Association CTAH-Recherche

Le dossier du moisJuin 2012

Vivre avec un cyclothymique

Fratrie, conjoint, parent, quelles sont leur vie ?

L'edito

par Dr Hantouche

Vivre avec un cyclothymique, cʼest réinventer la communication

La cyclothymie ne touche pas seulement le patient mais aussi lʼensemble des proches qui cohabitent avec lui. Les influences de la cyclothymie et de lʼentourage sont mutuelles, à tel point quʼon ne sait parfois plus distinguer les causes des effets, surtout si lʼon tient compte de lʼhypersensibilité et la réactivité excessive des cyclothymiques à leur environnement émotionnel.


En effet, lʼattitude dʼun parent jugée comme « toxique » et « trop critique » à lʼégard dʼun jeune cyclothymique peut être une conséquence de la cyclothymie et non la cause. En même temps, une telle attitude, bien que légitime, nʼest pas du tout positive sur lʼévolution de la cyclothymie. Elle ne peut que contribuer à augmenter le risque de rechutes dépressives, à favoriser une mauvaise adhésion du patient à son traitement, à accentuer les conflits relationnels.


Vivre avec un cyclothymique nʼest jamais neutre. Cʼest une opportunité de changer, de ne pas être classique, dʼinventer de nouveaux modes relationnels, dʼêtre empathique, de comprendre la souffrance du cyclothymique, malgré sa complexité.


Nous allons tenter dans ce dossier de faire le point sur cette question, encore très peu explorée, et de dégager des conseils les plus utiles pour les proches.

La tribune

par Melle Majdalani

Vivre avec un jeune cyclothymique : le rôle de la famille

Les parents ont donc besoin de comprendre la cyclothymie et ses conséquences sur la famille. A partir de cette étape, ils sont aidés pour mettre en place une discipline auprès des enfants bipolaires - ce qui représente pour les parents un véritable défi et en même temps un début de mieux vivre avec le jeune cyclothymique.

Les méthodes éducatives classiques ne marchent souvent pas. Il est ainsi bénéfique dʼapprendre à être flexible, en raison notamment des changements émotionnels parfois tellement brusques que les parents nʼont pas le temps de les voir venir et qui les prennent le plus souvent de cours, les déstabilisant et leur faisant perdre vos moyens.


La première leçon à retenir : « Eviter les rapports de force où vous tenez à tout prix à imposer votre autorité parentale ». Vivre avec un jeune cyclothymique est une occasion dʼinventer et dʼimproviser dʼautres méthodes et styles pour exprimer lʼautorité parentale. Il faut de lʼautorité qui donne des limites au jeune cyclothymique - une autorité ferme mais sans excès, une autorité qui aide le jeune - une autorité qui se fait sans critiques, sans trop de contrôle, sans lutte de pouvoir.

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La tribune

Amour, couple et cyclothymie

par Marie, co-administratrice du forum Bipolaire-info

Sur le forum de Bipolaire-info, je vois très souvent arriver des hommes ou des femmes complètement perdus, effondrés, presque anéantis, appelant au secours. Ils vivent avec un bipolaire de type I, généralement en phase maniaque et cherchent à comprendre ce qui se passe et ce quʼils peuvent faire. Ils sont confrontés à des violences, à des trahisons, à des infidélités, à des abandons, à des mensonges répétés, à des changements incompréhensibles de personnalité. Rien de tel avec ceux qui vient avec un ou une cyclothymique. Serait-ce à dire quʼavec eux la vie est un long fleuve tranquille ? Pas exactement bien sûr, mais les symptômes sont moins spectaculaires, même sʼils existent bel et bien.

Le cyclothymique est charmant et changeant


Le cyclothymique est un petit animal charmant, très séduisant. Il sait attirer amoureux et amoureuse, le pendre dans ses filets, le séduire, le charmer, lʼéblouir. Comme le paon, il déploie toutes ses plumes, il adore lʼétat amoureux, il excelle dans lʼart de la séduction, cʼest un artiste de la parade amoureuse. Auprès de lui on a lʼimpression de nʼavoir jamais été aimé comme ça, dʼêtre le centre de lʼunivers, la merveille des merveilles. Il va vous couvrir de cadeaux, vous inviter au restaurant, ne regardant pas à la dépense, vous appeler dix fois par jour. Vous pourriez fort, le jour ou vous irez chez lui ou elle, marcher sur un tapis de pétales de roses jusquʼau lit. Et là, ce sera le feu dʼartifice !
Ca, cʼest le début. Ensuite, vous risquez de déchanter un peu...

Le cyclothymique est un petit animal changeant, très changeant. Passées les premières semaines dʼeuphorie, vous allez découvrir que vous vivez avec quelquʼun qui peut changer dʼhumeur en très peu de temps, charmant puis la seconde dʼaprès maussade voire agressif, vous faisant une scène sans aucune raison. Quelquʼun qui va se mettre à critiquer tout ce que vous faites, la façon dont vous vous habillez, le bruit que vous faites en mangeant, les émissions que vous regardez à la télévision. Puis va de nouveau être de très bonne humeur et vous raconter une histoire drôle, comme si rien ne sʼétait passé. Vous nʼaurez pas vraiment envie de rire, bien sûr et lʼautre ne comprendra pas. Vous tenterez de lui expliquer mais il ou elle niera, semblant avoir tout oublié.
Dʼautres fois votre compagne ou compagnon semblera pris dʼune frénésie dʼactivité, infatigable, elle changera de place tous les meubles du salon jusquʼà 3 heures du matin, il fabriquera un bar toute la nuit. Mais plus souvent il ou elle sera triste, abattu, déprimé, refusant de sortir, sans désirs. Vous aurez beau tenter de lʼaider, essayer de discuter, vous vous heurterez à un mur, votre cyclothymique préfèrera rester seul et tranquille dans son coin, ce que vous aurez beaucoup de mal à vivre, vous vous sentirez exclu.

