TDA/H ou Cyclothymique ? Quand cognitions et émotions sʼemmêlent
20/05/2013
Témoignages > Cyclothymie
Telles les ailes de lʼalbatros, ce cerveau est formidable pour aller dans les hauteurs, mais très handicapant pour marcher sur la terre. Ce qui explique que jʼai créé plusieurs entreprises, accumulé les diplômes, les prix et les médailles, et écrit plusieurs livres à succès, alors que payer des factures ou choisir un carrelage de salle de bains me paraît insurmontable. Que je suis capable dʼapprendre par cœur en un mois tous les cours de mon année de fac de psycho, mais pas de me rappeler où jʼai posé mes lunettes il y a 1 minutes (réponse : sur mon front).
En ce sens, je vis le quotidien des adultes atteints à la fois de douance et de TDA/H, ce qui va souvent ensemble.
Le TDA/H est décrit comme un problème cognitif, un trouble des fonctions exécutives supérieures : déficit dʼattention, de la mémoire de travail, de la régulation des informations, de la planification, de la perception du temps. Lorsque je rencontre des mamans dʼenfants ayant un TDA/H, je leur explique que le cerveau de leur enfant est comme un carrefour où se croisent des dizaines de routes, avec un agent de la circulation endormi : les informations entrent et sortent en désordre, dans lʼagitation et les concerts de klaxon. Lʼimpulsivité caractéristique du TDA/H, et qui cause tant dʼennuis aux quotidiens, en découle : le policier endormi oublie de dire « stop » avant que ne parte le geste ou la phrase de trop…
Pourtant, les adultes qui ont un TDA/H consultent rarement pour des problèmes cognitifs : qui va voir un psychiatre parce quʼil a du mal à tenir son agenda ? De mon côté, jʼai découvert mon TDA/H alors que jʼétais venue soigner… une dépression port-partum, mixte, atypique, faite de sautes dʼhumeur sur fonds de cyclothymie. En effet, en lʼabsence de fonction « stop », mon cerveau hyper-réagit à tout ce qui lʼentoure.
Elie Hantouche mʼa permis de comprendre que cʼest un cerveau Formule 1 : un petit frôlement de lʼaccélérateur lʼenvoie à 150 à lʼheure. Et lorsquʼon le contraint à rouler sur une route de campagne, il sʼennuie et tombe dans la dépression… puis redémarre trop vite, quitte à foncer dans un arbre. La vie des « hypers » (hypersensibles, hyperactifs, hyper-efficient, etc.) est fait de ces alternances excitation-dépression, avec parfois plusieurs cycles dans la même semaine, voire la même journée. Sans oublier les manifestations anxieuses : lorsque lʼon a en permanence lʼimpression dʼoublier quelque chose (un RDV important, ses clés, fermer le gaz), cela génère un fonds dʼangoisse permanente. Renforcée par le souvenir des mini-catastrophes qui parsèment le quotidien des distraits et des impulsifs.
Voilà une façon de voir les choses. A la base un trouble cognitif, à lʼarrivée un trouble émotionnel.
Oui, mais si cʼétait le contraire ?
Il y a un mois environ, jʼai failli perdre ma fille et son papa dans un accident de voiture. Ils en sont sortis indemnes, et mon cerveau conscient a envoyé le message « tout va bien, pas la peine de sʼaffoler ». En apparence, je nʼai pas ressenti de peur, ou très peu, très vite. Pas de symptômes émotionnels… mais très vite, jʼai ressenti des symptômes cognitifs. Toute la belle organisation que jʼavais mise en place dans les semaines précédentes pour lutter contre mon TDA/H sʼest écroulée en 24 heures, et jʼai vu revenir mes vieux démons : distraction, oublis, impossibilité à planifier, à se concentrer…
Gabor Maté, dans un livre magnifique, LʼEsprit dispersé, place lʼangoisse à lʼorigine du TDA/H. Soit un enfant, peut-être hypersensible, confronté à des situations anxiogènes du fait dʼun parentage inadapté à ses besoins : des parents insuffisamment présents, dépressifs ou eux-mêmes anxieux, des parents aux humeurs imprévisibles, voire même violents. Ou des circonstances traumatisantes, un décès, une maladie, une séparation, un accident… Pour échapper à lʼangoisse, lʼenfant puis lʼadulte se coupe de ses émotions, se réfugie dans ses pensées, se crée un monde imaginaire quʼil contrôle. Pour fuir le présent, il se réfugie dans le passé, dans lʼavenir, dans lʼailleurs. Son cerveau tourne en boucle pour échapper à lʼangoisse, et puis il est angoissé, plus il tourne à vide, et se coupe des vrais problèmes du quotidien. La colère, la honte, la tristesse, et même le sentiment amoureux peuvent nous faire perdre la tête, réduire notre attention et notre capacité de mémorisation, affecter nos perceptions et notre jugement.
