Diagnostiquée par Mickael Crichton et Kerry Weaver
1/01/2009
Témoignages > Information-Psychoéducation-Découverte du diagnostic
La mienne létait tout autant, il faut dire. De dépressions en dépressions, denvies de mourir en envies en mourir, ne me sentant bien quen début dhistoires amoureuses (évidemment, je les accumulais, voire les cumulais), je ne tenais quau fil de mes séances de Pip (psychothérapies dinspiration analytique), accrochée â la vie par la barbe du gourou viennois. Je jouais au ? je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ? tantôt assise, tantôt allongée (ça, je naimais pas du tout mais je me forçais, désireuse de bien travailler pour enfin aller mieux).
Et puis oh, miracle, vers 41 ans, tout sapaise pour moi. Pendant dix ans, plus une seule dépression. Je reste fragile, jai encore des attaques de panique parfois, je suis toujours mal â laise avec les gens MAIS je sais enfin ce quest être bien. Je me réveille enfin sans me dire : quelle horreur, encore une journée â vivre. Dailleurs, les premiers mois, quand je me réveille, je me demande quelle est cette sensation bizarre que je ressens. Et puis je la reconnais : le plaisir. Le plaisir de vivre, tout simple, tout simplement. Ayé, javais bien travaillé finalement, je récolte, je suis guérie.
En lan 2000, il ny a pas eu les grands bugs annoncés... sauf pour moi. La nouvelle responsable du service communication méjecte, alors que jadorais mon travail et je me retrouve dans un placard. Deux mois plus tard mon compagnon, plus jeune que moi, mannonce quil a envie davoir des enfants, ce qui, selon notre contrat moral, signifie notre séparation. Je me retrouve comme des manches de veste avec personne dedans. Dans un réflexe vieux comme mon monde, je fonce chez un psychiatre pour me faire re-psychothérapiser, au cas où. Il me prescrit des antidépresseurs, au cas où. Et je demande un soutien deux fois par semaine, la force de lhabitude
Pendant deux ans, je vais être dans un état étrange, inconnu. Plusieurs personnes vont me décrire comme ? pleine de joie de vivre ? ou ? une boule dénergie ?. Quand â mon futur ex, il va même me demander si je lavais vraiment aimé. Si jai, au début, subi des états danxiété très intenses, avec difficultés respiratoires, attaques de panique, sudation des mains et des pieds inhabituelle chez moi, cest vrai quensuite je suis partie â la chasse au nouveau compagnon la fleur au fusil. Au travail, jai utilisé mon temps malencontreusement libéré pour développer une activité syndicale ,tout en découvrant les possibilités de recherche de lâme soeur via internet. Jai fait des tas de rencontres, jai eu des tas de flops qui ont brisé mon ptit c?ur rose... pour au moins 24h et puis hop, je repartais comme si rien ne sétait passé. Méconnaissable.
Lété 2002, jai rencontré Thierry grâce â un site internet de rencontre sérieux. Nous nous sommes testés puis lus et approuvés. Jai résilié mon bail pour en signer un avec lui. A reconduire explicitement par les deux parties aussi longtemps que nous le souhaiterions.
Un joli dimanche de juillet, je me suis endormie pour une sieste. Quand je me suis réveillée, cest lui qui dormait, enfin non, ses yeux étaient ouverts... pour toujours. Je nai pas pleuré. Oh, de temps en temps jinterrompais ce que je faisais parce que je revoyais ses yeux vides et je hurlais comme un coyote tourné vers la lune. Sinon, jétais la plus heureuse du monde et je navais jamais eu autant dénergie. Je parlais avec nimporte qui, jallais vers les autres quils le veuillent où non :)), toute timidité, toute crainte avait disparu. Heu-reu-se, je vous dit.
Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Je nai jamais, comme mon père, cru â ces dictons populaires. En loccurrence, cest toutes ces années de psy qui mavaient rendue indestructible, cest sûr. Loué soit Freud ! Et sa disciple Monique.
Quand il est rentré de vacances, mon psychiatre navait pas lair aussi enthousiaste que moi. Il narrêtait pas de me demander si je dormais, si je mangeais, ce que je faisais de mes journées. Moi, je lui disais que je navais plus besoin de venir le voir et lui, il voulais me voir plus souvent. Il ménervait, celui-lâ . Il disait que je ne dormais pas assez. Il disait quil sattendait â me trouver effondrée et quau contraire... Il disait que ce manque de sommeil et toute cette énergie cétait dangereux. Mais comme je lui faisais confiance, je lui ai répondu que OK, cétait lui le médecin, jallais prendre des somnifères, effectivement je me sentais très fatiguée et pourtant, cest vrai, je narrivais pas â dormir plus dune heure par jour.
Quelques temps après, il ma prescrit un médicament, du Tégrétol. Il ma dit que cétait pour réguler mon humeur. Je nai pas posé de questions. Je me sentais effectivement un peu sous pression, je ne supportais pas dattendre, ça me mettait en rage. Je ne compte pas le nombre de vendeurs ou de caissières qui ont fait les frais de mon état â cette époque. Comme les héritiers de Thierry mont harcelée pour que je quitte très vite sa maison, jai dû me réinstaller très vite ailleurs et racheter pas mal de choses, tous les Ikéa de la région parisienne doivent se souvenir de moi
Sous Tégrétol, en quarante-huit heures, le soufflé a fait pschit, jai dormi pendant deux jours et ensuite ce furent les larmes et la dépression. Pendant plusieurs mois. Une méchante, comme autrefois, avec envie de mort et toute la panoplie. Jai relié mon état au Tégrétol, que jai arrêté. Jen ai informé mon psychiatre. Il na pas battu un cil. Jai peu â peu retrouvé de lénergie. Re état cocotte minute, re Tégrétol, re dépression, re arrêt du Tégrétol.