Le cyclothymique en couple, études de cas


Madame L. se prend de querelle avec son compagnon tous les soirs, sans raison (elle ne sʼen rend pas compte). Elle est constamment sous pression, donne des coups de poing dans les murs pour tenter de se détendre mais en vain, ne supporte plus rien, lʼattente aux caisses au supermarché, le bruit des voisins, le klaxon dʼune voiture, la sonnerie du téléphone. Elle a beaucoup de mal à dormir. Elle essaie les bains chauds pour se détendre, lʼécoute de musique relaxante au casque, rien nʼy fait. Au bout dʼun certain temps, son compagnon nʼen peut plus et craque, parle de partir. Elle lance un SOS à son psychiatre qui lui prescrit de la Dépakine. Résultat presque immédiat et miraculeux : disparition des états mixtes, une complication de sa cyclothymie, fréquente chez les cyclos.

Mademoiselle D. vit en couple depuis dix ans. Elle est très souvent en dépression. Lorsquʼelle a connu son compagnon, elle avait un job intéressant, tout allait bien. Et puis un harcèlement au travail a mis à jour la maladie et lʼa menée à lʼinvalidité. Elle est maintenant cyclothymique dépressive avec des montées en hypomanie et des mixtes. Elle est très ambivalente vis à vis de son compagnon. A la fois férocement jalouse et terriblement critique. Elle lui reproche de se faire exploiter au travail, dʼêtre trop proche de sa mère, de ne pas assez sʼoccuper dʼelle, de manquer de romantisme. Elle ne supporte pas le quotidien, vit dans le regret dʼune relation passée, impossible et passionnée. Elle agite souvent la menace dʼune rupture, fait des scènes, puis se réconcilie, bref, ne sait pas ce quʼelle veut vraiment. Son compagnon ne sait jamais dans quel état il va la trouver quand il va rentrer du travail et il a tendance a faire de plus en plus dʼheures supplémentaires. Elle est très dépressive, dort le jour et vit la nuit, ne sort pas de la maison car agoraphobe, a par moment de fortes pulsions suicidaires.

Monsieur R., à la différence dʼautres cyclothymiques, nʼa pas enchaîné les relations amoureuses. Hormis quelques amourettes, à 35 ans, il nʼa vécu que deux relations longues. Pour la première, comme pour la seconde dʼailleurs, il sʼest engagé trop vite, trop fort, sans prendre le temps de connaître lʼautre. Il a mis longtemps a se remettre de la rupture. Il supporte mal la solitude. Cʼest un faux calme, dʼun tempérament toujours un peu dépressif, pas sûr de lui, très impliqué dans son travail. Sa nouvelle compagne lui a fait un enfant dans le dos, ce quʼil a accepté et a très vite parlé mariage, ce quʼil a refusé. Elle le harcèle à ce sujet mais il résiste. Elle a trois enfants de deux premiers mariages, dont il sʼoccupe aussi. Elle est volubile, très excessive, querelleuse, il va sʼavérer quʼelle aussi est cyclothymique. Ca donne bien évidemment un couple tout à fait explosif, dans la passion et dans les scènes de ménages, qui va devenir peu à peu invivable. Monsieur R. voit son état sʼaggraver, ses dépressions sont de plus en plus sévères avec idées suicidaires. Il doit finalement être hospitalisé pour ne pas passer à lʼacte plusieurs fois et finit par quitter sa compagne. Il est actuellement en recherche dʼun traitement efficace.

Madame F. a une histoire familiale très chargée avec de nombreux cas de suicides. Elle même a déjà fait plusieurs tentatives. Cyclothymique avec de nombreux épisodes mixtes, elle vit une relation depuis cinq ans sans cohabiter avec son amoureux. Elle a un jeune fils dʼun précédent mariage. Elle est particulièrement réactionnelle et son humeur est très instable. Elle vit à fleur de peau, tout le temps. Un rien suffit à lʼirriter ou à la rendre heureuse. Elle ressent très fort le moindre conflit au travail ou dans sa vie amoureuse, la moindre petite attention la touche. Elle semble ne pouvoir vivre que dans la passion... et le conflit. Très régulièrement elle annonce que tout est fini entre elle et son amoureux, elle souffre alors mille morts, perd le peu dʼestime dʼelle-même quʼelle pouvait avoir, voit tout en noir. Son entourage essaye de lʼaider car cʼest néanmoins une battante, pas le genre pleurnichard, et puis les choses sʼarrangent et la romance reprend entre les amoureux. Les conflits semblent plutôt venir dʼelle que de lui, elle se braque pour une phrase pas dite au bon moment, un geste pas fait quand il fallait, une mauvaise interprétation de son attitude. Elle le braque aussi parce quʼelle a régulièrement besoin dʼêtre seule quand elle est trop sous tension et que ça arrive trop souvent. Elle le rejette tellement souvent quʼil finit par craquer et un jour il ne revient plus. Elle fait alors une TS. Elle est sauvée par les pompiers mais comme son fils était dans lʼappartement, on lui en retire la garde, ce qui bien sûr nʼarrange pas son état.
Il est très difficile de lui trouver un traitement adéquat, sa cyclothymie est assez forte et instable compliquée de nombreux mixtes, dure depuis très longtemps, ses pulsions suicidaires sont intenses.