07 : Ma quête vers la compréhension et la guérison.
1/01/2010
Témoignages > Cyclothymie > Dear Siobhan
Javais pris également lhabitude de surfer les sites canadiens ou américains qui semblaient plus nombreux. Parmi les Français je visitais essentiellement celui dArgos 2001. Cest une association très active, avec une multitude daides et de conseils, on y trouve des programmes de suivi pour les malades et les familles. On peut y puiser une bonne source dinformations utiles. Ce qui mintéressa plus particulièrement, cest quelle organisait chaque mois une conférence sur des sujets variés liés â la bipolarité. Même si je ne pouvais me définir en tant que tel cétait une nouvelle piste â explorer. Mon besoin de comprendre était toujours aussi grand et je planais encore mal â laise entre incertitude et rumination. La prochaine conférence était prévue pour le jeudi de la même semaine â la faculté de Médecine de lhôpital Cochin, amphithéâtre Luton, 20h. Elle était tenue par le Docteur Gourion David.
A la réflexion, Il ne ressemblait pas du tout â ce que jimaginais. Je le voyais dun certain âge, grisonnant, en léger sur poids, bien posé sur des années de connaissance et dexpérience cliniques et pathologiques. La bonne cinquantaine passée certainement une calvitie, un bouc poivre et sel ou encore une barbe. Comme accessoire pour parfaire le cliché une pipe éteinte, sur laquelle il aurait tiré lascivement tout au long dun exposé quil aurait fait dune voix grave et lourd avec la froideur du thérapeute. Dailleurs dans les petits groupes de 10 â 15 personnes qui sagglutinaient dans le hall, javais repéré 2 ou 3 orateurs potentiels. Les portes de lamphithéâtre se sont ouvertes vers 19h 45. Jai doucement descendu une première portion de 5 marches, tourné sur la gauche entre le banc et les strapontins, pour aller atteindre beaucoup plus bas dans lescalier le 4° rang central. Javais estimé quâ cette place jétais suffisamment prêt pour entendre sans difficulté et relativement â labri des regards. Juste une tête qui dépasserait légèrement au milieu. Une chose ma néanmoins marqué je men souviens encore, il ny avait dans tout lauditoire aucune personne de couleur? ni noirs, ni asiatiques pas plus que darabes. Je ne me suis pas trop appesanti sur cette singularité car déjâ deux dames lune dune cinquantaine dannées et lautre denviron quarante ans avaient pris la parole dans un léger brouhaha ambiant. Nous remerciant dabord de notre présence relativement nombreuse, elles nous avaient ensuite présenté les différentes activités de lassociation et de manière succincte le programme 2007-2008. Je remarquais aussi, alors que je scrutais timidement les rangées devant moi, que les 2 ou 3 probables conférenciers pointés plus haut dans le hall, avaient eux aussi tout comme moi pris place dans laudience. David Gourion nétait manifestement pas lun deux mais je restais fidèle â limage que je men étais fait. Très studieux jai sorti un bloc notes puis un stylo de ma mallette pour les placer devant moi sur le reposoir.
Sur une page vierge jai inscris :
Date : Jeudi 11 Octobre.
Docteur Gourion.
Le sujet : Les causes du trouble bipolaire, actualité de la recherche.
