tandis que leurs proches ont trouvé la mort. Dans de tels cas, seul le temps peut permettre de cicatriser de telles tragédies. Il en est de même dans mon cas. La seule issue, cʼest lʼattente. Bien triste conclusion, et bien difficile, voire impossible de sʼen accommoder. Alors je tente vainement de trouver dʼautres moyens plus rapides dʼabréger mes souffrances. Même si les idées suicidaires ne mʼont jamais assailli, je comprends aisément dans des moments de tel désespoir le courage et la force dont font preuve ceux qui mettent fin â leurs jours, et je dirai â ceux qui leur reprochent dʼêtre lâches de ne pas avoir connu les mêmes souffrances quʼeux et, par conséquent, de ne pas avoir â critiquer leur geste. Ce sont des épreuves telles que la souffrance endurée est tout simplement inimaginable pour quelquʼun qui nʼa pas traversé cela auparavant.