02 : fatigue et ruminations
31/12/2009
Témoignages > Bipolarité > Ma dépression
Durant les semaines qui ont suivi, j’ai énormément ruminé, je pensais toujours aux mêmes choses, j’avais toujours les mêmes images dans la tête, je tentais constamment de comprendre ce qui m’arrivait, et je continuais â faire des ? blocages mentaux ? malgré moi. J’ai regretté mon voyage, les bons souvenirs de mon année passée, puis ma vie entière. J’avais constamment des idées noires, je ne voulais rien â part remonter le temps et faire en sorte que tout ça ne soit jamais arrivé. Tout me pesait, tout me semblait vide de sens, je remettais tout en question. Je cherchais des réponses â ce qui m’arrivait dans tout ce que je voyais, que j’entendais, que je ressentais. J’ai aussi beaucoup cherché d’informations sur Internet pour comprendre ce qui m’arrivait mais finalement tout ça ne m’aidait pas vraiment, voire pas du tout. J’ai énormément de souvenirs de mon enfance qui ont également refait surface, et pas parmi les meilleurs. Des images, des lieux, des évènements, des gens, tout un tas de choses qui me mettaient mal â l’aise plus qu’autre chose. J’avais l’impression que tous ces souvenirs dont je me rappelais tentaient de me délivrer un message, de me faire comprendre ce que cachait mon état, de répondre â mes interrogations. Je pense que c’est un processus naturel que de se poser â certains moments des questions sur ce qui nous arrive, qui l’on est, ce que l’on veut vraiment, où l’on va, et de tenter de relativiser quand ça ne va pas. Un homme est empli de doutes â de nombreux moments de sa vie et il est encore plus normal de se poser des questions de ce genre â 17 ans. Mais â ce point ça devient une véritable torture. Des questions sans réponses qui ne font qu’en naître d’autres, une dévalorisation constante, l’impression qu’on ne mérite pas l’affection de ses proches, et une énorme culpabilité: je vivais un enfer quotidien.
Je me suis souvent imaginé qu’en parler â quelqu’un me permettrait de prendre du recul et de mettre les choses au clair. Mon premier cri de détresse s’est produit un jour de la fin des vacances où je me sentais particulièrement mal. J’ai appelé M. et j’ai pleuré au téléphone, mais incapable de comprendre ce qui m’arrivait, je n’ai pas pu lui expliquer ce qui n’allait pas et elle m’a reproché de pleurnicher pour rien, que je n’avais aucune raison de me sentir mal. Et elle avait raison. Je n’avais aucune raison d’aller mal, et c’est ça qui m’attristait le plus. Le soir même, j’ai pour la première fois depuis longtemps dormi avec ma s?ur et c’est la première personne â qui j’ai décidé de tout confier. Je lui ai tout dit, y compris comment le déclic s’était produit. C’était sûrement ce qui était le plus difficile â raconter pour moi car je me sentais ridicule d’avouer ça. Je lui ai demandé si je devais avoir si honte de moi, si c’était si ridicule et elle m’a dit qu’elle ne me comprenait pas mais que je ne devrais pas m’en faire pour si peu, qu’elle aussi il lui arrivait de ne pas se sentir bien et ça m’a réconforté. Malheureusement le fait de tout lui avouer n’a pas eu l’effet que je souhaitais et je ne me suis pas senti tellement mieux. Le lendemain soir, mes parents s’étant rendu compte que quelque chose n’allait pas depuis plusieurs jours, m’ont demandé ce qui se passait et je leur ai tout raconté également. Ma mère ne me comprenait pas du tout mais mon père m’a dit qu’il lui était arrivé la même chose â mon âge et que je ne devais pas m’inquiéter, que c’était l’adolescence qui voulait ça. Il m’a beaucoup réconforté en me disant ça et je me suis senti un peu mieux. Car au moins je me sentais moins seul. Eh oui dans des moments comme celui que je traverse, on se dit tout le temps qu’on est le seul â souffrir de cette façon, ce qui est très certainement faux.
Finalement, la rentrée s’est déroulée sans problème mais même si je me sentais un peu mieux certains jours, la tendance générale n’était pas â la joie de vivre. Le stress du lycée, le boulot, la reprise des activités extra-scolaires, tout ce qui faisait partie de mon quotidien me faisait peur, je me sentais incapable de surmonter tout cela et je me suis mis â angoisser de plus en plus fréquemment. J’avais du mal â me concentrer en cours, du mal â travailler, du mal â dormir, mal au ventre, mal partout. Une sensation que tout n’est que souffrance. Mon père a décidé de m’emmener chez notre médecin traitant. Elle m’a senti très mal et m’a dit que j’allais devoir consulter un psychiatre car mon état risquait d’empirer. Ce fut un coup dur pour moi. Je ne voulais pas m’avouer vaincu, pas renoncer de cette manière. Je m’étais mis dans cette situation tout seul, il fallait que je m’en sorte sans aide, que je surmonte moi-même mes problèmes. Pour moi, me faire soigner c’était accepter la défaite, je me disais que ça ne changerait rien car même si des médicaments m’aidaient â aller mieux, ce ne serait qu’un leurre, une façon de masquer la réalité. Mais il a bien fallu me rendre â l’évidence: je ne pouvais pas rester dans cet état, il fallait faire quelque chose. On a pas réussi â avoir un rendez-vous avant quelques semaines chez le psychiatre. L’attente allait être longue. Je me sentais mal, de plus en plus mal, de jour en jour. Je me sentais prisonnier de mon sort, l’impression que jamais je ne m’en sortirais. J’avais beau discuter avec ma mère pendant des heures, tenter avec elle de comprendre ce qui n’allait pas, je demeurais inconsolable. On a discuté de choses qui m’ont parfois mis mal â l’aise, je me disais qu’on allait trop loin, qu’on coupait trop les cheveux en huit et je pense que c’était pas la meilleure des façons de m’aider â m’en sortir. Et puis ma mère n’est pas psy, tout ce qu’elle est en mesure de faire c’est m’écouter et tenter de me réconforter.