03 : Pourquoi autant de plaintes sans fins ?
31/12/2007
Témoignages > Bipolarité > La vie bipolaire de Melle M
Dimanche 17 octobre 2004 - 10h00
Depuis mon dernier envoi, il y a du changement. J’ignore par où commencer, ce n’est pas évident d’expliquer correctement certaines choses qui forment un tout. Je vais néanmoins essayer car cela me semble important.
Tout d’abord, en ce qui concerne ce journal, je le tiens à double sens, à savoir, non seulement dans le but de décrire au mieux la vie de la bipolarité, en grande partie mixte, parsemée de crises purement dépressives, pensant être utile pour ceux qui souffrent de cette forme un peu moins courante d’après mes simples recherches qui font moins état de cette forme ; mais aussi, dans un but moins noble. Il est temps d’être honnête. Il est temps de reconnaître aussi ce qui appartient à une personnalité immature dont j’ai conscience depuis bien avant la déclaration au grand jour de la maladie et de ce fait qui n’aide pas à la guérison ni au fait de grandir.
La première évidence est qu’à chaque fois que je sors d’une crise, je le dois à mon retour vers la philosophie et ma soif de mieux comprendre la vie, l’être humain, la véritable sagesse venant d’un esprit éveillé et sur le chemin du juste, du vrai, de ce qui éclaire le tout.
Bien évidemment, ce n’est pas toujours facile de fournir cet effort quand on est pris dans l’étau des oppressions de la maladie ; néanmoins, je sais parfaitement que, lorsque je fais ce virage, j’obtiens à coup sûr un état largement plus paisible. Et c’est ce que j’ai fait. Après mon dernier Email, j’ai de nouveau vidé la pharmacie et décapsulé tout ce que je savais susceptible de me plonger dans un coma, tout en mesurant que cela ne pouvait pas aller plus loin et m’être fatale.
J’étais devant mes pots de yaourt remplis de pilules et partagée devant deux évidences :
J’étais quelque peu indécise bien que j’optais plutôt pour le côté de la balance de la martyre. J’ai commencé par ingurgiter le zyprexa, prévoyant qu’en commençant par ces cachets, je serai dans un état plus favorable pour enchaîner sur les prises de lithium et de tout le reste beaucoup plus fourni que la dernière fois, histoire de me rapprocher d’avantage vers un coma. Une petite descente d’alcool au préalable aida largement à faire n’importe quoi. A ma grande surprise, Y. est rentré plus tôt, car il était prévu qu’il ne reviendrait pas avant plusieurs heures, c’est à dire assez pour que je m’envoie le cocktail tout en calculant qu’il serait là à temps au cas où j’étais allée trop loin dans mon pari. Ma tentative fut donc avortée dans l’oeuf et je lui dis de suite que je n’avais encore quasiment rien pris. Déçue de cet exploit manqué auquel je tenais tant, il obtempéra pour satisfaire la consolation que je lui suppliais et me procura de quoi noyer mon navrement dans une bouteille de vin. S’en suivit une soirée de soulagement plongée dans l’oubli de la réalité, dans l’ivresse qui panse toutes les tristesses, en l’occurrence, d’un Mont Bazillac cognant solidement contre le zyprexa. Ce ne fut pas non plus une cuite sévère au point de me réveiller entre les nausées et les maux de crâne.
