Dans ma conscience de dépressive
31/12/2008
Témoignages > Cyclothymie
Au préalable, je déclare écrire â distance dun épisode dépressif majeur, bien que je ne sois pas encore en état stabilisé. Par ailleurs, faisant allusion â une conscience antérieure, donc â du souvenir, jespère que grâce â mon honnêteté et la mémorisation des faits tels que je les ai vécus, mon récit ne se trouvera pas trop altéré par ma conscience actuelle.
AGIR OU FAIRE, DES VERBES DACTION INOPÉRANTS.
Linertie, la faiblesse, lépuisement sont quelques-unes des manifestations dun état dépressif.
Vider un lave-vaisselle est un geste anodin, automatique, qui en général se fait sans efforts. â?a devient par exemple un acte compliqué qui mobilise une énergie et un temps qui mont paru alors considérable. Pourtant je ny ai pas passé plus de 6 â 8 minutes lâ où habituellement 5 minutes me suffisent.
Jaime le café. Le simple fait davoir â le réchauffer ou davoir â manipuler la poudre de café ou la capsule â placer dans lappareil senseo, me fatigue â lavance. Alors je le bois froid, me fais une infusion ou un verre de lait.
Ne suis-je pas autre chose quune grosse fainéante ? Je suppose que non. Jai tendance, sans doute cela marrange-til, â penser que la paresse est quelque chose de ponctuel, ne concerne quun domaine et nest pas répétitif. Quand jai la flemme de mhabiller, je reste une journée en pyjama mais dès le lendemain, â la reprise des activités ordinaires, enfiler une tenue de ville ne me demandera aucun effort.
Jai conscience de fuir toute sorte de plaisir mais cela ne suffit pas â inverser les choses et â mamener â éprouver non pas de lextase mais un naturel contentement, ou agrément â faire ceci ou cela.
Moi qui suis plutôt épicurienne me voilâ â trouver nimporte quel prétexte pour fuir des moments qui habituellement mapportent détente ou plaisir. Ainsi ma douche quotidienne passe souvent â las. Ma séance hebdomadaire daquagym est ennuyeuse et interminable. Je my rends non pas parce que jaime ça mais pour faire comme tout le monde, pour pouvoir justifier dune pratique sportive.
La voix du journaliste qui me berce presque tous les soirs mhorripile. Soit je ne comprends rien â ce quil énonce régulièrement, soit le moindre propos entendu et ressenti comme douloureux et négatif. "Les soldes dété démarrent demain" Au lieu de me réjouir de pouvoir éventuellement acheter des vêtements moins chers que si je les avais achetés il y a un mois, cette annonce entraîne chez moi le raisonnement: "de toute façon yaura pas ma taille. Je nai besoin de rien. Pas envie daffronter la foule? Jai davance la tête qui tourne â lidée de me déshabiller pour essayer un vêtement et puis un autre.
Je rentre de mon travail assez contente davoir pu assister â une conférence sans mêtre mise â pleurer et sans avoir le sentiment de navoir absolument rien compris. En rentrant, je me dis: il fait beau, il est encore tôt, je vais minstaller sur la terrasse, et attendre que ma fille rentre. Je prendrais un thé pendant quelle goûtera. Hélas au bout de quelques minutes je quitte la terrasse, excédée par le chant des oiseaux et les chahuts réjouis des enfants qui jouent dans le parc après lécole.
Je nai même plus la possibilité dapprécier ce que tout un chacun trouve agréable et joyeux. Je trouve le refuge sous la couette alors que la douceur estivale est bien plus agréable. Quest-ce qui mempêche daller métendre sur un matelas dans le jardin ? Au lieu de ça me voilâ comme une grande malade, en tenue de nuit, sous la couette, volets fermés, silence absolu.
Fallait-il encore que je me prouve que je ne vais pas bien ?
Jai conscience que tous les actes dont je suis capable sont lexpression de mon état dépressif. Leur existence même signe cet état. Je narrive pas â ce quune volonté suffisante simpose pour mamener â poser un acte â propos duquel je puisse dire : chouette, cest une petite victoire. Jai voulu faire ce plat, jy suis arrivé et je lai mangé avec goût.
Est-ce un manque de volonté ? La littérature nous enseigne que non.
LE NON CONTRôLE DES ÉMOTIONS.
†côté de cette impossibilité dagir limpossibilité de maîtriser ses émotions.
Il y a cet immense désarroi ressentie sans motif apparent. Aussi ce sentiment dincurie, la sensation du néant, labsence dintérêt pour quoi que ce soit.
Mon fils mappelle et mannonce quil est lauréat du premier prix au brevet de sécurité routière. En conséquence, sa conduite accompagnée sera payée par lassociation mécène du concours. Je suis ravie et fière.
