02: Lʼamour face aux débuts de la bipolarité
31/12/2008
Témoignages > Amour, sexe, couples > Couple bipolaire
La dépression, c’est le pendant exact de l’euphorie. En euphorie, on est incapable de voir les aspects négatifs, tout est déformé par notre cerveau. En dépression, on est incapable de voir le positif, tout est également déformé par notre cerveau. En euphorie, on se croit très fort et très intelligent. En dépression, on se trouve très nul et la pire mer** que la terre ait jamais portée. Je disais souvent à Stéphane qu’il fallait qu’il me quitte. Qu’il y avait "tromperie sur la marchandise". Que je ne pouvais plus être celle qu’il avait rencontrée, que la dépression, que je croyais avoir vaincue grâce à mes années de psychothérapie analytique était revenue et qu’il n’y avait aucune raison qu’il supporte ça. Lui me répondait qu’il était un grand garçon, qu’il m’aimait toujours et qu’il n’avait aucune envie de partir. Qu’on s’en sortirait. Il restait très calme. Très pragmatique. Pas de grandes phrases ni de grands déclarations romantiques mais des faits. Il s’occupait de moi. Il était présent. Il passait régulièrement dans la chambre. Il était très attentif à mon état. Il manifestait par des actes son intérêt pour moi. Il ne faisait pas passer ses états d’âme avant les miens, ne s’impatientait jamais, assurait le quotidien comme il pouvait, malgré son handicap. Jamais un "essaie de faire ça", jamais le moindre reproche bien évidemment, ça, c’est le pire qu’on puisse faire à un dépressif.
Stéphane est quelqu’un qui a énormément d’empathie. Il a souffert pendant mes quelque huit mois de dépression. Mais jamais il n’a reporté sur moi sa souffrance. Il m’a accompagnée chez mon psychiatre et a demandé à la voir pour discuter avec lui de la meilleur façon de m’aider. Il a été très déçu que le psy lui réponde que ce qu’il faisait était très bien. Il aurait voulu faire plus.
Et puis un jour, je suis remontée du gouffre, hop hop hop, comme ça. Retrouvés, ma joie de vivre, ma gouaille, mon allant. Bon, ça n’était qu’une dépression réactionnelle, après tout. Méchante mais bien normale, on ne vit pas impunément la mort subite d’un compagnon aimé avec qui on avait décidé de finir sa vie, tout de même. Mais ma belle énergie, mon élan vers les autres, c’était bel et bien acquis, puisque tout m’était rendu.
Sauf que... sauf que cette fois, se mêlait à la sauce un nouvel ingrédient, pas désiré, celui là : la vapeur. Je devenais peu à peu une vraie cocotte-minute. Cà n’était plus seulement dans les files d’attente des magasins, que je devenais explosive, mais partout, même à la maison, ça pouvait péter à tout moment. Et qui était en première ligne ? Hé oui. Je commençai par remarquer que tous les soirs, vers 23 heures, je lui passais un savon. Oh, j’avais beau bien réfléchir, il était toujours mérité. Mais pourquoi tous les soirs à la même heure ? Bizarre et même étrange.
Et puis pour moi-même ça devenait invivable, cet état de tension permanent. J’en avais mal dans le haut des dorsales et la nuque en permanence. Je ne savais plus comment faire pour me détendre. Stéphane me prescrivit des bains chauds. Le soulagement cessait dès que je sortais de l’eau. J’en arrivai à donner des coups de poing dans les murs, pour tenter d’évacuer. Je pris ma voiture pour me rendre dans un endroit isolé et crier à fond. Rien n’y faisait. Je dormais très peu. Stéphane suggéra de la musique de détente. Il me commanda un lecteur MP3 et m’enregistra des bruits de la nature, me fit des compilations de musiques douces. Je me mis à vivre dans une bulle, le casque incrusté dans les oreilles. Même au supermarché, je ne le quittais plus. Je m’endormais avec, sans je ne pouvais plus. Stéphane me laissa absolument tranquille, je ne supportais plus aucun contact, ni verbal ni physique. Et je continuais à être sur-active.
Le dénouement fût une nouvelle dépression. Ce fût, dans un premier temps, une délivrance. Et puis je recommençai à endurer la douleur de cet état.
C’est au cours de ce second épisode dépressif que je diagnostiquai ma maladie, ma bipolarité (voir dans le forum diagnostic : "Diagnostiquée par Michael Crichton et Kerry Weaver").
Stéphane participa à mon diagnostic, suivit avec moi mes recherches sur internet, m’accompagna au rendez-vous chez mon psychiatre, rendez-vous où ce dernier cracha enfin sa Valda, s’intéressa autant que moi aux descriptions et explications de la bipolarité et aux soins et suites à donner. Mieux que n’importe quel père au monde suivant la grossesse de sa femme. Je crois que jamais compagnon n’a autant et surtout aussi bien épaulé sa compagne. Juste comme il faut. Sans excès, avec calme, sans trop ni pas assez. J’ai énormément de chance.
