BP-II nʼest pas une bipolarité atténuée
31/12/2007
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Hypomanie / Manie
En second, je me pose pas mal de questions (d’ailleurs je ne suis pas le seul; le Pr Angst tente à travers les données de l’enquête prospective de Zurich de vérifier la pertinence de chaque critère définissant les épisodes de dépression et d’hypomanie) :
" Quels sont les symptômes primaires ?
- symptômes thymiques (euphorie / irritabilité) vs Hyperactivité ; les données actuelles sont en faveur de l’hyperactivité comme phénomène nucléaire de l’hypomanie ; la présence des cas d’hypomanie mixte est en faveur de cette tendance
" Quel seuil d’intensité ?
- 2, 3 ou 4 symptômes ? peu d’experts sont capables de trancher ; dans l’étude de Zurich, ce critère n’est pas pertinent ; en effet, la définition "large" de l’hypomanie (hyperactivité + 2 symptômes + durée d’une journée) paraît un indice pertinent de bipolarité autant que les définitions plus strictes. Les études récentes optent plutôt vers une définition ’dimensionnelle’ (score sur une checklist) qu’un comptage des symptômes par un évaluateur (c’est plus spécifique et plus pertinent)
" Quelle Durée ?
- <1 jour vs 2-3 jours ou 4 jours+ ? Là aussi, le critère seuil de 4 jours ou plus apparaît comme on pertinent ; les cas d’hypomanie brève sont assez fréquents et leur impact sur la santé et le fonctionnement est plus important que les cas d’Hypomanie selon le DSM-IV ; Enfin, où placer ’hypomanie chronique (au-delà d’un mois) ? On sait que c’est différent du trouble BP-I.
" Quelle fréquence ?
- Aucun système de classification ne précise la fréquence requise pour parler de BP-II ; pour le BP-I, un seul épisode de Manie suffit mais pour le BP-II, on n’en sait rien ! On connaît qu’il existe des formes d’hypomanie sporadiques vs récurrente. L’étude de Zurich a montré que les formes d’hypomanie récurrente induisent une altération plus importante de la qualité de vie et de fonctionnement. Contrairement â la dépression (où la durée de l’épisode compte le plus), la récurrence de l’hypomanie représente le facteur le plus pertinent (par rapport aux autres critères d’intensité et de durée)
" Quelle nature ?
- Spontanée vs Induite par les antidépresseurs ? Dans la pratique, on sait qu’il s’agit de deux formes différentes de bipolarité ; les cas avec hypomanie strictement induite (ou associée) par les antidépresseurs sont inclus dans une forme à part, le trouble BP-III. Ma recherche indique cette forme est la plus dépressive du spectre bipolaire du fait de la co-existence des dépressions majeures avec un tempérament dépressif. En plus, c’est la forme où on observe le taux de suicide familial le plus élevé par rapport aux autres formes bipolaires.
" Quels liens avec la dépression ?
- L’hypomanie pure permanente vs celle liée à la dépressive (forme classique de BP-II)
" Les hypomanies épisodiques vs Instables ?
- Les hypomanies associées à une Cyclothymie (instabilité permanente) sont-elles différentes des hypomanies - dépressions avec des intervalles libres ? ma réponse est oui
" Quel impact sur la Qualité de Vie ?
- Il y a des hypomanies avec un impact positif sur la qualité de vie (QDV), d’autres avec un impact négatif et parfois les deux (positif et négatif): le DSM-IV exige que l’hypomanie comporte en elle-même un impact péjoratif sur le fonctionnement. Mais quand on considère le trouble BP-II dans sa globalité, on remarque que l’imapct sur la QDV vient essentiellement des épisodes dépressifs. Donc, l’hypomanie, sans le critère "impact sur le fonctionnement" peut être utilisée comme un indice de bipolarité et non l’équivalent du trouble BP-II (qui reste quand même un trouble dépressif récurrent)
Au total, plein d’interrogations qui méritent de discuter et surtout de traquer les réponses dans les études cliniques et épidémiologiques en cours. Le message à retenir est que le trouble BP-II n’est pas simplement une variante atténué du trouble BP-I ; mais au contraire, il représente un spectre clinique assez complexe qu’il convient de mieux explorer et détailler.
A défaut de cette exploration, un grand nombre de BP-II sera traité tout simplement comme des dépressifs "unipolaires" ; la réalité clinique me le montre tous les jours à mon cabinet !
Les trois enquêtes BIPOLACT réalisées récemment en France ont permis de profiler les facteurs cliniques, évolutifs et pharmacologiques associés au trouble BP-II (dépression récurrente ou résistante avec hypomanie définie par un score de 10 ou plus sur la CLH-20).
Parmi les facteurs communs obtenus dans les 3 enquêtes, on retient que le trouble BP-II se démarque du trouble dépressif unipolaire par :
1) une représentation masculine et des sujets célibataires ;
2) des épisodes dépressifs plus récurrents ;
3) des épisodes dépressifs plus intenses ;
4) des formes de dépressions atypiques, mixtes, agitées et psychotiques ;
5) un âge de début plus précoce ;
6) un risque suicidaire plus élevé ;
7) un abus de substance ;
8) traits cyclothymiques avec labilité émotionnelle persistante ;
9) histoire familiale bipolaire
10) histoire familiale de suicide.
Ces caractéristiques ont été observées de manière éparse dans les études cliniques contemporaines. Elles confirment d’une part la démarcation entre le trouble BP-II et la dépression majeure unipolaire et d’autre part la complexité et la sévérité du trouble BP-II.
Ainsi le diagnostic "bipolarité atténuée" pour désigner le trouble BP-II semble erroné et inadéquat. Les formes de dépressions atypiques, mixtes et/ou agitées doivent faire suspecter la présence d’un trouble BP-II.
Enfin, le repérage du trouble BP-II comporte des implications thérapeutiques. L’analyse de la réactivité aux antidépresseurs dans l’enquête sur les dépressions résistantes donne une idée sur l’ensemble des complications et des risques engendrés par le recours aux antidépresseurs sans une bonne couverture de thymorégulateurs.
Les résultats de ces enquêtes ont fait lʼobjet d’un article dans le journal ’Annales Médico-Psychologiques’ (Hantouche et al, 2009)