Comment éliminer le mal par le mal : correspondance
20/11/2010
Témoignages > Borderline
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Elle nʼa sans doute toujours pas son permis de conduire. Elle se traîne dans Paris, de quartiers populaires à quartiers chauds, de quartiers cosmopolites à rues sombres. Elle a la tendresse dʼune enfant qui joue seule à la balle mais qui aurait perdu, sans le vouloir, balle et tendresse dans une pente trop forte. Elle est parfois tombée de très haut. Dans tellement de sales casseroles quʼelle nʼen goûte plus rien de ce bouillon. Quʼelle sait juste quʼelle est tombée de haut dans le glauque et quʼil faut recracher ce que lʼon a avalé par mégarde pour sortir du bain, pour manquer le bol. Nous étions plus proches hier, je la retrouve de loin en très loin, aujourdʼhui. Elle est venue me parler de sa peau quʼelle blesse et meurtrit volontairement, quʼelle déchire et contemple, subit et défie, quʼelle chinoise et maldonne. Elle se fait mal pour dire je vais mal. Elle fait bien voir son mal, pour se faire bien voir.
Tu nʼaurais pas du mʼenvoyer ces mots et ces images à moi. Tu nʼaurais pas du. A la différence de toi, je nʼoserais pas dénuder mon bras. A la différence de toi, je ne dois pas mettre la main aux ciseaux. Sur chaque belle pièce de mon corps, sʼouvre la plaie, surgit la croûte, se détache le squame, se défile la cicatrice. Alors, tu nʼaurais pas du me dire que dʼécrire sur ta peau les signes de ta détresse tʼétait nécessaire.
Tu nʼaurais pas du mʼenvoyer ces mots et ces images à moi.
A la différence de toi, je cherche la plage lisse, le banc de sable blanc, glabre qui serait lʼîle désertée de mon corps. Je hais à tout jamais les imbéciles qui se parent de tatouages, qui sʼaffublent de piercings.
Notre discours est identique. Nous délivrons le même message : ˮTu vas mʼaimer quand même ?ˮ ˮTu vas mʼaimer quand ? ˮTu vas mʼaimer ?ˮ Tu as vu, même cette petite phrase sʼampute, sʼamenuise, se soustrait à elle même.
Mais au fur et à mesure quʼelle sʼamenuise, se rétrécit, elle grandit en supplique et en sens. Si nous étions là, en face lʼun de lʼautre, tu regretterais ce que tu as fait quand jʼaurais envie de te toucher doucement. Je regretterais ce que je suis si tu avais envie, toi de me toucher doucement. La différence est de taille. Il faut toujours dire aux gens quʼon aime quʼon les aime. Je tʼaime. ?
Ma réponse
Tu me juges avec bien trop dʼempressement.
Je nʼai pas mon permis tu as raison mais je ne traine pas plus non plus dans paris .Je ne sors que très peu. Je vais a la bibliothèque, je prends des cours de danse, jʼai dʼambitieux projets, je nʼai plus dʼalcool a la maison je fais mon ménage je me fais même a manger, jʼécoute de la musique classique en lisant des livres sur la sociologie, la psychologie lʼhistoire de lʼart et je bosse, certes dans des endroits que tu trouverai glauques mais qui mʼaccueillent tendrement et que jʼaime tendrement.
Tu me retrouves de loin en très loin parce que tu ne regardes que les mots.
Te souviens tu que je suis maniaco-dépressive, bipolaire ?
Tu mʼas mal lu !
En me scarifiant je ne réponds pas a un besoin macabre ni a un besoin de dire mon mal ...
Mais a un besoin de stopper une insoutenable douleur. Je provoque une douleur physique pour lutter contre une souffrance morale.
Et en prenant cette paire de ciseaux et en grattant je récupère le contrôle. Si la maladie était un flingue la scarification serait cran dʼarrêt.
Et cette fierté nʼest que le fruit de ma victoire contre la douleur et la folie totale.
Et je ne montre pas pour me faire bien voir.
Je montre parce que jʼai eu peur de moi, je montre parce que ce texte cʼest mon psychiatre qui mʼa demandé de lʼécrire et je lʼai écrit parce que jʼai besoin de me dire et dʼentendre dire que je ne suis pas un monstre, ou de mʼentendre confirmer que jʼen suis un.
