Les rythmes de vie qui me conviennent
6/02/2012
Témoignages > Se soigner
Non seulement il faut prendre ses médicaments mais de préférence il faut les prendre aux heures fixes. Il faut se coucher de bonne heure et se lever même si on nʼa rien à faire. On mange trois repas équilibrés par jour. On se raccroche à la routine partout où on la trouve. Mais je ne le fais pas.
Les deux choses qui rythment ma vie et dont je ne peux pas mʼéchapper sont mon statut de mère de famille et celui de salariée. Jʼai deux enfants en base âge ; la vie à la maison est rythmée par lʼécole et la nourrice, la sieste, la course du "bain – diner - coucher" et tout le reste. Je travaille en décalé, je saute plusieurs fuseaux horaire par mois et je passe en moyenne une ou deux nuits blanches par semaine. Je mange les plats locaux en heure locale, je me couche quand je peux et/ou quand je suis fatiguée dans une nouvelle chambre dʼhôtel chaque fois. Ces deux rôles paraissent incompatibles il y a forcement un clash. Et pourtant.
Mes humeurs suivent grosso modo mon planning du mois. Sur mes courbes dʼhumeur les nuits blanches correspondent à une petite montée, en bien, et un retour à la normale sur les jours de repos. A moins dʼenchainer plusieurs vols avec peu de repos entre deux ça ne joue pas sur ma vie. Je dirais même que cʼest un plus dans un métier où il faut être attentive et disponible toute la nuit. Je tiens bien, cʼest juste les cernes qui prennent un coup chaque fois, jʼaccuse une grosse dette de sommeil.
Je trouve mon compte avec mon métier. Le train-train de la maison mʼennuie, quand je mʼennuie je vais mal et je commence à divaguer au grès de mes pensées. Jʼai appris à mʼen méfier, il y a trop de variables et je ne peux pas être en confiance. Le train-train ne me fait pas du bien.
Jʼai très peu travaillé ces derniers temps suite à un accident de travail et, il faut le dire, des moments difficiles avec cette bipolarité. Partir me permet de sortir de ma petite vie de mère de famille et femme au foyer. Le travail en lui-même est très structuré, on sait ce que lʼon doit faire où, quand et comment. On travail en équipe et la hiérarchie est là à tout instant, au sol et en vol. Cʼest une routine non routinière – je fais toujours la même chose mais à nʼimporte quel heure, nʼimporte quel jour et avec des nouveau collègues et passagers. Ca me convient.
Quʼen est-il de la vie à la maison ? Jʼen ai trop gouté cette dernière année. Effectivement, les enfants nous imposent une certaine routine, et ils en ont besoin pour trouver leurs repères. Tient, on est comme les enfants nous les bipolaires – nous aussi il nous faut nos repères ! Je nʼintègre pas totalement cette vie. Souvent oui, le reste du temps je fais semblant. Mais tous les parents le font par moment, non ? Dans tous les cas, la vie avec les enfants est forcement rythmée par leurs besoins. Les miens figurent à peine dans la course.
Pendant ces six derniers mois qui ont étaient particulièrement pénibles pour moi je nʼai pas pu échapper à leurs emplois de temps, leurs besoins, et les activités de la femme au foyer que jʼétais devenue. Ce nʼest pas que je nʼen veux pas mais il est certain que jʼai besoin dʼaller prendre lʼair ailleurs régulièrement pour ne pas mʼétouffer.
Quand je ne travaillais pas et je souffrais moralement et physiquement je subissais le rythme de la maison. Un rythme qui nʼest pas le mien et qui très franchement mʼemmerde à la longue. Les raisons de mon mal être et de ma rechute du printemps dernier sont multiples. Je reste convaincue que lʼune dʼelles est que jʼai perdu mon échappatoire du travail. La dépression est arrivée une dizaine de jours après mon accident, quand je souffrais physiquement toujours. Je ne faisais pas ce que je voulais de mon corps, je ne pouvais pas me pencher ramasser un papier, encore moins porter mes enfants. En un instant jʼavais perdu cette routine non routinière qui me fait tant de bien. Il nʼy avait plus le clash entre ma vie de famille et ma vie professionnelle, il nʼy avait que la routine de la maison et cʼétait pire.
