Les TOC d’accumulation : vrai TOC ou pathologie dépressive ?
9/10/2011
Anxiété / TOC > Techniques pour lutter contre les TOC
Dans un TOC d’accumulation, on retrouve toujours les mêmes éléments :
Cette peur à l’idée de jeter un objet important ou un papier qui sera un jour vital, et cette indécision à savoir ce qui est important et ne l’est pas, sont, pour nous, les deux éléments qui brouillent les pistes quand à la compréhension de ce TOC, et fait passer pour trouble anxieux ce qui est de l’ordre d’un trouble dépressif. Le TOC d’accumulation ne serait pas une contrainte de gérer un danger, mais une contrainte de ne pas couper avec un passé. Dans les deux cas, certes, nous avons une notion de contrainte, mais le danger n’a rien à voir avec la notion d’idéal perdu.
Hartl et Frost (1999) et Steketee et coll. (2000) ont mis au point un protocole : 90 à 96 heures de thérapie, au domicile du patient. Sur 50 sujets traités, 8 ont été soignés. Autant dire que ce n’est pas très concluant.
Prenons le cas d’un patient qui a consulté récemment au CTAH, afin de bien comprendre en quoi le TOC d’accumulation n’est pas un fonctionnement anxieux comme les autres TOC.
Monsieur xxx consulte à ce jour pour des TOC d’accumulation.
Monsieur xxx décrit une Dysthymie depuis l’âge de 17 ans, « car je n’ai pas pu choisir mes études, j’ai été élevé dans une famille d’ingénieurs. Cet état de mélancolie n’en finit pas, avec des périodes plus intenses quand il y a des déclencheurs ou des conflits. Je suis perpétuellement dans la fuite, avec l’impression de ne pas pouvoir atteindre les objectifs imposés par la société. Pour réaliser un objectif je dois être seul. En équipe, cela ne marche pas, je fais trop confiance et je me fais avoir à chaque fois par un manque de reconnaissance. Je n’arrive pas à m’affirmer ». Monsieur xxx ressent une hypersensibilité à la critique et au rejet, et peut se mettre en colère quand il accumule trop. L’humeur actuelle serait déprimée.
Monsieur xxx se sent dysthymique mais ne décrit aucun élément d’Episode Dépressif Majeur. Aucune tentative de suicide ou hospitalisation n’est trouvée.
Aucun élément d’hypomanie n’est trouvé.
Monsieur xxx se décrit comme « hyper bosseur, j’ai du mal à me poser, je fais beaucoup de sport en championnat, j’ai du mal à rester en place et ne rien faire pendant les vacances ». Une hypothèse de tempérament hyperthymique est posée. Un Crowded Thoughts est trouvé avant chaque veille de championnat. Monsieur xxx a fumé 3 paquets de cigarettes par jour de 18 à 35 ans.
A 18 ans, Monsieur xxx a commence à accumuler : « J’ai voulu arrêter le passé, donc j’ai commencé à stocker tout ce que j’aurais aimé faire dans ma vie : je gardais les cours de maths Sup, comme si c’était sacralisé, il ne fallait pas les toucher, ils étaient plastifiés, rien ne devait être jeté, avec des lavages de mains importants pour ne pas les salir. Je ne récupère rien mais j’ai une immense difficulté à tirer un trait sur la vie que je n’ai pas eue. J’essaie de ne pas posséder de nouvelles choses, mais je suis incapable de faire du vide de peur de jeter une chose qui serait utile à mon éternité, c’est à dire des écrits qui pourraient comporter une idée importante. Cette idée d’éternité, c’est vraiment le papier, l’écrit, l’idée qui pourrait me permettre d’avoir une réputation un jour. Toute la maison est envahie, notamment les 3 caves. ». Monsieur xxx a suivi une TCC pendant un an, avec des objectifs, qui aurait donné de bons résultats, mais pas de guérison.
C’est, à notre connaissance, l’une des rares fois que nous sommes amenés à voir un patient qui décrit aussi clairement le noyau dur de sa maladie : la chose ratée, la vie idéale que l’on n’a pas eue, la perte, qui sont 3 composantes du discours typiquement dépressif. Le patient n’accumule pas par souci d’éviter une catastrophe ou un danger, comme les autres TOC, mais pour tenter de se rapprocher d’une vie qu’il n’a pas eue.
Prenons le cas d’un autre patient souffrant d’accumulation.
Monsieur xxx souffre d’un TOC d’amassage. Il ne jette aucun journal, a tous les anciens documents de sa carrière professionnelle, tous les courriers. « J’ai 70 cartons dans le salon ». Il accumule les tickets de caisse, achète des cds en se demandant s’il les a déjà, a de vieilles boites de médicaments, des prospectus et des revues. « J’accumule ce qui pourrait resservir. »
Monsieur xxx a été licencié économiquement en 1995. C’est à partir de ce moment-là que le TOC a débuté. Il déteste que l’on dérange ou que l’on jette à sa place. L’accumulation serait pour lui un lien avec le passé : « J’ai tous les documents, je pourrais reprendre ce travail n’importe quand. Je mets tout dans la cave. Jeter, c’est enlever un peu de moi-même. »
Au niveau de l’humeur, Monsieur xxx serait dysthymique depuis 2000, il passe ses journées dans son lit. Il a des images de ses échecs qui reviennent à son esprit et il rumine comment il aurait dû faire. « J’ai un problème existenciel. J’ai été directeur, aujourd’hui je ne suis plus rien. » Monsieur xxx décrit la perte d’un statut social. Il n’a plus aucune énergie et n’a goût à rien. « J’aurais besoin qu’on s’occupe de moi, qu’on me fasse confiance, qu’on investisse en moi. » Quand il parle de ses vingts ans, Monsieur xxx se rappelle avoir voyagé dans de nombreux pays pour travailler, avoir été très dynamique.
Dans ce cas présent, le patient décrit bien les symptômes de dépression, de vie passée ratée, d’échec, de tentative de se reconnecter avec un passé souhaitable et regretté.
Dans ces deux cas, si on demande aux patients de jeter les papiers et objets, on les sépare définitivement de leurs souvenirs, espoirs, on casse encore plus leur estime personnelle. On les force à faire un deuil qu’ils ne sont pas aptes à commencer. C’est sûrement ce point qui provoque chez ces patients accumulateurs une telle opposition dans la thérapie. Quand un membre de leur famille jette des choses dans leurs dos, c’est un cataclysme, c’est un arrachement, une trahison.
Finalement, si la problématique est avant tout dépressive, que le patient a du mal à se séparer d’une partie de lui-même, que l’estime de soi est mise à mal suite à un échec, ne serait-il pas plus intéressant de travailler plus particulièrement sur cette estime de soi ? Allons-nous pousser le patient à jeter et à encore plus tirer un trait sur sa vie passée, ou l’aider à réinvestir le présent et le futur, développer de nouvelles compétences plutôt que s’attacher au passé ?
Le travail sur l’estime de soi nous paraît une hypothèse prometteuse, en attendant que des études se penchent sur la question et nous disent ce qu’il en est.