Ma voix trahie autre chose. Me voilâ incapable dexprimer ma joie, ma fierté. Ma bouche prononce les bons mots, leur mis en voix est plate, triste. Je suis au bord des larmes. Le constat est amer. Je ne parviens même plus â exprimer et ressentir du bonheur. Mon esprit pense "je suis heureuse", mon corps mon âme refusent la manifestation de ce bonheur. Je ne suis pas triste. Je narrive pas â éprouver la joie. Cest inconfortable, décevant.
UNE OBSESSION CONSTANTE : MOURIR POUR NE PLUS SOUFFRIR.
Je suis incapable de fixer mon attention pour lire plus dune page. Lorsque je lis, je perds vite le fil, je suis incapable de dire ce que jai compris. Je suis obligée de lire 3 fois le même paragraphe pour intégrer ce quil contient. Idem pour un film. Souvent au bout dun quart dheure je nai rien saisi â lhistoire et ce qui captive tous les spectateurs ne retient nullement mon attention.
Par contre, quelques scénarios suicidaires envahissent quasi-continuellement mon esprit. Plutôt mourir que souffrir. Ici la machine â pensée nest pas au ralentie et elle met au point de multiples stratégies qui me font espérer mourir sans souffrir. Lidée de quitter les miens (enfants, parents, amies proches) ne marrête pas, bien au contraire. Consciente que me voir ainsi leur est insupportable, car ils sont impuissants face â ma douleur morale, renforce mon idée obsessionnelle. Si je ne suis plus, ils auront du chagrin sur le moment. Ils nauront plus â subir ma tristesse mon apathie en dépression ou mon trop dénergie en état dhypomanie. Limpuissance quils ressentent lorsquon va mal, ça aussi ça les fait souffrir. Cest en toute conscience que jai demandé â ma mère et â mes enfants de maider â mourir. Quils payent leur courage par de la prison me soucie mais ne me décourage pas. Jéchafaude alors toutes les attestations possible, ou déclarations filmées pour montrer quelles exécutent lâ ma volonté et non pas la leur.
Jai consulté toutes les pages internet francophones sur le droit de mourir dans la dignité, le suicide assisté. Je leur en ai voulu de me refuser cette aide même si parallèlement je pouvais comprendre ce qui les en empêchait: lamour quils me portent. Et moi cest au nom de cet amour quils me portent que je voudrais quils maident â mourir paisiblement.
APRèS LA PLUIE LE BEAU TEMPS.
Je sais bien quaprès la pluie le beau-temps; après la dépression arrive le calme ou lhypomanie, â défaut un état mixte et au mieux un état déquilibre.
†côté de cela je sais aussi que malgré tous les traitements chimiques que jaccepterai davaler, malgré toutes les thérapies, en létat actuel la bipolarité ne se guérit pas, on la soigne en espérant éloigner les crises et limiter les dégâts de celles-ci lorsquelles surviennent.
Cest comme le diabète : on tâche de limiter les pathologies quelle entraîne (néphropathie) mais on ne dispose daucun traitement pour éradiquer le diabète. Contrairement â ce qui est observable dans le cas du diabète, aucun examen biologique ou radiologique ne permet dindiquer létat psycho-affectif dans lequel se trouve le patient. On ne fait ce type dexamen que dans le cadre de la recherche.
Cela procure un sentiment dincurie. Savoir quaucun traitement ne nous guérit, que les scientifiques observent des cycles qui au fur et â mesure quévolue la maladie seraient de plus en plus proches. Tout cela ne participe guère â lallégresse
LA RELATION â LAUTRE PERTURBÉE.
Jai la possibilité dentendre de comprendre les conversations. Jai davantage de difficulté pour my inclure car parler me fatigue. Entendre les autres parler de choses et dautres me navre. Avec égoïsme je me demande pourquoi eux sont biens, peuvent apprécier les plus petits bourgeons qui souvrent, alors que moi non. tout cela me laisse totalement indifférente. Je narrive plus â me révolter même face â la plus petite injustice. Je suis â côté deux, mais pas avec eux, je suis dans ma folie incapable de communiquer avec eux.
Une remarque même anodine est vécue comme un rejet, une agression. En temps ordinaire de tels propos ne me plonge pas dans un chagrin et un désespoir.
LE RÉCONFORT PAR LE CORPS.
Je suis comme un chat, je vis en boule, recroquevillée sur moi-même. Ainsi rétracté mon cors veut davantage protéger le cerveau eT lâme des attaques quils subissent.
Des automutilations voudraient dissuader la douleur morale en lui supplantant une douleur physique. Jai conscience que ce geste est inutile et insensé, pourtant je macharne sur mes pieds.
Au travers de ces paragraphes jespère avoir pu montrer quâ toutes ses douleurs sajoute celle de la conscience (sans doute avec la collaboration de la culture, des lectures assimilées) qui nous montre en permanence notre dysfonctionnement.. Parfois je me demande si, le fait de ne pas avoir cette conscience aussi ouverte nous ne pourrions pas diminuer notre souffrance. Les amnésiques me diraient sûrement le contraire. Je me demande également où le cerveau puise son énergie pour nourrir une idée obsessionnelle alors quil nen libère pas assez pour la vie ordinaire.