Je nʼallais pas bien, le manque de ma routine me rendait encore plus malade. Je suis rentrée dans un cycle infernal – trop mal au dos, trop épuisée, trop mal dans mon esprit pour travailler. Condamnée à rester à la maison et continuer à jouer la femme au foyer avec quelques tentatives de reprise, la possibilité dʼenfiler mon uniforme le temps dʼun vol avant de retomber et me retrouver coincée à la maison. Soulagée du rythme de travail je me suis sentie enfermée dans celui de la maison. Je veux le clash, jʼen ai besoin.
Au bord du gouffre, jʼai enfin pu profiter dʼun nouveau médicament, nouveau en France. Ouf, je retombe sur mes pieds, je retrouve le chemin du travail et je vais renverser ce cycle infernal, il va tourner dans mon sens maintenant. Quelque part dans ce clash, entre ces deux extrêmes de voyages lointains et de vie à la maison, je trouve mon compte. Ce nʼest pas prévu comme ça, ce nʼest pas censé se passer comme ça. Où sont les couchers et levers à lʼheure, les repas pris régulièrement, les semaines de cinq jours et un weekend ?
Le rythme quʼil me faut comporte deux éléments, la vie à la maison et la vie dʼhôtesse de lʼair. Finalement ce nʼest pas un clash mais une harmonie. Je pars en vol, je vois du monde, je profite dʼune petite montée, je rentre retrouver les miens et je passe du bon temps dans le cocon familial. Puis je repars et je reviens. Cʼest mon rythme à moi. Cʼest un rythme qui entretient mon état, bon ou mauvais ; quand je vais bien ma vie chaotique me fait du bien, quand ça va pas elle mʼenfonce.
Commentaire CTAH (Dr EH)
Excellent témoignage qui indique plusieurs points importants à rappeler et préciser en ce qui concerne les rythmes de vie et la cyclothymie
"Est-ce justement parce que je suis bipolaire que ces rythmes et règles mʼemmerdent ?"
Bonne question ; On sait que les ruptures de rythme ont un impact sur la bipolarité mais également ça se passe dans le sens inverse ; les bipolaires cyclothymiques sont sensibles aux transitions et aux changements des rythmes. En plus, ils sont "habitués" à lʼinstabilité donc à lʼabsence de routines rigides ou constates. Ils sont stables dans lʼinstabilité (comme les personnes qui retrouvent de lʼordre dans le désordre). Ainsi toute tentative thérapeutique pour imposer une hygiène stricte de "bons rythmes" va être vécue par le cyclothymique de manière pénible et contraignante.
Avoir un double statut de mère de 2 enfants et de salariée est garant dʼun rythme social majeur ayant un impact protecteur – même si la nature du travail comporte des décalages horaires (hôtesse de lʼair" ; lʼimportant est dʼapprécier et dʼaimer son travail. La preuve que le travail protège est la conséquence péjorative de lʼarrêt de travail dans ce témoignage
Il nʼy a pas de règle stricte en matière de "rythme" - avoir un rythme ne signifie pas devenir un "obsédé" de lʼorganisation et un "maniaque" de mʼemploi du temps ; "avoir un rythme" est adopter de bonnes routines qui conviennent à chaque personne. Pour cela, il est important pour chaque bipolaire de repérer parmi ses rythmes "naturels" ou habituels, ceux qui sont dysfonctionnels et dʼagir pour les modifier sans que ce soit une contrainte. Comme on le recommande souvent "essayez de nouveaux rythmes pendant un mois et vous verrez les conséquences".
Enfin, savoir que le but est de trouver un style de vie qui convient à la nature de chacun et qui, en même temps, garantit un équilibre et une certaine stabilité. Ce qui signifie que chaque personne se doit de casser les cercles vicieux qui sont installés entre les humeurs pathologiques et les mauvaises habitudes. Puis tentez de les remplacer par des cercles "vertueux", cʼest-à-dire profiter des périodes où on se sent mieux et plus stable avec le traitement pour mettre en place de "bonnes" routines qui induisent à leur tour des états dʼâme positifs qui à leur tour vont consolider ces routines – Voilà ce que jʼentends par "rythmes" où le cyclothymique peut garder un certain niveau de sa cyclothymie sans se laisser aller et se négliger.