Je nʼai rien a voir avec ces tatoué et autre qui nʼagissent que pour assouvir un désir sexuel ou dʼesthétisme ou de mode.
Jʼai bien fait de tʼenvoyer ce texte a toi. Tu me permet de me rendre compte quʼainsi jʼai provoqué indignation, rejet, incompréhension, jugement , chez un homme pourtant bien aguerri devant la noirceur de lʼhomme. Et ce texte, je lʼavais écrit en laissant tous les tabous de cotés ! Cʼest ce que je voulais ! Pari gagné.
Alors oui dans ce sens tu étais le lecteur idéal. Jʼaurai pu mettre une préface explicative je nʼy avais pas pensé tu aurais mieux compris mais jʼaime tʼavoir déstabilisé.
Je ne suis pas fière dʼêtre fière cʼest la grosse notion que tu nʼas pas intégrée.
Je ne suis pas fière dʼêtre malade.
Mais je suis fière dʼassumer ce que je fais et ce que je suis.
En agissant ainsi on peux dire que je me sauve la vie et je ne pourrai jamais le regretter
et si jʼen parle je réduits les chances de rechute.
Et à la différence de toi je veux que ceux que jʼaime me voient comme je suis. Je veux que ceux que jʼaime puissent me toucher même la ou cʼest moche même la ou ca fait mal ... parce que je veux que les gens qui mʼaiment, mʼaiment avec mes cicatrices et mes blessures ... parce que je veux que les gens qui mʼaiment ne tournent pas les yeux ne tournent pas le dos face a mon innommable.
Jʼai du psoriasis depuis que jʼai une dizaine dʼannées. Pour mes 14 ans la plaque me recouvrait la moitié du visage on mʼappelait la sorcière, les autres se reculaient ou simulaient des vomissements lorsque je passai près dʼeux. Personne ne voulait sʼassoir a coté ou après moi parce que ma peau sʼeffritait et que jʼen foutais partout sur la table.
A 22 ans jʼai une poussée impressionnante qui mʼa recouvert le dos, des omoplates au bas des reins avec crevasses et autres. Jʼétais danseuse de revue comme tu sais, je devais montrer mon corps chaque soir a des inconnus en attente de rêve de beauté alors je cachais ce que je pouvais sous dʼénormes couches de fond de teint.
Mon conjoint de lʼépoque me disait que je le dégoutais et ne voulait pas dormir dans le même lit que moi ; Puvathérapie pendant un an.
Aujourdʼhui jʼai une grosse plaque sur tout lʼavant bras juste en dessous de mes scarifications mais cette plaque, je ne la cache plus ; jʼen ai assez de lutter et de les voir revenir sans cesse a de nouveaux endroits, alors je la laisse la, nue . Il y a beaucoup de gens horrifiés et beaucoup qui compatissent et quelques un qui ne le voit pas et quelques autres qui lui donnent des baisers ... Alors tu n’auras rien à regretter !
A la différence de toi, je me mets a nu et en danger perpétuel de me voir rejetée.
Parce que je mérite quʼon me mérite je repousserai toujours plus loin ma nudité.
Relis mon texte a présent et différemment de la première fois. Après çà cʼest a toi de voir ...
Après tʼavoir lu, analysé et répondu, je nʼai plus honte de moi et je sais ou jʼen suis
je persiste à croire que je nʼétais pas le mieux placé pour lire, mesurer, apprécier, comprendre ce que tu as écrit. Tu mʼas peut-être écrit mais cʼest de moi que jʼavais lʼimpression que tu parlais. Sans le vouloir ni même lʼimaginer. Cʼest moi qui avais lʼimpression dʼêtre interrogé, mis au défi. Comment veux tu que je ne sente pas une blessure qui est mienne comme elle est tienne. Seules nos souffrances et leurs causes diffèrent, notre médication diffère. La plaie est la même.
Je suis heureux de ton dernier message, il me soulage.
Ce matin, jʼai longuement prié pour toi, pour moi. Pour ce quʼil est humble et juste de faire de nous même avec nous-mêmes, pour nous-mêmes et pour les autres. Je tʼembrasse avec une infinie douceur.