Le lendemain pointa donc dans le calme et le silence, bien loin des tumultes de la veille et pourtant, toujours et encore coincée dans ce lite-motive involontaire du "rien en me fait envie et je n’ai envie de rien". hors, dans ces cas là, j’ai toujours la possibilité de me laisser aller vers les pensées qui se bousculent jusqu’à ne voir que ma vie en lambeaux ou de lutter au mieux pour assujettir l’esprit à des idées plus rationnelles. Ce jour-ci, je n’avais envie de remonter sur le manège qui faisait rage depuis une semaine. J’ai donc opté pour le combat à l’instar de la facilité. A force de résister en pensant à quelques phrases philosophiques qui me semblent essentielles, j’en suis venue à me stabiliser correctement. Pas assez pour avoir envie de quelque chose, ne serait ce que d’un tout petit rien, mais assez pour me mettre en mode automatique et prendre ma douche sans me tanner pendant des heures, ni pour faire un brin de ménage. Le tout en m’acharnant à comprendre au mieux les conceptions philosophiques que j’avais décidé de garder en tête afin d’en percer un sens plus approfondi, ce qui m’assurait le double avantage de me maintenir à peu près stable bien que toujours dénué d’envies et d’un filet de joie.
Puis les pensées défilant dans un rythme agréable et rationnel, j’en suis venue à reconsidérer ma vision des choses. Tout d’abord, je réalisai et ce, pour le nième fois, on peut plutôt parler de se remémorer combien la vie est précieuse. En qu’êtres humains nous avons le devoir de la protéger puisqu’une des grandes merveilles de ce monde est que la vie est neutre et suit son court, ne demandant qu’à être bienveillante envers ceux qui la cultivent aussi précieusement que possible. Ce qui amène naturellement à un principe basique selon lequel il faut dans ce même élan choyer sa propre vie. Car en toute logique, bafouer sa vie, la négliger, la mépriser au point de la détruire et la pourrir revient, non seulement, à ne lui donner strictement aucune chance de connaître mieux, mais parallèlement à créer une véritable offense à l’ensemble "grand tout" de la vie, autrement dire contribuer à l’influencer vers un autre équilibre des plus défavorables. En somme, il est nécessaire de chérir sa vie, ne serait-ce que par égard envers la vie, véritable puits sans fond dont on est le vecteur (et donc représentant en force) tout comme elle ne réside qu’en tout être vivant. Prendre soin de l’un et de l’autre, c’est maintenir l’équilibre "mystique" (mot employé dans le sens étymologique, c’est-à-dire caché, et non dans le sens superstitieux), pour ce, il faut réaliser et faire intrinsèque cet éveil comme quoi les deux ne font qu’une seule entité ; aucune supérieure à l’autre, puisque totalement confondues l’une dans l’autre.
Jusque-là, rien de surprenant. On retrouve ces principes élémentaires dans les philosophies européennes (surtout explicitées chez les présocratiques : cf. l’âme chez Aristote) tout autant que dans les philosophies asiatiques (cf. certaines écoles bouddhiques) et indiennes des Amériques, et encore je n’étudie pas celles d’autres origines (je reconnais que c’est un tort). Ainsi, je n’ai fait que me remémorer ce que je sais depuis mes douze ans ; toujours est-il que l’on perd parfois, voir souvent, cette loi incontournable et qu’il ne fait aucun mal de s’y re-pencher surtout que l’on a jamais finit de s’en imprégner encore et encore, pour le vivre naturellement à chaque instant, dans chaque cellule et plus encore. Si cela me permettait de rester hors de l’eau, pourquoi ne pas m’en servir ? Tous les nobles moyens ne sont-ils pas bons en temps de guerre ?
Puis viens inéluctablement la grande question : d’une part, il faut recommencer à ne pas perdre vue cette vérité, d’autre part, comment y parvenir mieux qu’auparavant ? Je me suis donc penchée sur une vue d’ensemble à laquelle une seule réponse n’est valable, et que je connais fort bien, et ce depuis longtemps.
Pourquoi en repensant à ce journal, je n’ai qu’une impression de suites de plaintes ?