Un jour que je légumais devant le poste, rediffusion dun épisode dUrgences. Voilâ le résumé des séquences qui se rapportent â mon propos : Saison 7, épisode 6 "La visite"
Alors quils attendent une ambulance, Luka et Chuny sont approchés par une femme excentrique qui cherche lentrée des urgences. Elle finit par sinstaller en salle de repos, où elle distribue des gâteaux â tout le monde. Frank et Malik sont ravis mais Kerry doit lui demander de partir. Lintruse se présente alors sous le nom de Maggie Wichensky. Il sagit de la mère dAbby?
Frank apprend â Abby que sa mère veut la voir. Abby la pensait en Floride et elle est surprise de la voir discuter avec ses collègues et distribuer du jus dorange â tout le monde. Maggie Wichensky refuse de partir et continue de faire connaissance avec le personnel des urgences. Maggie appelle Abby en criant dans tout lhôpital et sénerve contre tout le monde...
Kerry demande â Abby : depuis quand votre mère est-elle bipolaire ? Abby répond quelle lest depuis toujours mais quelle a décidé darrêter son traitement?
Autour dun café, Abby raconte â Carter son enfance difficile. Elle pense que sa mère aime ses états maniaques
Maggie refuse laide dun psy. Elle a interrompu son traitement seulement parce quelle a horreur du lithium, qui éteint sa créativité. Elle prend du Prozac en attendant, et promet de changer de traitement. Elle finit par seffondrer en larmes devant Abby.
Autant vous dire que cet épisode a eu toute mon attention. En voyant le manège de Maggie avec léquipe des urgences, sa volubilité, son insistance â faire accepter â tous soda et petits gâteaux, je me suis reconnue. Dans son refus de prendre le médicament quon lui avait prescrit, je me suis reconnue face au Tégrétol. Le mot bipolaire, je ne lavais jamais entendu de ma vie, en tout cas pour nommer une maladie. Jai saisi un papier et un crayon et je lai noté. Dès lépisode fini ça a été ? vous pouvez éteindre la télé et reprendre une activité normale ?. Je ne vous dis pas comme le Gogol a chauffé. Jai béni le haut débit comme jamais. Le premier site que jai consulté, cest très heureusement le très bien fait www.bipolaire.org. Cétait CA ! Jai cherché Tégrétol, aussi. Jai trouvé des notices plus détaillées qui reliaient ce médicament la bipolarité. Jai fait part de ma découverte â Stéphane, mon compagnon, pour avoir un regard extérieur. Et il a confirmé. â?a y ressemblait fichtrement. Je collais dans le tableau clinique. Je nai pas quitté Gogol Ier pendant deux jours.
Restait â convaincre mon psychiatre*. On sest longuement préparés pour le rendez-vous suivant. Il fallait absolument quil entérine le diagnostic, on y est allés â deux. Je suis entrée dans son cabinet, lai salué très vite et ai attaqué :
- Et si je vous dis ? bipolaire ? ?
− Je vous répondrai que ça y ressemble
- Mince, cétait si facile que ça ? Mais alors... Et vous le savez depuis quand ?
Il se trouble un peu, hésite...
- Depuis quelques temps. A cause de vos dépressions qui sont hors de proportion avec la réalité.
Mais alors, il doit le savoir depuis le début au presque...
− Et vous ne mavez rien dit ?
Silence...
Quelques rendez-vous plus tard, je le quittais, découvrant quil ne savait pas quun thymorégulateur se prend â vie. Cétait un bon diagnostiqueur, il avait découvert une bipo type II, â partir de dépressions presque sans objet, savait de surcroit que jétais mixte, mais il ignorait le b. a. ba du traitement et avait manqué â son devoir dinformation du patient.
Ensuite, jai consulté chez un autre psychiatre, que je connaissais un peu, plus empathique, ce dont javais besoin, â qui javais demandé au téléphone sil connaissait la bipolarité et sil suivait des patients bipolaires. Jétais toujours en quête de psychothérapie. Car bien quayant découvert que je souffrais en fait dune maladie organique et génétique, je navais pas encore fait les liaisons nécessaires â savoir couper le cordon du freudisme puisquâ maladie organique pas dexplication psychanalytique, nest-il point ? Difficile de perdre 34 ans de mauvaises habitudes.
Lors de mes recherches sur internet, javais découvert un forum français pour malades bipolaires, que je me mis â fréquenter assidument. Jy appris pas mal de choses et entre autres que la maladie nétait pas si simple â soigner que mes premières lectures le laissaient entendre et quil valait mieux consulter un psychiatre spécialisé. Deux noms seulement circulaient. Mon psychiatre refusa de me laisser aller chez lun des deux mais son ?il brilla â lévocation de lautre.
Cest ainsi quun mois de février 2005 je devins la patiente du docteur Hantouche, qui venait douvrir son premier cabinet.
(*â venir : ? le diagnostic, cest fantastique ?, où jexpliquerai pourquoi cette découverte a été si positive pour moi)