A la base un trouble émotionnel, à lʼarrivée un trouble cognitif.
Nous sommes donc en face dʼune boucle folle : trouble cognitif <->trouble émotionnel.
Avec au passage les terribles PAN (Pensées automatiques négatives), exagérées et globalisantes, qui viennent renforcer la boucle. Soit un évènement mineur (jʼai égaré mon passeport). Lʼanxiété monte, le cerveau part en vrille : « Et voilà cʼest toujours pareil, avec tous les efforts que je fais pour mieux ranger mes affaires, ça ne sert a à rien, je ne changerai jamais, et maintenant comment je vais faire, je ne vais jamais réussir à le retrouver, et demain comment je vais faire pour prendre mon avion, comment je vais expliquer ça à mes collègues, je vais encore être la risée de tout le monde, etc. etc. etc. » La même énergie, investie dans la recherche calme et posée dudit document, suffit à le localiser au bout de 15 minutes…
Cette tendance à lʼhyper-rumination explique le relatif insuccès de la psychanalyse sur ce type de cerveau. Il peut passer, comme je lʼai fait, des années en analyse, et découvrir une infinité de situations traumatisantes quʼil va pouvoir faire tourner en boucle avec tout le reste. « Pas étonnant si je suis aussi mal, vu ce que jʼai vécu avec mon père, ma mère, etc.» Bien sûr, le transfert sur la personne de lʼanalyste est censé permettre de revivre lʼémotion de départ et de lʼévacuer… Problème : à lʼâge où le sujet fait sa psychanalyse, il me semble que les schémas pervers sont déjà bien ancrés, et quʼils ne vont pas disparaître par magie.
Alors, sur quel terme de la causalité agir ? Emotions ou cognitions ? Pour moi les deux sont valables, puisquʼil sʼagit de casser une chaîne, on peut agir sur nʼimporte quel maillon. Idéalement, jʼessaye de combiner les deux :
Et la psychanalyse dans tout ça, aux oubliettes ? Pas forcément. Jʼy reviens occasionnellement par le biais de lectures, et jʼy reviendrai sans doute un jour si je retrouve un bon thérapeute. Car je me méfie du seul travail sur les symptômes. Lʼanalyse nous enseigne que les symptômes ont un sens… Lʼadulte débordé par lʼangoisse, la distraction et les sautes dʼhumeur gagnera sûrement un jour à aller chercher ce quʼa vécu lʼenfant quʼil était, et ce quʼil cherche à fuir dans ces comportements.
Une très belle image se trouve dans le film Oui, mais : une adolescente en souffrance se présente chez un thérapeute. Elle croit quʼil va lui proposer une longue psychanalyse. Il lui répond : « Mademoiselle, quand on tombe dans une fosse à purin, que fait-on ? Passe-t-on 10 ans à analyser comment on est tombés ? Non, on sort et on prend un bon bain. » Voilà ce que les thérapies brèves peuvent nous apporter. Et par la suite, il sera peut-être temps dʼentreprendre un travail plus profond pour comprendre qui a creusé la fosse et pourquoi elle nous attire si fort… pour ne pas retomber dedans.