Puis ce fut lattente de nouveau. Un petit coup d?il â gauche puis â droite, un très furtif balayage sur lhémicycle derrière avant de revenir devant moi. Cest alors que jai remarqué ce jeune homme 34-36 ans qui descendait lentement dans la fausse. Il était plutôt beau gosse, le teint légèrement halé, la coupe courte et soigneusement en pagaille. Il portait une paire de lunettes â frame large et sombre, dont les verres rectangulaires tiraient dans sa largeur un regard vif et chaleureux. Je ne réalisais pas sur le moment quil sagissait lâ du Docteur. Son allure, le chewing-gum quil mâchait avec linsolente fraîcheur dun étudiant ne collait pas avec limage stéréotypée que je men été fais. Encore plus en décalage, lélégante désinvolture de son style vestimentaire, chaussure très style â bouts en pointe, Bleu jeans â lusure contrôlé, pull-over noir lui arrivant mi-cou sous une veste feutre brun foncé. Classe et relaxe â la fois, allure Dandy Bobo. Après quelques petites tribulations techniques, problème de son, de branchement entre laptop et projecteur, lintervention dun agent dentretien ni changeant rien, il a fini par prendre la parole sans micro ni illustrations. Sa voix instaura immédiatement le silence, elle avait lénergie de la jeunesse, lopiniâtre optimisme dun timbre clair qui donnait â lespace une résonance positive et vivifiante. Hypnotique presque. Son apparente jeunesse rendait plus impressionnant encore son parcours remarquable de chef de clinique en Psychiatrie et dimminent Professeur en neurosciences. En collaboration étroite avec le Docteur Henri Lôo son chef du service â lhôpital Sainte-Anne, Ils avaient publié en septembre un ouvrage sur la dépression et les troubles bipolaires ? Les nuits de lâme ?. Il nen était pas â son premier ouvrage car déjâ en 2004 avec une cons?ur de Sainte-Anne, le Docteur Anne Gut-Fayand ils sortirent ? Les troubles schizophréniques Vivre et Comprendre ?.
Durant son cursus il avait eu loccasion dévoluer au Canada et dintégrer un programme de recherche qui avait pour sujet une cohorte de malades suivis â différentes étapes de leurs vies, enfance, adolescence, période pré adulte et adulte. Le but étant de repérer â partir des différents facteurs tels que le vécu dévènements traumatiques (deuil, accidents, agressions), la survenue déventuels complications néonatales (infection, stress), la précocité des abus (alcools, drogues), ou la présence dune filiation déjâ diagnostiqué, tenter de définir des rapports de corrélation avec le développement de la maladie. Ouvrir le champ thérapeutique et pathologique, trouver au-delâ des relations interfamiliales dautres facteurs afin déviter les discours culpabilisants des anciennes démarches médicales dil y a 30 ans. Le ton de la conférence était sous le signe de lespoir et la nouveauté, jai gribouillé quelques mots en écoutant, compréhension des symptômes, explosion fulgurante des neurosciences, progrès du NeuroSpin, limagerie cérébrale, ne pas réduire la souffrance â une cartographie du cerveau, lapproche multifactoriel, la neuro-génétique, complexité et prédéterminisme génétique, notion dhérédité marquée, présente mais pas réductionniste. Un puzzle bien compliqué si on y ajoute des éléments sociologiques et philosophiques également. Il y a eut beaucoup de choses de dites et très intéressante bien que son exposé traitait dun sujet pointu il nous la présenté très clairement.
? LOrganisation Mondiale de la Santé a publié un rapport reposant sur les études conduites par Harvard School of public Health et la banque mondiale. Cette illustration place la dépression au 4°rang des maladies les plus coûteux pour la société. Il faut comprendre dans cette estimation non seulement le coût financier quantifiable de la maladie mais aussi y associer le DALYs (disability adjusted life years) un coût plus difficile â schématiser mathématiquement, celui des années de vie perdues en termes de qualité. En effectuant une projection sur une dizaine dannée en 2020, elle sera remontée â une inquiétante 2° place, après les maladies cardio-vasculaires mais avant le cancer et les maladies infectieuses. Il paraît donc important de revoir le statut de la psychologie et la psychiatrie, parent pauvre jusquici ?.
David Gourion lavait martelet vigoureusement, le point serré :
? Il existe un désert incompréhensible dans le monde de la médicine autour de cette spécialité. Il est marqué par le manque de considération quon lui porte avec uniquement un maigre portefeuille de 3 â 4% dédié â la psychiatrie sur lensemble du budget alloué â la recherche médicale. Nous somme en France et en plus généralement en Europe, face â une méconnaissance totale par rapport aux précurseurs Américains et Canadiens qui eux ont compris les enjeux Financiers graves quune attitude trop laxiste peut engendrer ?.
Cétait sur ces bases plus économiques que thérapeutiques et scientifiques quil avait achevé son exposé. Mais cétait aussi les fondations dune technique dapproche différente de la maladie. Il avait fallu au préalable arrêter de tout expliquer quand on ne le pouvait pas, voir ce que lon ne voyait pas. Tirer dun agrégat conceptuel une sémiologie plus constructive, il fallait impérativement que jen fasse de même dans ma quête vers la compréhension et la guérison.