Pourquoi suis-je obsédée par l’argent, non seulement pour être soulagée des dettes et du minimum vital mais aussi, il faut l’avouer, pour bien d’avantage, c’est à dire un confort digne d’un cadre supérieur et entreprendre plein de choses variées et excitantes qui n’en restent pas moins des privilèges pour gens fortunés ? Pourquoi autant de plaintes sans fins sur ce qui fait mon quotidien bien assez acceptable pour qui sait éprouver de la reconnaissance envers le "déjà" ? Pourquoi sans cesse quémander de la reconnaissance envers tout le monde, je veux dire par là, des applaudissements dès que je fais quelque chose alors que c’est plus que normal, pour chaque effort, pour chaque pas en somme ? Pourquoi je ne songe jamais à la guérison et me conforte avec complaisance dans le fait d’être malade ? Pourquoi ai-je toujours adoré le fait d’être celle qui fait plus que les autres dans l’ombre, que d’être celle qui fait, tout simplement, au grand jour ? Pourquoi j’entretiens le sentiment de n’être absolument rien puisque c’est faux ? Pourquoi je persiste à être sans cesse en demande ? Pourquoi je ne veux qu’exister que pour aider les autres si ce n’est que pour recevoir mille bouquets de fleurs ? Et la liste est bien longue pour tout énumérer car, il y a autant de "pourquoi" qu’il y a de facettes à une vie d’humain.
Dans tous les cas de figures, une seule réponse est valable en ce qui me concerne : je suis avide; avide de choses matérielles, avide d’exister aux yeux des autres, avide que l’on me porte aux nues, avide d’être exceptionnelle, avide d’avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière. Je suis belle et bien avide de tout et en tout points.
Ceci encore n’est pas une révélation. Je l’ai notée plus d’une fois. Ce n’est qu’une piqûre de rappel. Certes, je ne tombe pas de haut devant cette constatation. Est-ce une excuse pour autant ? Non, point. Du tout. J’ai choisi délibérément mon aveuglement et ma plongée dans des eaux troubles faites d’illusions et de refus de savoir et d’être et de faire. Qui suis-je pour demander autant si ce n’est qu’une personne dont les prétentions ne sont pas pures, au contraires, elles sont purement celles d’une d’égotiste (ce dit d’une personne égoïste et égocentrique à la fois). A chaque fois que je me retrouve devant ce constat sans appel et aussi froid que la réalité l’est, je suis prise entre la déception et la colère de ne pas avoir eu le courage de garder en tête tout ceci, c’est assez douloureux du moins. A contrario, cela me renvoie à l’idée de renouveler ma détermination de dépasser cet aspect de moi-même, de bâtir sous d’autres bases plus proches du juste milieu qu’exige la vie et la réussite d’une vie personnelle.
La preuve en est que j’en suis à 40 pages de la fin du livre (livre de Kay Jamison "Unquiet Mind" - traduit "de l’exaltation à la dépression") que vous m’avez prêté et, il y a encore quelques jours, j’éprouvais un ennui, non seulement parce qu’elle perd de cette euphorie intellectuelle, mais surtout parce que sa vie devient "normale". Hors, à ce jour, je me rend compte que sa stabilité et son bonheur correspondent inéluctablement avec le fait qu’elle se sert de son métier pour éclairer la science et se montrer preuve vivante de la guérison auprès des patients souffrant du même mal.
Ainsi, devant vous, je reformule à nouveau ma décision de corriger mes attitudes erronées afin de chérir ma vie à la hauteur de tout ce qui est possible de faire afin d’aller dans le sens de la vie. De plus, je renouvelle le vœu d’aller par-dessus mes petites aspirations toujours basées sur l’avidité afin de me remettre à contribuer de construire un monde qui mérite mille fois mieux une personne éveillée à l’essentiel.
J’espère que, dans ce sens, vous serez si possible mon garde fou, et pour se faire, je souhaite vivement que, dès le moment où je remettrai les pieds, par écrit, dans la plainte, vous n’hésiterez pas â me renvoyer vers ces pages plus censées que d’habitude et qui peuvent déboucher sur plus loin, transcendant le faux pour le mieux. Pour ma part, je vais faire de mon mieux pour entretenir cette conscience et la pousser vers plus aigu. Je vais aussi faire attention à ne plus manquer une seule prise de lamictal comme il arrive parfois de l’oublier.
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